Chapitre 2 – Chats alors !
Hallucinations animalières...
Je me suis lancé dans la rédaction de Mon Dieu, Mon Bouddha et Patata, en Gwada, vers la fin de la deuxième semaine de la conne[1] imposée à partir du 17 mars 2020, après que le gouvernement français se fut résolu à l’hypothèse qui, il est vrai, n’allait pas de soi, que la pandémie, comme le nuage de Tchernobyl en 1986, pût ne pas s’arrêter pas à la frontière. Quand j’ai commencé, acabata[2], à formuler le Scénario des Miracles dans ma tête, Bixa le chat[3] a surgi. C’est un beau chat roux genre « chat tigre » abandonné par son ancienne propriétaire quand elle a quitté la résidence où j’habite il y a environ trois ans, dont de bonnes âmes parmi lesquelles la mienne se sont alors occupé. Les unes lui donnant un peu à boire et à manger, tandis que je lui consacrais, à chaque fois que je le croisais, plusieurs minutes à le caresser. Il était déjà monté, quel putôt[4], sur la terrasse de mon appartement du premier étage, en escaladant l’avant-toit devant celle-ci, après avoir sauté sur la voiture garée dessous, devant un des deux garages situés sous mon appartement. Mais manifestement peu confiant, alors qu’il s’était toujours montré très câlin tant qu’il se trouvait, sur le parking de la résidence, en terrain connu, il avait immédiatement fait demi-tour. Cette fois il est resté, de toute évidence attiré par l’énergie qui a jailli lorsque les premières phrases clés de mon récit ont traversé mon esprit ! C’était l’envoyé d’Angelu mon Anar, mon Ange Gardien, venu me dire : « Allez Xabi, c’est parti ! »
Ce fut le début de notre nouvelle relation, avec des visites désormais incessantes. Il a beaucoup miaulé, au début, réclamant que je le laissasse entrer dans mon salon, mais sa place est dehors, mon allergie aux chats m’empêchant de l’adopter complètement.[5] J’apprécie de le caresser autant que mes mamours le ravissent, mais il convient alors que je me lave immédiatement les mains, sans quoi en cas de contact avec mes yeux ou mon nez (comme pour le virus ?), le plaisir vire alors au plus total désagrément. Un soir, depuis mon canapé, au bout d’un certain nombre de miaous plaintifs de Bixa assis derrière ma baie-moustiquaire, à l’autre bout de la pièce, j’ai élevé la voix pour lui dire : « Tais-toi Bixa, sois sage… » Il s’est arrêté de miauler. « T’es bien, là, sur la terrasse, allonge-toi. » Il s’est allongé. Les animaux réagissent surtout au ton de la voix, même s’ils sont aussi capables, les chiens par exemple – l’intelligence (et la sensibilité) des « bêtes » ne faisant évidemment aucun doute –, de reconnaître certains mots. Mais que Bixa obtempère ainsi instantanément, ça m’a troué le... du moins épaté. Un chat savant mon Bixa ? Non, pas vraiment. Mais il a sa personnalité. D’écorché. Car il a été maltraité. Et une espèce de flegme craquant. Un regard comme s’il était tout le temps un peu stone...
Sa bouille, ses yeux verts, son petit trait noir sur la bouche, sa jolie et fine silhouette, la couleur et le dessin de son poil, dont de particulièrement jolies rayures rousses et blanches à l’extrémité de sa splendide queue, tellement expressive et d’une telle personnalité elle-même : je l’adOOOre. Sans parler de sa langue, de chat – j’adOOOre les belles langues... mais non... enfin si, belles ou pas belles d’ailleurs (en la matière, au moins sommes-nous tous-toutes à peu près équitablement équipés-pées[6]), mais je veux dire : ses miaulements sur tous les tons. Tordant ! Et ce ronronnement ! Dont la cause, pour les scientifiques, reste un mystère... Jélica[7] : les gentils-tilles scientifiques, on les aime bien aussi, on en a bien besoin, mais quid d’une « simple » expression de la sorte, par l’animal, de son « plaisir »... ou désir ?... Il n’y a qu’à voir mon Bixa quand il s’affale par terre (ou sur mon bureau à côté de mon ordinateur !), les quatre pattes en l’air, pour que je lui caresse le ventre ! Et le moteur démarre... Le délicieux petit animal est ainsi devenu mon fidèle compagnon alors que l’orwellienne fable d’Isabelle Aupy, L’homme qui n’aimait plus les chats[8], constituait ma lecture du moment. L’histoire : un homme catastrophé par le débarquement d’« agents » transformateurs du sens des mots et des chats en chiens, que l’auteure aurait pu intituler « il faut appeler un chat un chien ». Le décor ? Une île aussi ! J’y suis retourné, ce même jour de l’irruption du chat dans la mienne, constatant que j’avais laissé son histoire à la page... 69[9].
C’est ainsi que je me suis de nouveau retrouvé avec un chat, dix-sept ans après en avoir moi-même lâchement abandonné un, en Thaïlande, le toutpi de ma vie depuis que j’avais quitté le nid bayonnais, chez papa et maman, où les spécimens de l’animal de compagnie avaient en revanche défilé. Je suis revenu en France, de Thaïlande, en juillet 2003, pour la deuxième fois en deux ans et demi que je venais de passer dans ce pays, mais pensant y retourner. Je n’y ai jamais remis les pieds car un Manno[10] est tombé du ciel, dans le plus grand et beau jardin de Paris, et m’a emmené... dans la direction opposée : Saint-Martin d’abord, puis la Gwadloup. C’était le même chat que Bixa ! Mon chat thaïlandais, je veux dire. Manno est lui aussi un humain. Bi également mais ce n’est toujours pas le sujet. C’était le même chat, avec le ventre et le bout des pattes blanches. (Toujours le chat, malgré la face interne du bout de celles de mon Noir que Dieu, comme tous-toutes ses congénères, a peint accroupi.) Mais à la queue rabougrie (on parle bien toujours du chat), alors que Bixa en a donc une magnifique.
J’ai toujours beaucoup aimé les belles queues de chat, sans pourtant avoir conscience de ce qu’elles pouvaient offrir de sensualité, ce dont je me rends compte avec Bixa et son habitude de langoureusement me caresser les jambes avec lorsqu’il passe à mes pieds. Mais je n’ai pas été bégueule, avec mon chat orange version pays du sourire, et me suis même montré très imaginatif, pour son petit nom, à la différence de Bixa. Je lui ai en effet arrangé un « Khanou », à partir de « kha », « tuer » en thaïlandais, et « nou », « rat », pour « tuer rat » ou « tueur de rat ». Je m’étais procuré ce chat pour ça : qu’il me débarrasse des rats que j’avais observés un jour alors que j’étais assis sur une murette à l’extérieur de la maison dans laquelle je venais d’aménager dans le village de Ban Phe[11], dans une vision de film d’horreur, en train de courir dans tous les sens, au sol et sur les murs. Mais le chat, trop jeune sûrement, n’en a eu cure. Je l’ai même privé de nourriture, pendant quelques jours, pour l’inciter à s’en occuper. Il ne s’en est pas pour autant montré plus digne de ce nom si savamment concocté.
Dans ma maison, en Thaïlande, un menuisier est venu boucher tous les trous, après que mon compagnon Nirut[12] et moi, quand nous nous y sommes installés, l’en avons débarrassée de ses tonnes de crasse, de vieilles affaires immondes et de mobilier pourri. Mais les rongeurs ont persisté à vouloir cohabiter. Il a finalement suffi que j’obstrue un dernier orifice, dans le plancher – tellement petit qu’il m’avait semblé impossible qu’ils pussent passer par là –, pour qu’ils me fichassent la paix. Ils se sont attaqués, le soir, au bois que j’avais cloué, à en faire trembler les murs. Mais ils ont alors enfin compris qu’ils n’étaient plus chez eux et n’ont jamais récidivé. J’ai recherché une photo de Khanou et moi, en écrivant ces lignes, enregistrée dans mon ordinateur. Je l’avais retrouvée quelques mois auparavant parmi moult vieux clichés sur lesquels j’ai remis la main à l’occasion de la préparation de la BestAmaXab[13]. Je suis debout sur la murette du fond du terrain de la deuxième maison que Nirut et moi avons occupée. Je tiens Khanou dans les bras. Derrière moi : la mer. Les couleurs de cette photo papier numérisée sont comme passées, de sorte que la surface de l’eau, au bord, est semblable à un fond marin que la mer qui se serait retirée, avant un... tsunami, aurait découvert.
Bixa mon chat guadeloupéen est à la fois très câlin et très craintif. Le repoussant du pied pour l’empêcher de pénétrer dans le salon, lors d’une de ses premières visites, bien que délicatement, quand j’ai ouvert ma baie coulissante, il a craché et m’a mordu. Vexé, j’ai un peu crié. Il a déguerpi, sautant par-dessus la balustrade de la terrasse. J’ai craint qu’il ne revînt pas. Deux ou trois jours plus tard, j’étais assis, d’un côté de ma terrasse, parallèlement à la balustrade, sur le magnifique tabouret en bois flotté fabriqué par nere anaia[14] qu’il m’avait ramené quand il est venu me voir avec sa future (et future ex...) femme Maia[15]. J’ai tourné la tête, à un moment donné, vers la gauche. Entre deux barres horizontales de la balustrade, j’ai vu Bixa qui marchait. J’ai cru qu’il se trouvait sur le bitume du parking en contrebas. Il m’est apparu énorme ! Comme un tigre ! Car, en fait, il était sur l’avant-toit ! L’illusion d’optique, telle une hallucination, était incroyable. Le cerveau, en activant ses synapses à l’aide de données de dimension erronées, l’a véritablement fait apparaître à mes yeux aussi gros que le fauve, me renvoyant en même temps l’image de mon… chien-veau de la veille. Pendant mon heure de marche quotidienne réglementaire, à quelques dizaines de mètres de l’entrée de ma résidence en direction du cul-de-sac de la marina, j’avais croisé une femme et un homme qui promenaient un énorme chien, d’un bon mètre au garrot, affreux, qui m’a fait penser à un veau.
Autre hallucination animalière, mais ayant consisté à ne pas voir une bête tout en la voyant, et dans le tout petit cette fois : j’ai pris, une seconde, une fourmi noire pour du charbon. Je me brossais les dents avec une poudre de cette matière recommandée pour le blanchiment des dents et un dentifrice à base, lui aussi, de celle-ci. Un peu de poudre noire, comme à chaque fois que je la déposais sur la brosse à dents, à côté du dentifrice, est tombée dans le lavabo. Ce que j’ai pris pour un minuscule amas de poudre, sur le bouchon de la bonde, a bougé, créant la parfaite illusion de particules qui, en la percutant, auraient glissé. Mais c’était une fourmi. La toutpie jamais apparue à cet endroit précis, et exactement quand cet effet était susceptible de se produire. Je venais d’adopter ce double produit miracle que mon noir doudou s’était procuré et qu’il m’avait gentiment cédé, chez lui, désireux que j’améliorasse un peu l’éclat de mes dents. Quant au chat, en petit-déjeunant sur ma terrasse, le lendemain de sa réapparition, au moment où je lui ai demandé « C’était bon ? », alors qu’il se léchait les babines de mon offrande matinale quotidienne de sardine et de beurre, mon ordinateur sur lequel je regardais une émission a résonné de ces mots : « Tu reviens parmi nous ? »
On peut déjà se demander, à ce stade, comment j’arrive à survivre à toutes ces émotions. Or pour ce qui était des bestioles, il m’était déjà arrivé, en Thaïlande, avant le chat-tigre et le chien-veau, une histoire de chat-singe. J’étais installé à mon bureau de la grande pièce du fond de la maison, où j’avais ma chambre, avec vue sur l’impressionnante végétation de la forêt, telle une immense vague verte prête à s’abattre sur moi, à l’orée de laquelle la maison se trouvait. J’étais cerné par les bêtes, parmi lesquelles les énormes lézards semblables à de gros jouets en plastique appelés « toukés » par les Thaïlandais-daises. Cela en raison du son que l’animal émet, dans un enchaînement des deux syllabes de ce mot, lentement et de manière peu sonore tout d’abord, puis de plus en plus fort et rapidement. La chose a bondi, un jour, à l’extérieur, sur la grille de la longue fenêtre du mur contre lequel j’avais calé mon bureau : spectaculaire, bien qu’un peu effrayant. Une autre fois, en compagnie d’Olivier venu me rendre visite, nous en avons trouvé un accroché au mur de la chambre dans laquelle il dormait. Olivier, pas le touké. Ou a-t-il fait semblant de ne pas le connaître ? Qui de ne pas connaître qui ? Olivier le touké ? Le touké Olivier ? Bref, il fallait nous voir, tous les deux sur le lit, moi muni d’un balai tentant de décrocher l’étrange et fascinant animal, sentant sa masse à la fois ferme et molle, mais qui était solidement ventousé et qui n’a pas bougé d’un iota. Il faisait le mort. (Et l’innocent ?) Les Thaïlandais-daises disent que s’il mord seul le tonnerre peut le décrocher.
... en principe rien de (trop) grave (niveau mental), ni de méchant – à part le singe aux grandes dents
Le chat-singe maintenant. Avec cet autre impressionnant et autrement dangereux animal : le babouin. J’étais plongé, un jour, à mon bureau, dans l’écriture de Oh, mon Bouddha !, et en train de triturer ma cervelle de primate évolué sur une phrase dans laquelle je parlais du singe qui, de temps en temps, me gratifiait d’une visite dans le jardin. Je dis bien : dans le jardin. Dans la pièce adjacente qui – hormis une plus petite chambre à l’autre bout (celle d’Olivier et... du touké), ainsi que la salle de bain – occupait tout le reste de la surface entre l’entrée principale et une autre issue, du côté de ma chambre, un léger bruit de vaisselle a retenti. Le chat était-il monté sur la table du salon ? Ça m’étonnait de sa part, car je l’avais bien éduqué (pas toujours très tendrement je dois l’avouer), et il savait pertinemment qu’il n’y était pas autorisé. Je me suis levé, me suis approché de la porte de la pièce principale entrouverte par laquelle j’ai d’abord aperçu une queue : qu’elle était devenue longue, et volumineuse ! Grise ? C’était le babouin ! Sur la table ! Nous nous sommes mutuellement surpris. Il m’a jeté un premier regard de singe attrapé, puis a déguerpi, en direction de la sortie, mais il a alors marqué un temps d’arrêt, alors qu’il s’apprêtait à franchir le seuil de la porte de derrière, s’est posé sur son postérieur et s’est tourné vers moi. Je lui ai dit :
— Salut. On va faire un tour ?
Il m’a répondu :
— Ça ne va pas être évident, avec ton pied et ta cheville.
Je venais en effet de réchapper à une septicémie, en tentant de soigner un abcès à la cheville à coup de pansements analgésiques, ce à quoi j’étais parvenu pour un précédent et semblable bobo. L’infection avait cette fois été provoquée par un bouton de piqûre de moustique que j’avais trop gratté, et ce peu après... un jeune d’une semaine effectué pour mon bidon dont je pense qu’il ne serait pas abusif de supputer qu’il m’avait quelque peu affaibli. Ma jambe avait fini par doubler de volume. Le nettoyage de mon abcès transformé en cratère, une fois le pus enlevé (sans anesthésie évidemment), à l’hôpital de Rayong, le chef-lieu de la province du même nom où se trouvait Ban Phe, a constitué la pire torture de ma vie.
— Je sais bien, ai-je répondu au babouin, ça fait une semaine que je n’ai pas couru, moi qui allais faire mon footing tous les jours.
— Quoiqu’on se sert aussi beaucoup de ses membres supérieurs, dans les arbres, ainsi que de la queue, bien entendu, mais tu n’en as pas. Pas une comme il faut du moins.
— Tu veux dire qu’elle est rabougrie ?
— Non, mais tu n’as pas la bonne.
— Pas la bonne ?
— Bref, tu veux venir ?
— Oui !
Le singe m’a aidé à escalader le mur du fond du jardin et, dans les arbres, à sauter d’une branche à l’autre. Puis nous nous sommes assis sur l’une d’elles.
— C’est beau. Fascinante végétation des tropiques, forêts luxuriantes aux verts ténébreux, aux formes fantomatiques, végétaux géants qui s’entrelacent, tiges tentaculaires s’emparant de la terre et du sable… C’est encore plus fantastique vu d’ici. Je ne regrette pas de t’avoir suivi.
— Ça va, ton pied ?
— Oui, oui. Tu sais, j’ai un peu été surpris de te voir dans la maison, tout à l’heure. Un jour un gros serpent jaune est passé devant la grille du jardin. On m’a dit que c’était une manifestation des esprits des gens qui avaient habité là avant et qu’il fallait se présenter à eux, en tant que nouveaux occupants des lieux. Et toi, tu cherchais à exprimer quelque-chose ? Ou bien c’était juste pour m’emmener sur les cimes, me montrer comment le monde est beau vu d’en haut et l’avenir radieux ?
— Arrête ton char, je voulais juste te piquer un truc à bouffer.
En vrai : je n’ai pas sympathisé avec le babouin et me suis plutôt demandé s’il n’allait pas me sauter à la gorge. Je n’avais que trop bien vu les énormes canines qu’un de ses congénères, peu avant, assis sur la murette du jardin, avait dévoilées en bâillant. Je m’étais réintroduit dans la pièce du fond, tirant délicatement la porte derrière moi, et avais attendu quelques instants, avant de risquer un nouveau coup d’œil. Mon visiteur avait disparu. J’ai déménagé, au bout de deux mois, pour une autre demeure côté mer[16]. De ma lucarne sur la jungle, je suis passé à une vue sur le ciel dans tous ses états, tous les tons, de la tendresse du crépuscule aux tourments ténébreux en passant par les tourbillons de feu, sur l’eau bleue, blanche, grise, noire, grenadine, étincelante, et sur l’île d’en face au sable blanc, poudre envolée du cœur brisé du géant des mers à cause de la sirène qu’il n’avait pu aimer, et paisiblement affalée en direction du couchant. Toujours plus éblouissant.
Relou[17], sur ma terrasse avec vue mer, aussi, bien sûr, et spectacle permanent tout autant qu’en Thaïlande garanti. Ma voimie[18] Françoise est passée devant ma terrasse. « Coucou ! », lui ai-je lancé, pour qu’elle s’arrête et que nous tapions un brin de causette, plus vitale que jamais en ce début de conne. « J’apporte des croquettes à Mireille », m’a-t-elle dit. Drôle de nom pour un chat. C’étaient bien ses propos, mot pour mot, mais Mireille c’était évidemment la propriétaire du chat chez qui elle se rendait de ce pas, sac de croquettes sous le bras. « J’ai un chat, moi aussi, maintenant ! Il est là. » Ai-je informé Françoise en baissant les yeux vers Bixa assis à mes pieds, qu’elle ne pouvait voir. Je lui ai raconté l’histoire de Bixa qui, subitement, avait choisi d’élire domicile chez moi, sur ma terrasse du moins pour l’instant. Françoise a deux chats, m’a-t-elle précisé, dont un noir que la dame à laquelle il appartenait n’a pas non plus emmené avec elle quand elle a quitté la résidence (et la Gwadloup je présume). « Parce qu’il était noir et que ça porte malheur ! Tu vois un peu ! » S’est-elle exclamée désabusée. Elle m’a dit, après que je lui ai expliqué que Bixa restait dehors, que l’avantage avec les chats, c’était qu’ils faisaient leur vie et qu’ils n’étaient pas un poids, car elle partait souvent. Exactement comme ce que je me suis toujours dit. J’étais malheureux, enfant, que mes parents ne voulussent pas de chien. Tout en comprenant très bien la contrainte que cela aurait représentée quand nous partions en vacances. Françoise a ajouté : « Mon chat c’est un chien, il sort avec les chiens, il rentre avec les chiens… » Le chat-chien, comme dans mon bouquin ! « C’est marrant que tu me dises ça, me suis-je empressé de pointer la joyité[19], je viens de lire L’homme qui n’aimait plus les chats, où les chiens sont des chats... »
Le lendemain matin à mon réveil, comme souvent, j’ai mis France Inter, sur mon ordinateur, auquel je branche des haut-parleurs. Ma télé, sur laquelle j’avais l’habitude d’écouter la radio, via le câble, m’a lâché il y a deux ou trois ans. Je n’ai pas envie d’en changer. Je m’en passe très bien, regardant et écoutant mes émissions sitet[20]. Alors que j’étais en train de penser à Bixa qui, pour la première fois depuis le début de ses visites quotidiennes, quel jutôt[21], n’était pas en train de miauler à la porte d’entrée de mon appartement (ce sera rapidement plutôt devant la baie coulissante de ma terrasse), quand je me suis levé, et à ma conversation de la veille avec Françoise, l’intitulé du programme, sur le site Internet de France Inter, affichait le nom des deux invités du jour. L’un d’eux était un François dont le nom de famille était le même que celui, en quatre lettres, de Françoise, avec juste un « a » en plus entre les deux premières et les deux dernières lettres. Et la journaliste qui s’est exprimée, quelle mutarde[22], a même parlé de Bixa ! En vrai quand-même pas. Je ne veux pas minimiser l’importance de notre histoire de Xa-chat, mais comment aurait-elle pu savoir ? En fait elle a dit ça : « À Bichat, est-ce que vous l’utilisez ou pas ? » Nom d’un chien. Pas de mon chat donc toutefois, mais du célèbre hôpital de Paris. Il était question de la chlorochine, le médicament contre le virus autour duquel la polémique faisait rage. C’était bien la première fois que j’entendais le nom de cet hôpital à la radio, depuis le début de l’épidémie, contrairement à celui de la Salpêtrière, par exemple, régulièrement cité.
J’ai laissé mon ordi quelques instants, pendant que je rédigeais tout ça, puis suis revenu à lui, pour reprendre mes élucubrations. Il s’était mis en veille. Je l’ai rallumé, et que ne m’a-t-il pas affiché ? Un tigre ! Un Bixa-tigre, un magnifique et énorme tigre roux semblable à celui que j’avais eu face à moi, l’espace d’une seconde, dans une espèce de quatrième dimension, à travers la loupe de l’entre-deux-barres de ma balustrade. Suminu[23] le gros minou était dans la neige, aux antipodes de ma Gwada, clin d’œil dans le clin d’œil, comme pour mieux souligner la similarité, à part ça, avec mon spécimen tropical... Hal-lu-ci-nant. Mais ça ne l’était pas encore suffisamment, et là, Bixa est apparu : sur la tranche de ma planche. Derrière la baie vitrée, face à mon bureau. Une planche de mon assemblage d’un côté de ma terrasse avec porte-table pliante repliée, espace pour le rangement de mon cap-sur-goa[24] jaune et autres étagères. Il se tenait en équilibre sur l’arête d’un centimètre de large du panneau, zyeutant le petit plateau du dernier étage de ma structure, à l’angle opposé de la terrasse, côté volet roulant, où il avait pris l’habitude d’aller se percher. La première fois que la lubie lui en a pris, il faisait nuit. J’étais à mon bureau. J’ai entendu une espèce de fracas, me suis demandé ce que le chat pouvait bien trafiquer, mais absorbé par mon travail je ne m’en étais pas davantage préoccupé. Ce n’est que plus tard, en allant sur la terrasse, que je l’ai trouvé là-haut. Et cette apparition de Bixa en plein tout ce schmilblick à son sujet s’est produite alors qu’il ne venait duququ[25] qu’assez rarement. De plus en plus haletant.
- {Gapachou 2 : [A] Acabata = Accoudé à ma balustrade (de la terrasse) [C] Conne = Confinement (féminin en modoupaïen) ; Cap-sur-goa = Canoë en plastique gonflable ; Chamou = Chapitre de Modoupa [D] Duququ = Depuis quelques temps ; Dadane = date de naissance ; Danu tipasse = Dans un ultime repassage [G] Gadou = Grand Jour [J] Jélica = Je le réalise en écrivant cela ; Joyité = Jolie synchronicité [M] Manu = Manuscrit [N] Nobapa = Note de bas de page [P] Patita = Patati, patata [Q] Quel putôt = Quelques semaines plus tôt ; Quel jutôt = Quelques jours plus tôt ; Quelle mutarde = Quelques minutes plus tard [R] Relou = Retour en Guadeloupe [S] Sitet = Sur Internet ; Sucem morabnodem baduf = Sur ce mot mon regard est tombé sur ce nombre de mots/ces statistiques en bas du fichier ; Suminu = Sur mon ordinateur [T] Tatibi = Traduction Bibi [V] Voimi-mie = Voisin-zine et ami-mie}
- ↑ Confinement : féminin ou masculin, en modoupaïen, selon le contexte. C’est comme les adverbes, ça n’a aucun sens mais sinon... patita (patati, patata).
- ↑ Accoudé à ma balustrade (de la terrasse).
- ↑ « Bicha », eh oui, « Chabi » à l’envers. Outre que je ne me suis donc pas tellement foulé, pour lui trouver un nom, je me suis dit après coup que, niveau égo, ça ne s’arrangeait pas. Mais, à ma décharge, peut-être ne me suis-je pas davantage creusé la cervelle, le baptisant à la va-vite, parce que ce n’était pas du tout mon chat au départ, et que je ne l’ai que très progressivement adopté.
- ↑ Quelques semaines plus tôt
- ↑ Tu parles, Charles, j’ai fini par craquer. Il est désormais tout autant le bienvenu dehors que dedans. J’étais en train de penser à ce Chat... euh... Charles qui parle, deux heures plus tard, réfléchissant à une sauce pour l’agrémenter. Elle m’a été servie dès la deuxième phrase du passage auquel j’avais laissé Why hope lives behind project walls de C. Wright Lewis quand j’en ai repris la lecture : « Le Révérend avait évoqué, dans son prêche, un homme “de couleur” du nom de Charles Houston, qui a combattu pendant la Deuxième guerre mondiale et a été décoré, pour ses actes de bravoure, mais obtenant en retour de subir les plus ignobles insultes racistes » (p. 28, tatibi*). Le paragraphe se termine avec la « première équipe d’avocats noirs » de l’histoire des États-Unis et le « premier juge noir de la Cour suprême » de ce pays. Splendide, Angelu ! (*Traduction Bibi)
- ↑ Pourquoi « -és » du masculin avant « -ées » du féminin ? Et pourquoi n’aborder ce point qu’ici ? Parce qu’ainsi en fut-il, au commencement, alors je laisse, avec la fine analyse induite par l’exemple ici relevé, dont il serait dommage de se priver. Alors pourquoi, les és en premier ? Parce qu’en termes d’« équipement », les hommes sont les premiers concernés : on touche là au « phallisme ». Du moins le sujet, la langue en l’occurrence, s’en rapproche-t-il. Bon, sérieusement : j’ai opté pour un ordre de foisonnement, le « -é » ou « -és » plus court d’abord, le « -ée » ou « -ées » plus long ensuite. Pour finalement un peu le regretter (je cite d’habitude toujours les femmes avant, par souci de « compensation » – en attendant le Gadou [Grand Jour], où ça sera devenu inutile), mais je n’allais pas tous les refaire. Et, faute de mieuse, c’est très bien comme ça.
- ↑ Je le réalise en écrivant cela.
- ↑ Éd. du Panseur
- ↑ Mon ann’érotique de naissance. C’est le premier concon (contrôle de concentration).
- ↑ À joliment prononcer « Man-no » (et nan... euh... non « Manan »... euh... mais comment c’est pas ?... ah non... enfin oui... « Mano »). Et le toutpi Sucem se produira donc finalement ici, danu tipasse*, à l’occasion du xabiwikitage de mon manu**. Car en effet, sucem morabnodem baduf*** : 369069. Un double 69, pour mon Manno + ma dadana****. (*Dans un ultime repassage **Manuscrit ***Sur ce mot mon regard est tombé sur ce nombre de mots/ces statistiques en bas du fichier. ****Date de naissance)
- ↑ « Bann P(h)é » (en « soufflant » un « h » entre le « p » et le « é »).
- ↑ « Nirout » (ici l’on mettra son cœur à bien rouler le « r »).
- ↑ Ama and Xabi: THE BEST ??? Les meilleurs ? Ça, bien sûr, mais sinon BestAmaXab, « Bechtamachab », c’est pour « Besta Ama-Xabi », la Fête Ama-Xabi, dont l’intitulé complet est la « fête des Un An d’Ama dans l’Au-delà et des Cinquante Ans de Xabi Ici-bas » ! Je l’ai évoquée, dans Modoupa, pendant six mois, en tant qu’Ama-1/Xab-50. Les dix mois ayant précédé la mise sur pied de l’événement, dans toutes mes communications, elle avait été l’A1X50. Quand elle est passée d’Ama-1/Xab-50 à BestAmaXab, j’ai modifié cette nobapa* qui explicitait Ama-1/Xab-50, à l’origine, et quand j’y suis revenu, pour cela, son numéro était 33. Angelu : « Comme ça elle est sacrée, parce que je trouvais dommage que l’énoncé “Fête des Un An d’Ama dans l’Au-delà et des Cinquante Ans de Xabi Ici-bas” figurât, pour sa première apparition dans Modoupa, dans une nobapa. » T’as raison, mince... T’es sûr, on la laisse là ? « Oui, tu as ma bénédiction. » (*Note de bas de page)
- ↑ « Néré anaïa » : mon frère
- ↑ Maïa
- ↑ Trop peur ? Mais non : trop cher.
- ↑ Moi ? Sûrement, mais ici ça veut dire « retour en Guadeloupe ».
- ↑ Voisine et amie
- ↑ Jolie synchronicité
- ↑ Sur Internet
- ↑ Quelques jours plus tôt
- ↑ Quelques minutes plus tard
- ↑ Sur mon ordinateur
- ↑ Canoë en plastique gonflable : qui va sur l’eau. De l’air dans le canoë, puisque gonflable : ça oui ! Mais où, de l’« r » ? Il est allé où le pêcher, le modou* ? Comme le canoë, n’est-il pas gonflé, à s’octroyer un « r » pour donner du « cap sur Goa ! » Et puis quoi ? OK, le modoupaïen a toléré un temps les légères entorses, en cas de quasi-coïncidence avec un mot de français, à la règle de constitution des modous à partir des lettres du terme ou de l’expression à traduire. Mais c’est terminé, et seuls ce « cap-sur-goa » formé sur ce modèle, voire peut-être deux-trois autres modous dans ce cas (on verra), auront droit de mer... euh... de cité. C’est comme ça. Non, mais. (*Mot de modoupaïen)
- ↑ Depuis quelques temps