Chapitre 50 – « Maman est morte ce matin »

De Xavier Renard
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T’as choisi la Toussaint !

Le jeudi 1er novembre 2018, le jour de la Toussaint, vers 9 heures du matin, mon samédantoncu s’achevait. J’avais récité mes deux mantras, comme tous les matins depuis un mois : « Om Nama Shivaya » et « Om Ama Namaha », qui m’avaient respectivement été enseignés par mes professeurs de yoga et de méditation de Sree Chitrah et de Nattika Beach. Le deuxième, « Om Ama Namaha », était mon adaptation pour Ama du mantra « Om Matre Namaha » que le gourou de Nattika Beach, pénétrant mes pensées toutes dirigées vers elle, avait choisi pour mon cours particulier. J’étais en train de sortir de l’eau (à Bas du Fort, pas dans le Yoga Hall de Nattika Beach, bien qu’à quelques mètres du rivage aussi...), quand j’ai vu arriver Manneau... euh... no... enfin... yes mais no. Il venait de franchir le tourniquet de l’entrée de la plage à quelques dizaines de mètres et se dirigeait, dans ma direction, d’un pas décidé (si tatulu pissi), le long de l’allée d’un mélange de sable et de terre bordant la clôture de la résidence du Marisol. Je me suis dit : chouette alors, mon doudou !

Ne me doutant évidemment pas de quel vent l’amenait. Nos trajectoires une fois rejointes, sur le sable, il a étendu sa serviette à côté de la mienne. Nous nous sommes assis, face à la mer. Nous avons échangé quelques mots. Puis j’ai eu droit à un massage, sur ma serviette, ainsi qu’il lui arrive de m’en pratique sur la plage, à en faire crever les gens autour de jalousie. Si les Gwadloupéyen savent, d’instinct, que nous sommes « ensemble », les Blancs, quand il s’affaire ainsi sur mon petit corps, s’imaginent que je le rétribue. Et, une nuit, dans une discothèque gay de Bilbo[1], c’est un Basque de chez Basque qui m’a demandé... combien je l’avais payé (pour jouir de sa compagnie). Nous avions finalement sympathisé, avec lui et son groupe de lagunak, en compagnie desquels nous étions ensuite rentrés à pied, via le pont sur le Nervion, jusqu’au quartier où notre hôtel était situé, en papotant, Manno en espagnol, eta ni, bien qu’un peu péniblement, euskaran bai noski  ![2]

Mais retour sur le sable chaud : Manno s’est ensuite levé et m’a dit : « Viens ». Il m’a conduit à Mon Temple situé à la limite entre la plage et le joli parc de l’hôtel derrière celui-ci, dans la direction opposée à celle de l’entrée que l’on emprunte, depuis notre résidence, et par laquelle il était arrivé. Nous avons de nouveau étalé nos serviettes pour y poser notre séant. Il a saisi son téléphone. Il a appelé quelqu’un, je me suis demandé qui, il lui a dit quelques mots et m’a tendu le téléphone. C’était Sabine : « Allo, Xabi ? ». J’ai répondu : « Oui, ça va ? ». Sabine m’a dit : « J’ai une mauvaise nouvelle à t’annoncer… Maman est morte ce matin ». Je n’ai pas pu prononcer un mot. Sabine m’a demandé : « Xabi, t’as compris ? ». Je lui ai répondu, sonné : « Oui, je te rappelle ». « Oui, d’accord, je comprends », m’a-t-elle dit, et nous avons raccroché. J’ai éclaté en sanglots. L’inconcevable était devenu réalité. J’ai laissé couler le premier flot, dans les bras de Manno, du long fleuve de larmes qui n’allait ensuite cessé de se répandre, en Euskadi, au cours des célébrations qui ont suivi.

J’avais donc juste eu le temps d’effectuer ma séance de méditation et de réciter mon mantra pour Ama, à Mon Temple, de nager et de terminer tous mes exercices, à l’issue desquels Manno était venu me cueillir, juste à temps pour que nous puissions y retourner tous les deux. Je n’avais pas été joignable avant, quand Le Moment n’était pas encore venu. Sabine tentait désespérément de me contacter, quand j’étais dans l’eau. Elle avait alors appelé Manno, qui avait tenu à se trouver à mes côtés pour m’annoncer La Terrible Nouvelle. Le ciel s’était écroulé pour lui aussi, et il a tant dû redouter cet instant où il m’apprendrait la mort de ma maman. Un de ses premiers tests de la valeur de ma personne, au tout début de notre relation, pendant notre romance à Paris, alors que tout guilleret je marchais à ses côtés, au bout de la rue de Rivoli, en direction de la place de la Bastille, avait été de me demander : « Tu l’aimes, ta mère ? ». J’avais intérêt à répondre ce qu’il fallait, mais le bougre ne m’avait pas vraiment pris au dépourvu, car il ne s’en souvenait peut-être pas, mais il me l’avait dit, ce qu’une maman représentait pour lui. Je n’ai de toute façon pas eu à feindre quoi que ce soit, et il m’a suffi de laisser parler mon cœur.

Avec Okis, un beau jour à Baiona à notre spot-terrasse de café chez Paskoal au bord de la Nive en bas de chez lui, sur le quai opposé, après une déclaration d’amour, non pas à son endroit (allez, tiens, je la lui fais ici), mais au sujet de mes parents, mon ami était un peu coi et m’a demandé si je n’exagérais pas un peu. Ma relation avec mes parents, avec mon père surtout, n’a pas toujours tenu, loin de là, du conte de fées. Mais non, Olivier, je n’en ai pas rajouté, car j’éprouve un amour infini pour ma maman et mon papa, quelles que soient les ombres au tableau, parce que ce sont mes parents, certes, mais tout autant pour les personnes qu’ielles sont et que j’admire. Outre ce critère essentiel de l’amour d’un enfant vis-à-vis de sa mère, Manno a déclaré un jour à une grande tablée avec des amis-mies dans un restaurant sur la plage d’Orient Bay à Saint-Martin (depuis rayé de la surface de la Terre, ou du sable du moins) que mon passé d’humanitaire constituait l’une des raisons pour lesquelles il était tombé amoureux de moi.

Si je devais garder un seul souvenir d’Aita à ce jour, ce serait le suivant. Otto JC, quand il était élève du lycée Cassin, près de la Villa Arans, a fait la connaissance de Taïnam. Lui et sa femme Virginie, tous deux d’origine cambodgienne, sont devenus des ami-mie de la famille. Il y a plus ou moins un quart de siècle de cela, Aita, Ama, Joseta et moi sommes allés dîner, à Paris, dans leur restaurant d’une ruelle derrière la place Maubert-Mutalité située à un bout de la rue Monge où Josette avait vécu, avant de déménager pour la rue Pestallozzi quant à elle planquée derrière la place Monge, à une centaine de mètres de son précédent appartement. De grandes affiches « Indochine française » encadrées trônaient sur les quatre murs du restaurant. À peine installés-lées à une table contre l’un d’eux, Aita dos au mur, moi face à lui, Aita s’est tourné vers une de ces affiches accrochées derrière lui, l’a observée quelques secondes, s’est retourné, m’a regardé et m’a dit d’une voix douce, dans un léger sourire, mais d’un air qui disait toute l’incrédulité de la Terre, ainsi qu’un mélange d’une profonde désolation et d’une sorte de mansuétude : « Tu te rends compte !... ». Toute l’humanité, la sensibilité et la conscience politique d’Aita étaient ainsi résumées. Je suis si fier d’avoir hérité de tout cela de lui comme d’Ama.


Dans ta chambre mortuaire avec Manno : de tous les Moments de ma Vie Le Plus Beau

Manno eta nik, le Journul, avons pris l’avion pour Orly, puis, quelques heures après notre arrivée à l’aéroport, pour Meharitze. Non seulement avons-nous obtenu des places, au dernier moment, dans un avion plein à craquer dont, certes, mon champion et steward de mari s’était occupé, mais Ama a de surcroît veillé, jusqu’au bout, à ce que tout soit parfait, et les DEUX DERNIÈRES places disponibles en première classe étaient pour nous ! Aita est venu nous chercher à l’aéroport de Meharitze. En route vers chez lui à Ondres nous nous sommes arrêtés, à Tarnos, la commune juste avant, déjeuner. Manno eta ni sommes allés voir Ama le lendemain au funérarium de Baiona. Tout le monde était là : Sabine, Denis, Graxiana, Jean-Pierre, Josette… Je les ai embrassés-sées, tenant à peine debout, et leur ai demandé, en désignant la salle devant laquelle ils se tenaient : « Elle est là ? ». Je suis entré. Ama était allongée dans son cercueil, je l’ai couverte de larmes, je lui ai parlé, je l’ai caressée, je l’ai embrassée… Puis je suis retourné vers la porte, l’ai ouverte et dans l’entrebâillement de celle-ci j’ai demandé à Manno : « Tu viens la voir ? ». Il a pénétré, avec moi, à dans la chambre funéraire. Il a regardé Ama, nous nous sommes pris dans les bras, nous avons pleuré et parlé ensemble d’Ama, parlé ensemble à Ama, et j’ai vécu le moment le plus intense, le plus beau de ma vie, avec ces deux êtres si chers, que j’avais tant aimé voir ensemble, et qui s’aimaient tant tous les deux aussi, pour la toute dernière fois réunis.

J’aurais voulu pouvoir rester auprès d’Ama du matin au soir, au funérarium, et voir tous-toutes celleux qui y sont passés-sées. Mais ma mie ne m’y autorisait que quelques heures dans l’après-midi. Le temps était tourmenté mais le soleil brillait, tout le temps que j’ai passé au funérarium. Aita eta ni, le jour des obsèques d’Ama, nous sommes rendus ensemble en voiture de chez lui à l’église Sainte-Marie d’Angelu. Il a plu à verse pendant tout le trajet. Mais le soleil est revenu au moment où la foule s’est amassée devant l’église, avant la cérémonie, et pour la sortie du cercueil du corbillard, que Denis, Marc, Hugo et moi-même avons porté jusqu’à l’autel. Il a encore irradié l’assistance et le cercueil d’Ama, après la messe, au moment de l’aurresku exécuté par Txomin, un ami de Denis, d’une famille de fervents abertzale, amoureux et défenseurs de leur langue et de leur culture comme Ama. « Y a quelqu’un pour Jeannette ! », s’est exclamée Jeanine, la maman de Marc, éblouie par la bonté des cieux, ajoutant qu’elle n’était pas croyante mais que ce temps pour Ama, en cette période de conditions météorologiques pour le moins moroses par ailleurs, c’était tout de même troublant... Dans leur série d’hommages à leur noble élue, déesses et dieux lui ont également offert un magnifique arc-en-ciel, la veille de son départ du funérarium. Émerveillée, comme nous autres qui l’entourions, l’autre Jeannette qui surnommait son amie Jeannette Renard « JR », a quant à elle clamé : « Ça, ça veut dire qu’elle est bien arrivée là-haut !! ».

Le jour du départ pour l’église, devant la chambre mortuaire, Aita s’est approché de Sabine, Denis eta ni, pour nous dire qu’il souhaitait lire à Ama, en notre présence, un mot qu’il avait préparé pour elle. « Ah non ! », a réagi Denis, tournant les talons. Il avait ses raisons, mais quand son cœur serait ensuite revenu à la charge, si nous nous en étions tenus là, bonjour les dégâts. Je lui ai immédiatement soufflé, tendrement : « Tu peux faire ça pour lui, quand-même... ». Il n’a rien répondu. Face au refus de Denis, Aita était immédiatement reparti de son côté, sans rien dire, de même que Sabine eta ni. Mais il était inimaginable que nous n’accédions pas à cette demande d’Aita et, cinq ou dix minutes plus tard, l’heure de la fermeture du cercueil approchant, j’ai rameuté le clan pour que nous allions exaucer son vœu de rendre, aux côtés de ses trois enfants, un dernier hommage à son épouse. Denis n’a pas hésité une seconde, cette fois et, tous les quatre, nous sommes retournés-née auprès d’Ama. Régis a dit tout son amour à Jeannette, luttant contre les sanglots, lui a demandé pardon et a conclu par : « Ton mari indigne ». Nous étions alignés-gnée le long du cercueil, Aita au pied de celui-ci et, dans l’ordre, moi, Sabine et Denis à ses côtés. J’ai saisi Aita par l’épaule et lui ai fait une bise sur le front. Sabine et Denis, à leur tour, l’ont embrassé. Puis nous nous sommes pris tous les quatre dans les bras. Merci mon Dieu pour ce moment miraculeux !! Nous sommes ressortis-tie rejoindre l’assemblée des proches d’Ama. Anderea[3] a emporté avec elle, au paradis, trois jolies tuniques colorées que je lui avais ramenées du Kerala. Je les ai déposées dans le cercueil, avant que les agents des pompes funèbres ne referment le couvercle, sur la belle Janeta. Et je lui ai donné, sur son doux visage, mon dernier baiser.


« Tu continueras d’illuminer nos jours »

Manno, à un jour près, n’a malheureusement pas pu assister à la magnifique cérémonie des obsèques d’Ama, car elle n’a pu avoir lieu que le mardi et non le lundi comme nous l’espérions. Or il a dû repartir pour Paris puis Lapwent dès le lundi après-midi, pour reprendre ses vols. La messe d’Ama a été dite par Peio. Nous y tenions absolument. Sabine s’était chargée de le contacter, pendant que Manno eta ni volions vers Paris et Euskadi. Peio a longtemps été le prêtre d’Ama, à la paroisse Saint-Amand de Baiona. Il avait raccroché sa soutane quelques temps, en 1990, et officiait de nouveau à Angelu, depuis 2010, à l’église Sainte-Marie. La splendide assemblée des proches d’Ama, réunis-nies en nombre, a donc été accueillie dans cette belle église au joli fronton de type mexicain, comme l’a noté Stéphane, resplendissante de surcroît d’une récente rénovation, et aux fresques et vitraux aux superbes motifs et couleurs. Ses trois enfants, sa petite-fille Léa accompagnée de son frère Hugo, Joseta et... Anderea en binôme également puis Maritxu, la plus âgée des deux filles de Maitexa, la sœur aînée d’Ama, se sont succédé au pupitre pour lui adresser leurs Mamadieux[4]. Et parce que rien, décidément, n’était trop beau pour Ama, ce grand moment de communion a également résonné des chants de la chorale Lauhaizetara de Migel et Xantal.

Denis n’a pas retrouvé ses mamagnifiques Mamadieux, dont je veux juste citer son évocation du fait qu’il croisait souvent des gens qui lui parlaient de Jeannette, qui était connue, par beaucoup, pour ses engagements.

Les Mamadieux de Sabine :

Maman,
Tu m’as donné la vie,
Tu m’as appris la vie à travers tes valeurs : l’Amour de l’autre, le partage, la solidarité, le respect de l’environnement.
J’ai grandi dans un milieu privilégié au sein de notre « villa Arans ».
J’ai découvert, à travers toi, le milieu syndicaliste et associatif.
Tu t’impliquais tellement dans toutes les causes que tu défendais que je t’ai eu dit :
« Maman tu n’as jamais le temps ».
Puis tu m’as aidée à devenir maman, et tu es devenue une grand-mère si aimante !
Tu n’as pas été épargnée par les moments difficiles de la Vie, et tu as trouvé le courage de les surmonter en t’impliquant encore et encore pour les Autres.
La dernière épreuve de ta Vie t’a été fatale :
Tu n’as pas pu te battre contre ton horrible maladie.
Grâce à nos si chers Gratianne et Jean Pierre, tu es restée au maximum dans ta maison, ton quartier, ta ville Bayonne.
Tu as fini tes jours à Labenne, situation inacceptable pour toi.
Grâce à la présence exceptionnelle de Béa et la bienveillance du personnel de l’Hélio Marin, tes derniers jours ont été apaisés.
Le jour de la Toussaint, tu as décidé de lâcher. Troublant...
Tu es une maman merveilleuse, ne t’inquiète plus pour moi, je vais me débrouiller, je suis bien entourée.
Repose en paix Maman, tu le mérites tant.
Je T’AIME.

Les Mamadieux de Léa et Hugo :

Amatxi,
Nous voulons te remercier pour l’amour immense que tu nous as donné tout au long de notre vie.
Tu étais là pour nos premiers pas, nos premiers mots, les sorties d’école, toute notre enfance.
Tu as ensuite assisté à notre avancée dans la vie étudiante avec une affection indéfectible sur laquelle nous pouvions nous appuyer.
Chez toi, à la villa Arans, nous avons fait la fête, tu étais si accueillante, si bienveillante Amatxi.
Enfin tu étais là pour nos premiers pas dans la vie d’adulte. Tu avais tant à cœur de nous voir heureux.
Ces derniers temps nous tentions avec notre maman, nos oncles et nos amis chers de te donner à notre tour tout notre amour pour espérer te

voir sourire un peu.

Durant tous ces moments, tu nous as transmis tes valeurs d’humanité, d’intégrité et de générosité.
Tu étais une grande dame, Amatxi. Pour nous, tu as aussi été une grand-mère extraordinaire.
Notre souhait le plus cher aujourd’hui est que tu sois en paix, heureuse et apaisée là ou tu te trouves.
Tu seras toujours là, dans nos souvenirs si nombreux et tu guideras chacun de nos pas.
Merci Amatxi, nous t’aimons.

Josette et Andrée ont lu les mamagnifiques Mamadieux en vers de Mamarc, Amaren suhia :

Aujourd’hui nous portons le deuil,
D’une si belle fleur,
Pour qui le mot accueil,
Allait bien au-delà de nos peurs.
De ses combats, de ses colères,
Pour un monde meilleur,
De ses espoirs, de ses prières,
Restera toujours une lueur.
Ballottée, par la vie secouée,
Mais toujours digne, debout,
Des souffrances bien cachées,
Glissant sur un visage si doux.
Jeannette, notre Jeannette,
Tu es partout,
Sur le sourire des enfants,
Dans le cœur des vivants.
Parce que tu as redonné vie à certains,
Parce que tu illumines nos jours,
Tu nous appartiens un peu à tous.
Enfants, petits-enfants, famille, amis,
Chaque personne croisant ton chemin,
Touchée par ta bonté et ton amour.
Certes ce sera différent maintenant,
Mais tu seras toujours présente,
Pas après pas,
A chaque coin de rue,
Sur chaque sentier,
Ton sourire, ton regard, nous accompagnera.

Au tour de Mamaritxu et de ses Mamadieux...

.. Je me trouvais, avant de revenir ici, avec Maitexa, Maritxuaren Ama, au Grawek de mon PACS-ou-pas-40 à Bastida, à zyeuter l’étrange izebaren « Ourthé Houn »[5] flanqué d’un [164], numéro crocheté d’entre mes notes ou questions à soumettre à un-une pochimi-mie sur un élément de la narration ; en l’occurrence, donc, Maitexa. Ce 164 relevait de la deuxième catégorie, car je n’étais pas certain de ce que « houn » pouvait signifier : « ourthé » pour « urte » en basque, année, OK, mais ce « houn » ? C’était, me suis-je figuré, quelque-chose comme « année » et « bonne », au sens de « bonne anisse », autrement dit : « bon anniversaire ». Notons au passage le 64, pour la... Pyrénées-atlantiquienne de tatie, Pyrénées-atlantiquienne comme son neveu, sa fifille et toute sa famille... Mais basque avant tout bisû, car plus basque que Maitexa tu meurs, etc., bref, passons. Ce 164 et ses crochets étaient toujours là, je n’étais pas loin de clore Modoupa, et ils risquaient de se faire enfermer. Comme moi dans un resto à Manhattan, sous l’appartement loué par Maritxu et Laury son mari venue-nu à New York, quand Sylvie et moi y résidions, situé non loin du secteur où elle et moi habitions et du restaurant Amici Miei où je travaillais.

Maritxu, Laury et Sylvie y avaient dîné, le 31 décembre 1989 au soir, pendant que je servais ces dames et ce monsieur et, accessoirement, mes autres clients, ou du moins que je leur amenais leurs plats, car après le restaurant de la place Sainte-Eugénie à Meharitze je ne m’étais jamais plus aventuré à me présenter nulle part comme serveur. J’avais fini à m’alcooliser (ouais, même pas vraiment faire la fête, c’était nul...), dans ledit resto sous l’appartement de MarLau, après laissé mes trois chteuneu-neues et, complètement bourré, m’étais endormi sur une banquette. Je m’étais réveillé, au petit matin : il n’y avait plus personne, et le resto était fermé à clé ! J’ai commencé à m’exciter, à tambouriner dans tous les sens et à hurler comme un putois, et quelqu’un a fini par venir m’ouvrir. De rage j’ai chouravé un sac de noix de Saint-Jacques dans une armoire de congélation vitrée qui trônait dans un coin de la salle. Samy le coq de Sylvie, excellent cuisinier, pendant quinze jours, nous les a concoctés à toutes les sauces !... Bon, le « houn » d’izeba : coup d’œil dans mes culs pour voir si j’avais une réponse à ma question concernant sa traduction d’abord adressée à otto JC puis à Denis : toujours rien. Par contre... qui je trouve là, dans ma boîte mail : izebaren alaba[6] ! Maritxu venait de m’envoyer ses Mamadieux pour SON izeba, que je lui avais également réclamée, et que je n’attendais pas depuis cent mille ans, mais bien une petite semaine, et il fallait, évidemment, qu’ils arrivent pile à ce moment-là ! (Ils n’y étaient pas une heure plus tôt.) Mais ce 164, à Bastida, qui s’accroche !...

— Eh, le 164, il va falloir y aller, avec tes crochets, je vais bientôt fermer !

— Mais je ne suis plus là !

— Comment ça, tu n’es plus là ? T’es même en deux endroits maintenant, ici entre Angelu et New York ainsi qu’à Bastida...

— Mais quand tu vas retourner à Bastida je n’y serai plus ! Et c’est comme si je n’y étais déjà plus, puisque tu sais très bien que dans ta tête tu m’as remplacé... D’ailleurs tu viens d’y retourner ! Entre mon « remplacé » et mon « d’ailleurs » ! Et t’as écrit ta nobapa 508 ! T’as répété « c’est quelque-chose comme “année” et “bonne” », patita... Donc ça y est, tu m’as viré ! Mais je peux rester ici, par contre, dans « son étrange “ourthé Houn” flanqué d’un [164] », non ?

— Ah eh bé oui, tu restes. Regarde, t’es là, pour l’éternité. On est bons ! Je vais pouvoir passer aux Mamadieux de Choupette pour son izeba maintenant, que voici :

Tatie Jeannette,
Nous te disons Merci,
Merci pour tous ces moments de Partage
Que tu as rendus possibles.
Puissions-nous les perpétuer...
Merci pour toutes ces vacances au bord de la mer, sur la plage de Miramar.
Souvent, tu restais à la maison pour préparer le repas du soir.[7]
Je me souviens aussi des vacances à la neige.
Là, tu étais avec nous sur les pistes de ski,
Même si souvent c’est toi qui avais les skis les plus pourris !
Tu as beaucoup compté pour ta frangine, notre mère, tu l’as soutenue dans ses moments difficiles.
Comme elle, tu as décidé de partir un jour important pour les chrétiens, le jour de la Toussaint, comme pour nous signifier à quel point ta foi comptait à tes yeux.
Le Bon Dieu a été coquin avec toi.
Il t’a armée pour mener de multiples combats, sociaux, humanitaires… Il t’a même suréquipée.
Mais, pour tes combats intérieurs, tu t’es trouvée désarmée.
Ton histoire nous renvoie à la prière de Marc Aurèle :
« Mon Dieu,
Donne-moi le courage
De changer les choses que je peux changer,
La sérénité
D’accepter
Les choses que je ne peux changer,
Et la sagesse
De les différencier. »
Je suis sûre que sur les rives pleines de lumière que tu as rejointes tu es la reine !
Comme telle, nous te garderons dans nos cœurs.


Tu m’emmènes un peu avec toi, dans ton Monde de Paix et d’Amour

Mes Mamadieux :

Nere Ama maitia,
Ma maman chérie,
Le Dieu des Chrétiens t’a donc fait naître à Lui le Jour des Saintes et des Saints, t’offrant la sortie que tu méritais, et décidant de ne pas te faire endurer plus longtemps la souffrance de la terrible maladie dont tu souffrais, ta dernière des épreuves d’une vie pas toujours des plus douces, mais tellement magnifique !
Et dont je sais que tu es fière et heureuse.
Déesses et dieux soient loués, il restera dans tous mes souvenirs de toi ce dimanche où je t’ai accompagnée à l’église de ta paroisse de Saint-Léon de Marracq, il y a un peu plus d’un an. Je me souviens que le soleil avait percé, dans un ciel maussade, m’éblouissant, à travers les nuages, au moment où nous descendions les escaliers de la terrasse de la Villa Arans. Un léger rayon de soleil, de nouveau, avait illuminé l’église après l’eucharistie.[8]
Aita, dans un message après ton décès, a parlé de « ton départ dans la paix et la lumière éternelles ».
Aita qui t’aime et te pleure tant, lui aussi, avec tes trois enfants.
Tu es ma lumière éternelle Ama. Du monde de paix, de joie et d’amour infinis que tu as rejoint, je sais que tu veilleras sur moi. Ta force et ta bonté qui ont irradié, toute ta vie ici-bas, continueront de me porter sur le chemin qui m’a permis de retrouver la foi, et sur lequel je m’efforcerai d’être toujours à la hauteur de la personne que tu étais et des valeurs que tu incarnais.
J’ai essayé de marcher dans tes pas de militante et d’altruiste devant l’Éternel, et dans ceux d’Aita, toute ma vie, en accomplissant au mieux, par mes propres actions et réalisations, la mission d’amour qui est celle de chacune et chacun d’entre nous.
Je sais que tu es fière de mon parcours d’humanitaire et de globe-trotter. « Tu as fait tellement de choses, mon fils ! », m’as-tu dit un jour. Nous aimions tant discuter des réalités de ce monde, de ce que nous en apprenions à travers nos expériences, nos voyages, nos lectures des journaux. Nous étions si complices et partagions la même passion de la politique, au sens large et noble du terme bisû !
Mais quel monde nous laisses-tu Janeta ?
Tu es l’humanisme, la justice et le progressisme incarnés.
Gora Janeta ![9]
Et qu’est-ce que j’aimais déconner avec toi. Te faire marcher aussi bisû. Tu avais tant d’humour, pour tout, sur tout. Qu’est-ce qu’on a ri !
Car ton oiseau voyageur de fils s’est souvent posé chez toi, et j’ai donc pu passer beaucoup de temps auprès de toi, jusqu’au bout. Ta maladie t’a diminuée, petit à petit, mais que d’intenses moments de tendresse et de rire nous avons encore partagés, après que tu as malheureusement dû quitter ta maison pour l’Hélio Marin. Où tu as passé tes derniers mois, entourée d’un adorable personnel, parmi lesquels notre très chère Béa, envers lequel nous sommes tellement reconnaissants.
Ta maison. C’était celle du bonheur. Tu as fait notre joie et celle de toutes celles et de tous ceux qui ont défilé, te montrant si généreuse et aimante avec tous.
Et puis est venue la relève ! Avec tes deux trésors de petits-enfants, Léa et Hugo.
Tu avais ton caractère, comme on dit, oh oui ! Mais au moins c’était cash avec toi, et tu ne faisais « pas semblant », comme « l’autre » Jeannette nous l’a dit ces jours-ci !
Les yeux fermés pour toujours tu rêves de tout ça. Tu fais des va-et-vient entre chez toi et chez les Dubourg. Il y a tes deux anges gardiens, Graxiana ta Jan-Pierra. Et bisû il y a Joseta. Dans un magasin où elle m’a accompagné pour que je m’achète de belles chaussures pour aujourd’hui, la vendeuse a deviné, comme elle le lui a dit, que tu étais sa « maman de cœur ». Nous sommes tous là. On est si bien avec toi.
Ama. Arans. Quoi c’est vrai, c’est fini ?
Ton Manu chéri a dû repartir, son devoir de voyageur professionnel l’appelant. Il t’aime tant et tant. Il est de tout cœur avec nous pour te redire au revoir aujourd’hui.
Et cette messe donnée pour ton départ par notre Peio, ultime cadeau de Dieu, qui nous a dit comme tant d’autres ces jours-ci son admiration pour toi : pas mal non plus, hein ?
Tu m’emmènes un peu avec toi Ama. On fera des miracles si tu veux.
Repose en paix Ama.
Au revoir maman. Tu vas tant me manquer.
Maite zaitut Ama. Milesker ainitz[10]... euh... barkatu[11] ! Tu préférais dire :
ESKERRIK ASKO DERENGATIK !!![12]
  1. Bilbao
  2. « Éouchkarann baï nochki » : En basque (oui) bien sûr ! (bai [« baï »] = oui (ici pour appuyer ce qui précède), ez [« ess »] = non)
  3. « Andéréa » : Madame. Monsieur : « Jauna », « Diaona »
  4. Mots d’Amour et d’Adieu
  5. L’étrange « ourté houn » de tatie
  6. « Issébarèn alaba » : la fille de tatie
  7. Peut-être, Choupinette, mais elle ne devait pas forcément non plus tenir à se taper la plage tous les jours ! Même si je ne saurais bien entendu qu’adhérer à ce crucu de... féministe !!
  8. Peut-être, Choupinette, mais elle ne devait pas forcément non plus tenir à se taper la plage tous les jours ! Même si je ne saurais bien entendu qu’adhérer à ce crucu de... féministe !!
  9. Viva Janeta !
  10. « Maïté saïtout Ama. Milèchkèr aïnits » : Je t’aime Ama. Merci beaucoup.
  11. « Barkatou » : pardon
  12. « ECHKÉRIK ACHKO DÉRINGATIK !!! » : MERCI BEAUCOUP POUR TOUT !!! Nudanlac : 111. Non, Ama, pas des chirapa ! Ouf, elle m’a entendu ! Elle a immédiatement fait sauter ce mauvais numéro : car je commençais à rédiger la présente nobapa quand j’ai pensé à un autre passage de Modoupa sur lequel je voulais revenir. J’y ai fait un saut illico, y apportant la modification voulue, qui appelait une nobapa aussi, et donc hop : le 111 est aussitôt devenu 112 ! C’était moins une, mais voilà ce qui a peut-être un peu secoué : Ama a beaucoup pris sur elle, mais il ne fallait pas dépasser les bornes, et l’expression « milesker ainitz » la mettait hors d’elle. Mongole. Mais c’était drôle, parce que je ne sais combien de fois je l’ai entendu s’offusquer, pourrait-on presque dire, que l’on ajoute « ainitz » (beaucoup) à « milesker », qui contient déjà « mila », « mille »... ce qui faisait, à son goût, beaucoup de beaucoup ! D’où sa préférence pour « eskerrik asko ». Nuripala nucudura : 800, avec le 80 (+1½) d’Ama.