Chapitre 67 – Quand la pandémie a éclaté...
Si près de l’épicentre, dire que je ne voulais pas en entendre parler...
And now, what?! Inde nao, ouate ?! Quoi d’autre maintenant ?! Ainsi Leonardo Di Caprio, dans Titanic, pose-t-il la question à la divine Kate Winslet (un de mes plus grands Amours de Cinéma avec Emmanuelle Béart dans Manon des Sources et Jean de Florette il y a trente-quatre ans), juste après le crac-boum du paquebot dans l’iceberg. On s’arrête un instant – ça fera ça de plus à Jack et aux quelque mille cinq cents autres victimes du Paquebot de la Mort à vivre –, sur Emmanuelle Béart, dans Manon des Sources. Emmanuelle dont je me suis d’abord dit « Génial, ce prénom, pour “un des mes plus grands Amours de Cinéma” », mais le meilleur suivait juste après : l’anagramme (encore !) de Manno !!! Voilà. Je relance la bobine au début de la fin de Leonardo et des 1 500. Lui aura bien profité de ses derniers instants dans des ébats torrides avec Kate. À ce stade du scénario ielles en sont encore à faire les zigotos. Mais inde nao ouate dans le monde ? Un début de fin aussi, avec une pandémie. À mon retour d’Inde, les flots d’informations sur le coronavirus déversés par la radio et la télévision ont fini par m’atteindre, au cours des quelques semaines qui ont précédé la mise aux abris. Ma réaction à l’un de mes premiers interlocuteurs sur ce sujet en passe de devenir le seul et unique des actualités avait été : « Qu’il me chope le virus, qu’on en finisse ! ». J’ai même adressé ces mots terribles à mon frère : « Le coronavirus, au moins, on en guérit ou on en crève. Moi j’ai pris perpétuité ». Denis m’avait laissé un message vocal, au début de la conne, dans lequel il me disait ne pas avoir le moral, car lui et Maia ont donc malheureusement rompu, et malgré tous ses efforts pour aller de l’avant, évidemment, c’était encore douloureux. Drôle de façon de lui remonter le moral ? Volonté en tout cas de l’amener à relativiser la gravité de l’épreuve qu’il traversait… Le Ciel voudra bien m’accorder des circonstances atténuantes et me pardonner. Association particulière qu’il m’amène, en attendant, à opérer, entre cette deuxième partie du paragraphe et la synchro Grand Amour/Emmanuelle dans Manon/Emmanuel mon Manno, survenue dans un rajout de qurage[1].
Le virus monopolisait l’actualité, et j’étais chagriné que plus aucune place ne soit octroyée à la cuisine des partis dans la course aux municipales. Pour méprisable que la politique politicienne puisse être, et déplorable le fait que le mot « politique » seul soit allègrement employé par les journalistes et autres analystes pour la désigner et la noble politique ainsi détournée et salie, j’ai toujours adoré les histoires de jeux de pouvoirs. Car la psychologie humaine me fascine, jusque dans ses aspects les plus vils et sordides, moi l’être le plus pur spectateur d’une perversion qui lui est totalement étrangère. J’ai commencé à entendre parler du coronavirus en Inde. Si je ne voulais rien savoir de l’actualité de la France, Vanessa, en revanche très connectée, via son portable, s’est exaspérée, alors que nous nous trouvions à Sree Chitrah, après le Rajasthan, de l’importance accordée au sujet : « Ils sont en train de nous bassiner avec ça pour qu’on ne parle plus du reste ! ». Alors que je déambulais, quel jutard, au début du mois de février, dans un hall de l’aéroport de New Dehli, avant de reprendre l’avion pour la France, un masque en tissu m’a été tendu, à la volée, par un membre du personnel de l’aéroport qui passait par là. Tous-toutes les Chinois-noises en portaient un ! Quant à celui dont je venais d’hériter, je me suis juste demandé à quoi cela rimait, et l’ai glissé dans la sacoche de mon ordinateur, pour ne jamais m’en servir. J’étais loin de commencer à me préoccuper de ce problème et pourtant je ne l’étais pas... des premières loges pour contracter le virus ! Car je me trouvais donc dans le pays d’à côté de celui (bien que très, très vaste !) où l’épidémie battait son plein ! À si peu de chose... près, tout mon fabuleux programme prévu depuis près d’un an aura donc pu se dérouler comme prévu ! Dieu que j’ai dû être un bon garçon et ne tuer personne, non, dans une... vie d’avant, pour être à ce point gâté !
Il y avait un je ne sais quoi dans l’air, ababachi, un mois et demi après l’Inde, et deux semaines après mon relou, à l’issue d’un énième intermède basque et papapap, où tout allait basculer. Il y a d’abord eu cette rencontre avec Jean-Marc, l’homme de la Révélation de la Datcha, que je n’avais pas vu depuis longtemps, et jamais sur ma plage ! Je l’avais croisé, dans le quartier, une seule fois au cours des... 13 années qui s’étaient alors écoulées depuis mon installation en Gwada. Sur son vélo. Il habite un autre secteur de la vaste commune de Gozyé, à quelques kilomètres de Bas du Fort. Il m’avait dit se rendre chez sa cousine... Gabie !... qui, elle, habitait tout près de chez moi. Il m’a expliqué qu’elle était médium et m’a proposé de prendre rendez-vous avec elle. Le jour où je me suis rendu chez elle, pour ma consultation, arrivé au portail de sa maison située au sommet d’un morne adjacent à celui de ma résidence, avec vue sur la baie et les immeubles multicolores du Marisol, un bateau de croisière est passé. Il est apparu, féérique, avec toutes ses lumières, dans l’atmosphère crépusculaire de cette fin de journée, et joliment encadré par les branches de deux arbres du jardin d’une maison à gauche de celle de Gabie. Jean-Marc était là aussi, et après avoir un peu discuté tous les trois, Gabie eta ni sommes allés dans la pièce où elle dispensait ses séances. « Ton aura est jaune aujourd’hui, je ne sais pas pourquoi… », m’a-t-elle dit. Touché ! C’était bien de jaune que le tableau du bateau illuminé m’avait inondé. Mais, mais, mais... joui rinette : « Le jaune est associé à la joie de vivre et au caractère radieux de l’existence, le versant solaire des rapports humains. Couleur de la puissance du moi, il invite à l’ouverture aux autres et au mouvement » ![2]
Jean-Marc, quand je l’ai vu ababachi, était avec un enfant, le petit garçon de Gabie venu au monde depuis cette entrevue avec elle plusieurs années auparavant. Prenant congé après une énième longue et profonde discussion entre nous, nous nous sommes dit que nous nous appellerions pour aller boire un verre dans la semaine ! La veille, avec Aline et une de ses amies résidente du Marisol, ainsi que la compagne de cette dernière, toujours ababachi, nous avions également émis l’idée de nous y retrouver bientôt pour un pique-nique ! Puis il y a eu ce médecin catastrophé, de retour chez moi en début d’après-midi, aux infos à la télé, où se disait toute la gravité de la crise du coronavirus. Affirmant avoir lui-même « du mal à croire » qu’il était « en train de dire ça », il prônait le confinement total et immédiat des populations ! Des patients sont morts à Mulhouse, a-t-il déclaré, faute d’avoir pu être pris en charge, ajoutant qu’il n’aurait jamais cru, quel putôt encore, que ça pourrait arriver en France ! Et ça pourrait bientôt être le cas de dizaines de milliers de personnes, s’est-il alarmé...
En fin d’après-midi, je suis parti voter. À l’école maternelle où mon bureau de vote est situé, j’ai commencé par courir après une assesseure, d’une salle de classe à l’autre, pour trouver celle où mon nom était inscrit. Car l’heure de la fermeture, 18 heures et non 19 heures comme je le croyais, approchait. La troisième fut la bonne. Une fois passé dans l’isoloir, et alors que je me tenais debout devant l’urne, attendant de pouvoir y glisser mon bulletin (vide, n’ayant rien trouvé d’assez gaucho ou écolo), un homme et une femme à quelques mètres derrière moi se sont mises à s’invectiver, l’un criant à l’autre : « Toi tu sors, tu ne peux pas voter ! ». À quoi un autre homme a rétorqué : « Si, elle peut voter ! ». Et c’est parti en vrille. Il s’est trouvé tout un tas de gens, tout d’un coup, dans ce bureau de vote, dont la moitié en train de vociférer, la présidente du bureau finissant par bondir de sa chaise pour mettre le holà. Tout comme nous en étions presque, avec mes amis-mies, salbachi, à programmer des banquets alors que dans les heures qui suivraient il serait interdit, sine die, de se toucher, de s’approcher à moins d’un mètre les uns-zunes des autres et, pour ainsi dire, de sortir de chez soi, dans une salle d’une école maternelle du Gozyé était organisé, dans la plus totale promiscuité, un véritable concours de postillons. Ce seul épisode du bureau de vote dit tout de la folie de permettre le déroulement du premier tour des élections municipales, ainsi que de l’incurie et du manque d’anticipation du gouvernement français, qui s’est rendu responsable de la mort de milliers de personnes en agissant avec tant de retard.
Je me suis alors soudainement transformé en ayatollah de l’antivirus, allant jusqu’à prôner le déploiement de l’armée pour assurer le respect des mesures sanitaires, l’enfermement des contrevenants-nantes dans des camps et l’envoi des récidivistes sur Jupiter. La crise a constitué (et continue de l’être) un test grandeur nature du sens de la collectivité et des responsabilités des citoyens-yennes. Et que les plus jeunes... déconne... du moins déconnent un peu, peut à la limite se comprendre, mais de la part des adultes (« et responsables ») c’est vraiment désolant. L’analogie à la guerre, dans les propos du président de la République ? Pourquoi pas. Mais c’est la guerre et l’appareil productif n’est pas réquisitionné pour fabriquer les « armes » (du tissu et de la ficelle, pour les masques) dont on a besoin ? La France, un des pays les plus riches du monde, n’a pas les moyens de produire tous les équipements de protection et de test nécessaires ? Mais entre l’« effet de comm’ » et une réelle volonté d’assortir une prise de position en des termes aussi graves de l’ensemble des mesures que cela implique, le hiatus gros comme une maison, neuve ou pas, n’aura échappé à personne. En tout cas ni à Aurélie Trouvé, d’Attac, ni à... Xavier Timbeau, de l’Observatoire français des conjonctures économiques. Selon la première, « Emmanuel Macron nous parle de guerre économique, mais les mesures économiques ne sont pas à la hauteur ». Nécessité de mobiliser l’appareil productif ? Xavier est d’accord avec Xavier. Dixit l’économiste en effet : « Il faut pouvoir tout mettre en œuvre, y compris des réquisitions et des nationalisations ».
La Grande Déconnade
C’est donc ensuite la... déconne, en mai, qui a eu lieu en dépit du bon sens. En octobre, ma nièce Léa et son compagnon Clément, qui vivent à Paris, ont été contaminé-née. Pour la première fois de ma vie, je me suis senti directement frappé, si ce n’est dans ma chair, par la dictature capitaliste, avec ce membre très proche de ma famille atteint par ce virus considéré, par les médecins, comme « grave et dangereux » y compris pour les jeunes, chez qui il peut également s’avérer très nocif, et durablement, pour l’organisme. Car M. Conar et les membres de son gouvernement sont des pions du système, comme tous les présidents et gouvernants qui les ont précédés à la tête de ce pays, et comme dans tous les autres pays, mais en pire que tout ce que l’on a connu jusqu’à présent, avec cette génération de dirigeants du « Nouveau monde » en réalité plus réarchaïque que jamais. Le piège s’est définitivement refermé, en attendant les prochaines pandémies, avec ce virus né de la logique néo-libéralo-financiaro-mafio-capitaliste qui anéantit les écosystèmes, tant naturels que sociaux et politiques. Plus aucune politique n’est véritablement et résolument menée dans le sens du maintien de conditions de vie satisfaisantes ou d’amélioration de celles-ci, ainsi que de la protection des populations contre les périls. Il n’est plus de politiques que des riches pour les riches.
« Ça devait arriver », a écrit Léa dans le message dans lequel elle m’informait qu’elle avait contracté le virus. Quoi ??? Autrement dit : c’était inévitable ??? Non !!! Quarante milliards de fois non !!! Ces trois mots totalement dingues disent en réalité que Léa, Clément et tous-toutes les autres n’ont pas correctement été protégés-gées et incités-tées à se protéger ielles-mêmes. Les autorités ont récidivé, dans leur incapacité à déployer tous les moyens nécessaires et leur manque de volonté et de courage politiques (quoique l’on dise d’une lourdeur endémique de la bureaucratie), et en n’édictant pas de stricts mots d’ordre concernant la dangerosité potentielle du virus pour toutes les catégories d’âge, ainsi que pour ce qui est du port du masque et des regroupements, qu’il convenait de continuer d’interdire strictement, y compris chez les gens. Les nouvelles de pochimis-mies contaminés-nées, parmi lesquels-quelles Damien et sa fille Valentine, se sont ainsi multipliées.
J’ai reçu ce message de Carole sa femme (ils habitent près de Lyon), après que je lui ai écrit pour ses cinquante ans... le jour de la Toussaint !... : « Damien et Valentine ont choppé le virus mais s’en sont bien tirés. Ç’a été une autre paire de manches pour ma mère, de passage chez nous avant d’aller chez mon frère. Elle l’a attrapé, et a juste eu le temps de le refiler à mon frangin avant de se retrouver hospitalisée, puis en réanimation, intubée et en coma artificiel. Bon, ça se termine bien. Je suis allée à Rouen chez mon frère. On a pu aller la voir en réa une heure tous les jours, et elle a été réveillée et extubée avant mon retour à Givors. Elle rentre demain en centre de rééducation pour refaire ses muscles mais elle est tirée d’affaire, ouf ! On est repartis pour un confinement à la maison. Lola retourne à son appart deux nuits par semaine (elle fait du baby-sitting) et Célestin retourne au lycée. On est donc tout le temps cinq ou six à la maison… Mais bon, tout va bien, c’est le principal ». Je lui ai répondu : « Je l’évoque dans Mon Dieu, Mon Bouddha et Patata à paraître bientôt, mais l’incompétence totale de celles et ceux qui nous gouvernent... et tous ces gens, de tous les côtés, qui tombent malades : il n’y a pas de mot pour dire le scandale et la catastrophe. Je suis heureux pour ta maman. Et pour Damien et Valentine. Mais l’heure est vraiment, vraiment grave ».
Bravo Emmanuel !!! Le mien ? Mon Manno ? En quel honneur, dans ce chapitre sur la gestion de la pandémie ? Pourrait-il s’agir, alors... du président de la République ? Du même petit nom que mon chéri ? Oui, ça, c’est le comble. Est-ce bien lui, alors que je viens de l’incendier ? Eh bien... oui !!! Et attention ce qui suit est à ne pas en croire ses yeux, car j’ajoute : bravo... Monsieur... Macron !!! Mais voilà que je jélique (de « jélica »), et il fallait donc vraiment que je daignasse pour cela enfin écrire son nom en entier ! (homar... non ! c’est sa minute félicitations !), voilà donc que je jélique... la DOUBLE coïncidence de celui-ci avec celui de mon chéri : un prénom identique, et ce patronyme... étrangement proche du surnom de mon... Emmanuel ! Outre qu’il commence par les deux mêmes premières lettres, on a encore frôlé l’anagramme ! Décidément... Avec les deux Manon croisées plus haut sur les chemins du Mondo-païen, c’était formidable ! L’une d’un point de vue politique, l’autre sur un plan... un peu moins intellectuel. Et il y avait, déjà, dans la première histoire d’anagramme, du Macron ! Ou du moins du Moncon. Je dois dire que je ne comprends plus trop, dans le passage concerné, ce que je raconte moi-même, lorsque je parle, après avoir relevé que Manon (Aubry) est « l’anagramme... de mon Manno ! » (jusque-là ça va), d’un « grand écart d’une anagramme à l’autre, de l’une pour un méchant président (y a “désir” et “tentant” dedans, dis donc !), à l’autre pour mon doudou ». Manon-Manno OK, mais l’autre ?
L’explication, apparemment, est dans cette phrase qui précède le paragraphe du grand écart et du désir : « J’ai quant à moi, pour ces élections, dit Manon à Moncon ». Mais peu importe, nous ne sommes pas, con, à un passage abscons près. Troublant en tutu d’ailleurs ce « désir », pour le « méchant président ». Non qu’il m’en vienne tout d’un coup pour lui, malgré mon soudain et invraisemblable élan (dont on connaîtra peut-être un jour la raison), mais alors que je distinguais les anagrammes Manon-Manno I et II en soulignant que la deuxième relevait d’une dimension « moins intellectuelle », voilà que le charnel s’invite, avec cet inattendu désir, dans Manon-Manno I également. Dans quoi ce mot « désir », ainsi que « tentant », figuraient-ils ? Là encore j’avoue que j’ai eu du mal à trouver : mais c’est, justement, dans « méchant président ». Bon, maintenant, pourquoi ce bravo au méchant président... euh... à Emmanuel Macron? Ouf ! Le prénom et le nom maintenant !... Tout, tout, tout est vraiment possible dans Modoupa, même si, comme dirait Josette (vilin) : « Ça fait mal ». Mais j’abrège (mes souffrances) : bravo Machin (j’ai tout donné) pour ce dont j’ai lu, dans Politis, que cela s’apparentait à une « nationalisation de l’économie » : le chômage partiel des entreprises financé par l’État. Tellement aux antipodes de l’ultralibéralisme maladif micronien (j’avais trop mal). Et à propos de quoi j’entendais récemment un restaurateur opiner à la radio que tout n’allait peut-être pas, dans la politique du gouvernement face au corona, mais que de ce type de mesure il fallait tout de même s’estimer heureux. Ne suis-je pas beau joueur, hein ? Alors que je ne suis même pas concerné ! Mais le « bonheur » (c’est beaucoup dire en l’occurrence) des autres... fait le mien !
Chroniques virales
Retour à la conne, avec Kristela, avant la déconne d’avant la reconne, pour une tranche de vie avec elle et sa fille Maika[3], dans le monde coronarien en herbe de mars 2020 narrée par elle dans son cul : « Après un retour plus que compliqué de Tunisie, avec trois jours de retard, une attente interminable dans les émeutes à l’aéroport de Tunis, nous sommes arrivés à Orly sans aucun contrôle, sanitaire ou autre, puis gare Montparnasse et à Bayonne. J’ai appris que je devais continuer le travail avec des équipes de nettoyage restreintes. Ordre nous a été donné de désinfecter au maximum les trains. Mais sans masques… ». Christelle avait tout de même pu effectuer le voyage bien mérité qu’elle avait programmé avec sa fille, mais à l’origine… en Italie ! Nous avons loué le Seigneur, ensemble, au téléphone, pour avoir été si chanceux tous les deux. En vrai : j’ai échoué à convertir Christelle, malgré cette occasion rêvée, mais nous nous sommes réjouis, de concert, de nos bonnes étoiles respectueuses... Ça recommence. Angelu : « C’est pourtant pas compliqué : vos bonnes étoiles res-pecTIVES ». Respectives respectueuses ? « Oui, très respectueuses, si tu veux, mais continue avec “nos bonnes étoiles respectives” ». Voyons : nous nous sommes réjouis, de concert, de nos bonnes étoiles respectives – ah oui, ça y est –, les remerciant de s’être montrées si respectueuses... Angelu : « Bon, si tu veux... ». Ne m’interromps pas : de s’être montrées si respectueuses, en nous permettant d’effectuer nos voyages respectueux... Ah, là ça ne veut vraiment plus rien dire. Angelu : « Laisse. En vous permettant d’effectuer le voyage qu’elle et toi aviez programmé ». Ah, ok, en nous permettant... « C’est bon !! On a compris ».
Au sujet de l’abominable sort des sans-abris et des migrants-grantes, Sarah, depuis les environs de Lyon où elle habite également, m’a écrit : « Kheira, une amie éducatrice de Perpignan, a été réquisitionnée pour porter assistance, sans masques ni gel, à des enfants migrants confinés dans leurs chambres d’hôtel, qui ne comprennent rien à ce qui leur arrive. Manque de nourriture, pas d’argent pour appeler les parents en Afrique... Elle était déprimée. “La misère”, m’a-t-elle dit... ». Depuis Nice, Vanessa déplorait ainsi la situation : « Je suis très touchée par le sort des plus démunis durant cette période critique pour eux. Les SDF ne peuvent plus mendier, les gens fragiles sont encore plus vulnérables que d’habitude… Il y a des milliers d’enfants dans la rue. Il faudrait que les mairies autorisent les églises et gymnases à accueillir ces personnes. Je crois qu’à Nice rien n’est fait. Pour ce qui est des camps de réfugiés, on leur dit d’y rester puis on les détruit. La situation est intenable, la seule chose que le Secours catholique puisse faire c’est distribuer des chèques-services pour que les plus fragiles puissent au moins avoir à manger et se soigner. Je connais le Secours catholique pour y avoir fait du bénévolat, ils sont dévoués, honnêtes et sérieux. Il y en a bien d’autres… ce n’est pas le choix qui manque. Je vais donner, aujourd’hui, à mon niveau ». J’ai quant à moi ainsi exprimé ma nouvelle passion pour les militaires à Aline, mais à propos de la déconne, deux mois et demi plus tard, dont nous nous rapprochions : « Tu vas voir, si l’armée ne va pas finir par devoir intervenir ! Je dis depuis le début qu’il faut la déployer ». Aline : « C’est ce que dit un ami militaire aussi. Il pense que ça aurait permis de sauver des milliers de vies ».
J’ai un peu triché, pa con, bien que nettement moins que la moyenne je pense vu les écarts que beaucoup se sont permis. J’ai marché jusqu’à une crique au pied du fort Fleur d’Épée, à un kilomètre de chez moi, à raison d’une fois par semaine, pendant les deux mois de confinement, pour me baigner. Je m’y étais maintes fois rendu, depuis la pabachi, entre autres multiples promenades sur l’eau à bord de mon cap-sur-goa jaune au fil des ans. Un jouet que je m’étais offert, faute de mieux (un canoë en dur par exemple), mais pratique parce que je pouvais le ranger sur ma terrasse et, surtout, le transporter à bout de bras sans trop de difficulté jusqu’au bord de l’eau. Mais la crique est également accessible par un chemin en pente raide depuis le haut du morne du fort. Au moins ai-je un peu crapahuté, pour me mettre à l’eau, et ne suis-je pas allé narguer les riverains-raines en me baignant, comme au bon vieux temps, au pied des résidences. Pas envie de passer pour Monsieur Connard ? Aussi. Gravitant la côte vers le fort du quartier résidentiel aux froutes baraques avec vue sur la baie, en route vers une de mes baignades clandestines, la pamoncul de la seule voiture à deux cents mètres à la ronde garée sur le trottoir d’ordinaire encombré arborait mes initiales, XR. Angelu m’encourageait : « Fais-toi plaisir mon Xabi, c’est ta journée ».
Au cours des premiers jours de la conne, pendant mon heure de marche quotidienne réglementaire dans mon village de Bas du Fort des prisonniers-nières, en passant par la pabachi, j’ai vu trois polissonnes à cinquante mètres du rivage dans l’eau, que j’ai maudites de loin. Mes poutanas m’ont permis, de retour de ma balade, de repasser juste au moment où elles en sortaient, pour les alpaguer : « Bonjour Mesdames, ça fera 150 euros chacune. Je n’ai pas l’air comme ça, mais vous voulez que je sorte ma carte ? ». De flic. « Mais non, je plaisante ! Elle est bonne au moins ? ». Petit rire gêné des dames. Ainsi les ai-je mises en boîte, doublant la peine d’enfermement, avant qu’elle ne regagne leurs quatre murs. Alors que j’effectuais, quel sutard, tout en discutant au téléphone, dans ce même décor, des va-et-vient sur le sable, un zodiac avec deux gendarmes à son bord a surgi entre les deux digues du bassin. Il s’est approché du ponton du milieu. Deux poliSSONS cette fois, sur la plage, après leur bain, regagnaient leurs serviettes. Un gendarme est allé droit sur eux, et le deuxième resté en retrait derrière lui est venu vers moi. J’ai raccroché. Celui-ci m’a demandé si je savais que les plages étaient désormais interdites d’accès. Je n’en avais eu vent d’aucune des personnes que je croisais, pourtant, dans la résidence et dans le quartier, à peu près tous les jours. Et je n’étais vraiment pas fan des médias écrits, télévisés ou radiophoniques locaux, que je ne consultais par conséquent pour ainsi dire jamais. Le flic m’en a donc simplement avisé, sans me verbaliser, ajoutant que je ne devais pas hésiter à en informer les gens autour de moi, afin qu’ils ne prennent pas bêtement une amende. Il est alors allé rejoindre son collègue occupé avec les deux contrevenants, à qui le séjour dans l’eau a en revanche valu d’en écoper.
Mon voisin Ouriel a frappé à ma porte, un soir à minuit, pendant la conne, pour me demander si je n’avais pas un médicament plus fort que le paracétamol pour sa femme Audrey en pleine rage de dent. Rien de tel dans ma pharmacie. Quant à d’éventuels anti-inflammatoires, chez un colopathe il avait peu de chance d’en trouver, et n’avait donc vraiment pas frappé à la bonne porte. Il est monté chez Sandrine, mais elle n’a pas répondu, ou il n’a pas osé frapper, parce qu’il est aussitôt redescendu... J’ai fait sonner son téléphone portable, une seule fois, vu l’heure tardive. Elle m’a rappelé, mais elle n’avait pas de quoi venir en aide à Audrey non plus. Je me suis rendu à la pharmacie, le lendemain matin, pour la première fois depuis le début de la conne : j’avais besoin de nouvelles loupes, pour mes vieux yeux, car je venais d’en casser deux paires coup sur coup. J’ai soumis ma demande au vendeur derrière sa vitre en plexiglass, au premier comptoir sur la droite. Il m’a indiqué des lunettes, sur un présentoir à la droite du comptoir : autrement dit des lunettes d’extrême droite. Tant pis, j’en avais besoin, et je suis donc allé un mètre plus loin, sur le côté, pour les inspecter. Deux dames positionnées derrière moi à la marque jaune au sol se sont à leur tour présentées au pharmacien, à qui elles ont expliqué qu’elles avaient besoin d’un médicament… pour une rage de dent ! Dans cette même pharmacie, une ou deux semaines plus tard, une vendeuse, à un autre comptoir, a posé les probiotiques et le paracétamol que je lui avais demandés devant moi, par l’ouverture à la base de la vitre en plexiglass fixée devant sa caisse. Après avoir réglé mes médicaments, quand j’ai voulu me saisir des deux boîtes, mes doigts les ont heurtées, les faisant glisser toutes les deux exactement de la même manière et retourner de l’autre côté de la vitre. Ça m’a amusé, ainsi que la pharmacienne, une Gwadloupéyèn aussi belle que peu amène mais qui du coup s’est un peu déridée, et qui a même prononcé toute une phrase. J’ai ri, bien qu’à cause de son masque et du plexiglass je n’aie rien compris.
Les médicaments ont hésité à me laisser les saisir, en raison de ma propre tergiversation, du moins en ce qui concerne le probiotique, dont une marque m’avait été recommandée par un iridologue que j’avais consulté à Nice et une autre que Vanessa, via ouate-zeu-pape, m’avait indiquée. L’iridologue, en une seconde en regardant ma pupille à l’aide de son appareil, avait vu qui j’étais et m’avait tout dit de ma constitution au regard de ma pathologie. C’était notamment la première fois en trente ans qu’un médecin ou thérapeute me disait que j’étais spasmophile. Enfant, en effet, je faisais des crises, avec des sensations très étranges, et très angoissantes, et mes parents m’emmenaient, tous les deux ou trois mois chez un homéopathe à Bordeaux qu’ils avaient consulté ensemble pour ielles-mêmes. Vanessa m’a suggéré un probiotique – déjà pris, sans résultat bisû, que celui de mon iridologue n’a pas davantage procuré –, dont il était question dans l’article qu’elle m’a envoyé avec son message, intitulé « Covid-19 : la piste du microbiote, vers un nouveau paradigme ? »[4]. Microbiote auquel la science a enfin commencé à s’intéresser il y a peu. Le monde occidental marche vraiment sur la tête. Sur le plan médical, son modèle se situe à ce point à l’opposé d’une approche holistique telle que la prône la médecine traditionnelle indienne ou chinoise que beaucoup de spécialistes ne voient que l’organe pour lequel ils ont étudié pendant dix ans et rien autour. Et donc même pas, des fois, ce qu’il y a dedans ! Puisque l’on commence à peine à déflorer les intestins, qui pourtant régissent tout. L’article précise : « Comme toute guerre permet des avancées scientifiques et techniques fulgurantes, il y a fort à parier que cette pandémie mondiale, ainsi que la mobilisation scientifique qui l’accompagne, nous apprendront beaucoup sur le système immunitaire et, puisqu’il en est désormais indissociable, le microbiote ». SM 4 pointerais-tu le bout de ton nez ?
« Agni, Agni, toujours Agni ! », clamait Vanessa à la fin de son message. Qui c’est-y que ça encore ? « Le dieu du feu, le gardien des maisons et le protecteur contre le mal. »[5] Le bel écho encore avec ce terme, « protecteur », juquri « protection » dans la phrase précédente ! Partout, sur les murs et les portes des maisons, dans le Rajasthan, ce symbole : la svastika. « Comme son nom l’indique, l’Agni védique est hérité d’une divinité indo-européenne du feu. A l’époque védique, en Inde, un instrument servant à faire du feu – appelé “arani” – et confectionné à partir d’un morceau de bois d’acacia, était essentiel pour allumer le feu à l’occasion des rituels et sacrifices brahmaniques. Le dieu du feu, Agni, était censé surgir du bûcher. Certains chercheurs estiment que cet ancien instrument aurait été à l’origine du symbole de la svastika. Il est en tout cas remarquable de constater qu’on la trouve dans les civilisations les plus éloignées. Tout a commencé en Mésopotamie, puis sa présence s’est affirmée, au cours de l’Âge du bronze, en Asie centrale, dans le Caucase, en Europe et dans les pays nordiques. Elle s’est ensuite retrouvée en Chine comme en Amérique du Nord. Étrange, tout de même, que l’on ait ainsi retrouvé ce même symbole en plusieurs endroits de la planète : mouvement rotatif, motif décoratif, symbole religieux, les riches fonctions potentielles de la svastika ont certainement contribué à un tel succès mondial ![6] La svastika, en Inde, est le symbole premier du jaïnisme, et considérée par ses adeptes comme le plus favorable de tous les symboles. Les hindous l’associent, entre autres, au dieu Ganesh. Elle est omniprésente, également, chez les bouddhistes. En Chine, elle symbolise l’éternité. D’origine indienne, sa provenance première pourrait être l’Asie mineure, où elle représente les forces cosmiques, depuis 4 000, voire 5 000 avant Jésus-Christ ».[7]
Odyssées
Et maintenant : Ulysse. Vanessa m’a raconté son confinement, au téléphone, qui a notamment consisté dans la relecture des écrits d’une amie dans laquelle celle-ci s’est livrée à un parallèle entre l’Odyssée et le Ramayana. Elle n’y est pas allée, sur ce sujet, par quatre chemins : « Homère est un plagiaire, ou plutôt un bouffon qui, pour divertir ses contemporains, n’a pas hésité à déformer la puissante saga de Ram pour en faire sa risible Odyssée ». Pas vrai, ce n’est pas elle qui l’a dit, mais... encore un Xavier[8] ! Dans « Le Ramayana et l’Odyssée ». Xavier qui déboule, dans l’évocation de ces deux grandes épopées fondatrices (du moins une et l’autre pompée), trois lignes après Jésus-Christ, et dont la nobapa, danupag, a arboré un 69. Infinie odyssée des synchronicités... « Ulysse est-il l’avatar grec du demi-dieu Rama tel qu’on le retrouve dans l’épopée du Ramayana en Inde ? », s’interroge Xavier. Et qu’ai-je trouvé, peu avant, dans ma lecture d’India, A Short History. Ce même parallèle ! (« Georges Dumézil et Mircea Eliade ont relevé des analogies entre le Mahabharata et l’Illiade, entre le Ramayana et entre l’Odyssée ».) Mais ça n’est pas tout ! Car j’avais justement écouté, quelques jours avant ma conversation au téléphone avec Vanessa, un des épisodes de la série l’« Odyssée d’Homère » de France Culture ! J’avais même noté ces propos aussi éloquents qu’iconoclastes – et encore une fois tellement sur ma propre longueur d’ondes ! – de l’intervenant, Pierre Pellegrin, chercheur au CNRS spécialiste d’Aristote :
- Ulysse est un héros civilisateur, il représente l’homme arrogant pour la nature et les autres, dont nous nous efforçons aujourd’hui de déconstruire l’image. Où qu’il aille, il apporte la ruine, la désolation pour satisfaire ses envies... Revenons sur les cyclopes [qu’il évoque dans une première partie de l’émission] : tout le monde en dit du mal. Je les aime bien, moi, les cyclopes. Alors que pour les gens comme Ulysse, ils sont insupportables ! Pourquoi ? Parce qu’ils sont proches de l’état de nature, ne demandent rien à personne, ne travaillent pas la terre, n’ont pas d’État, ne rendent pas de culte aux dieux, ne sont pas des conquérants, ne demandent rien à personne, et sont anthropophages. Ils ne le sont d’ailleurs pas tant que ça. Ils le sont avec Ulysse, mais en temps normal ils mangent du fromage.
- Cela me fait penser au discours des colonisateurs qui ne pouvaient pas supporter que des peuples « sauvages » soient là, à rien faire. Ils disaient qu’il fallait les mettre au travail, et donc leur créer des besoins, les intégrer. Ulysse veut civiliser et coloniser, il se dit : « Quelle terre extraordinaire, tout ce qu’on pourrait en tirer si on faisait travailler ces fainéants !… ». Les cyclopes ont plusieurs îles, dont une entièrement laissée à l’état de nature. Les animaux n’y sont pas chassés, si bien que les chèvres sauvages qui l’habitent n’ont pas peur des humains. Eh bien que fait Ulysse, avec ses copains ? Ils arrivent et ils les massacrent toutes, exactement comme les Européens les bisons en Amérique, bien au-delà de leurs besoins alimentaires, parce qu’ils sont comme ça !
- On ne peut pas prendre un tel homme comme modèle, aujourd’hui, car ce sont des Ulysse qui nous ont laissé la Terre dans cet état. Ulysse est un héros des Lumières, avec tout ce que cela comporte de négatif, qui saccagent, veulent soumettre la nature et les humains, et nous droguer au travail. Bon, je force un peu le trait, et je ne dis pas que je n’aime pas Ulysse. Mais il faut réhabiliter les cyclopes !
Ulysse ne me quittait plus, et l’ombre du mythique aventurier, quel sutard, a de nouveau plané sur mon chemin, au bout du bout de l’aile orientale du papillon guadeloupéen, à la pointe du bec du colibri grande-terrien (ainsi que les contours de l’île semblent en dessiner un). Là où la mer des Caraïbes rencontre l’océan Atlantique, dans un contraste époustouflant entre les bleus des mers du Sud et le bleu marine, où la côte se déchiquète, où les courants s’emballent, et où les vagues se fracassent sur les falaises et les rochers. La vue est sublime, d’en haut du monticule rocheux de la Pointe des Colibris (d’après ladite silhouette ?) surmonté d’une grande croix. Une vue sur les falaises en contrebas, et tout le panorama avec l’île de la Dézirad, la plus petite de la sororité calcaire, majestueuse dans ses atours de cratère de volcan. Je me suis d’abord arrêté le long de la route, un peu avant l’extrémité du bras de terre, afin d’accéder à la plage de Grande Anse des Salines. J’ai assez longuement crapahuté, jusqu’à l’étang salé accessible par un petit chemin, dans la lande, entre sable blanc et rivage brun autour du plan d’eau, (re)découvrant le paysage et les couleurs extraordinaires de ce grand ovale auburn cerné de la palette de verts des arbustes qui l’entourent. J’y ai également observé quelques jolis petits échassiers sur leurs fines pattes rouges. Moins bucolique, tout le long de la plage, dans l’eau, et échoués sur le bord : une quantité infinie de débris, de morceaux de panneaux de bois blancs. Les restes de la coque d’un bateau ? J’ai effectivement immédiatement pensé à un naufrage, mais sans trop y croire, parce que ça n’arrive pas, ça non plus, tous les quatre matins.
De retour à ma voiture, j’ai repris la route, mais tout d’abord pour parcourir les deux cents mètres de bitume restants, jusqu’à la petite plage de l’Anse des Châteaux. Un vaste espace, au centre de la grande plateforme rocheuse des falaises au bord de l’eau, à gauche de l’accès à la plage, avait été entouré de pierres. Des mini écriteaux en interdisaient l’accès, afin que les promeneurs-neuses n’y piétinent pas les plantes qui avaient commencé à pousser pendant les deux mois où pas le moindre humain n’y avait mis les pieds, car la route depuis le début de cette pointe extrême-orientale de l’île avait été barrée. Les oiseaux aussi avaient repris leurs aises, revenant pondre aux abords des salines après les avoir désertées, au fil des années. Puis côté plage à droite, partout dans l’eau, soulevés par les vagues, et surtout au bord et sur l’estran : les mêmes débris que sur la plage de Grande Anse, mais en quantité plus impressionnante encore, car concentrés sur un espace beaucoup plus restreint et, surtout, parce qu’il s’agissait, mais ce que je ne savais pas encore... du lieu de la tragédie ! Les remous de ce bord de mer interdit à la baignade mais où il m’est tout de même arrivé, quelques fois, de profiter des vagues qui s’y engouffrent – très brouillonnes toutefois et où le body n’est par conséquent pas des meilleurs –, s’étaient transformés en un bouillon de planches et autres matériaux à moitié fracassés... Je m’imaginais me mettre à l’eau, dans tout ça : broyage garanti ! Frisson.
J’ai raconté ça le lendemain au téléphone à Manno. Il m’a envoyé, dans la foulée, ses infos pêchées sitet. Un invraisemblable naufrage s’était effectivement produit, la veille de ma virée dans ce coin où je ne me rends... pas non plus tous les quatre matins, et dont voici le récit :
- La goélette Bielle Marie-Galante, propriété de la distillerie familiale éponyme, a coulé le 19 juin [2020] vers 21h22 après avoir heurté les enrochements de la Pointe des Châteaux, à l’extrême est de la Guadeloupe. Après avoir rejoint un îlet par leurs propres moyens, les six membres d’équipage ont été hélitreuillés vers 23h16 par Dragon 971, l’hélicoptère de la Sécurité civile. Une femme de l’équipage a été évacuée en urgence relative vers le CHU de Pointe-à-Pitre par les sapeurs-pompiers. Longue de 23 mètres, la goélette avait appareillé le matin même de Grand-Bourg, à Marie-Galante, à destination de Marseille, où elle était attendue le 8 août, avec à son bord une cargaison de 62 tonnelets de rhum. Une fois en Méditerranée, la distillerie Bielle Marie-Galante devait effectuer une navigation dans le sillage d’Ulysse [le revoilà !] avant de rejoindre Marie-Galante vers la fin novembre pour y débarquer sa cargaison, déjà pré-vendue sous l’appellation « cuvée Odyssée ».
- « Le navire a percuté les rochers à une vitesse de huit nœuds. C’est totalement incompréhensible. Pourquoi doubler la Pointe des Châteaux alors que le parcours initial prévoyait une remontée le long de la Côte-sous-le-Vent ? J’attends avec impatience le rapport de mer du capitaine, un marin pourtant confirmé », a vivement réagi Dominique Thiery, le directeur de la distillerie.[9]
Commentaires de la journaliste de Guadeloupe La Première et interview, dans la vidéo qui suit :
- Voici la goélette de Bielle à son départ du port de Marie-Galante vendredi dernier. Destination Marseille : la concrétisation d’un projet pour renouer le lien ancien entre le rhum et la mer, avant d’entamer, en Méditerranée, un voyage sur les traces d’Ulysse, selon le mythe grec de l’Odyssée. Un périple de 10 milles nautiques avec à bord 62 fûts, pour un total de 1 500 litres de rhum. Ballotée par les flots, la production aurait mûri au grès des vagues pour obtenir un rhum de qualité, qui devait être vendu en fin d’année. Mais la traversée s’est brutalement arrêtée, en pleine nuit, à la Pointe des Châteaux.
- Jean-Luc Vasseur, responsable de production de la distillerie Bielle : « Sur le trafic, on voit que le navire est allé sur Sainte-Anne. Il a tiré un bord, est revenu, puis est passé devant Petite Terre et reparti en direction de la Pointe des Châteaux. Et là, la direction est vraiment sur la Pointe des Châteaux, jusqu’au dernier moment, où il a percuté les rochers ». Aucun blessé grave, heureusement, n’est à déplorer, et l’équipage a rapidement été secouru, mais le navire, lui, est au fond de l’eau, et sa cargaison à la dérive. Un coup dur pour Bielle, car cette traversée, la troisième pour la distillerie, s’inscrivait dans le cadre d’une campagne promotionnelle sur laquelle l’entreprise fonde de grands espoirs.
- Jean-Luc Vasseur : « Il y a eu quelques blessés légers. Le membre de l’équipage qui était devant et commençait à se reposer pour prendre son quart de minuit a été témoin de l’impact, très violent. Il a vu les roches : c’est rentré dans sa cabine. C’est un coup dur, car c’était un projet glorifiant pour la distillerie, le projet du marin, du rhum et de la mer, qui visait à renouer avec des traditions ancestrales ».
Il ne manquait que le grand Armatya, avec qui nous étions censés nous être dit aurevoir, mais qui n’a pas résisté à l’envie de venir clôre cet incroyable feuilleton. Et voici ce qu’il m’a donc raconté à son tour, par la voie de son Indien, quand juquri je l’ai retrouvé :[10]
- La prolixité n’est pas le trait de caractère le plus étranger aux Indiens. Quand nous commençons à nous exprimer, ça peut durer longtemps. Le record du discours le plus long jamais prononcé dans l’enceinte des Nations Unies (neuf heures non-stop) a été établi par Krishna Menon, alors chef de la délégation indienne, il y a un demi-siècle. Personne, depuis, nulle part, ne l’a égalé. Et d’autres sommets de loquacité ont été atteints par d’autres Indiens. Oui, nous aimons parler.
- Ce n’est pas nouveau. Les grandes épopées de l’Inde, le Mahābhārata et le Rāmāyaṇa, souvent comparées à l’Iliade et à l’Odyssée, sont infiniment plus longues que les écrits que le modeste Homère s’est avéré capable de réaliser. Le Mahābhārata est en effet, à lui seul, l’équivalent d’environ sept fois l’Iliade et l’Odyssée réunies. Le Mahābhārata et le Rāmāyaṇa constituent, à n’en pas douter, de grandes épopées : le souvenir de la découverte de ces œuvres, qui ont tant enrichi ma vie, quand j’étais jeune et avide de stimulation intellectuelle et de pur divertissement, me remplit de joie. Elles sont une succession de récits d’aventure tissés autour de leur trame principale, tellement riches de dialogues et de dilemmes passionnants, de réflexions à entrevoir sur les différentes perspectives pour l’avenir, et d’arguments et contre-arguments formulés dans d’incessants débats et d’interminables joutes verbales.
Merci Armatya, revenu me dire ça ! Quoi qu’il en soit j’ai du mal, il faut croire, avec les « au revoir ». Mais comment s’étonner, pour un tel compagnon de route, que j’aie du mal à le quitter ? (Oserais-je penser que c’est un peu réciproque ?) Bon, mais quand-même, au revoir Armatya. Je lui dirais comme ça ? Ou peinerais-je à ce point à m’en détâcher que lui dirais, plutôt, « aurevoir » en un mot ? Je le dirais en tutu comme je l’entendrais, et pour mes oreilles ce serait pareil. Pour Armatya le tutu ça se verrait, mais ni un adéquat au revoir ni un incorrect aurevoir ne s’entendrait, ou plutôt les deux, s’entendraient, mais de la même manière. Mais c’est vrai ? J’ai du mal, moi, le globe-trotter, avec les au revoir ? Non. Juste à les écrire. Un mal fou, même, on dirait. Car je persiste, et signe, avec « les au revoir », ainsi que je viens de l’écrire. Non... Enfin si. Mais c’était voulu, pour pouvoir persister et signer. Pour ménager ce dernier effet avant une orthographiquement correcte prise de congés. Congés ? Congé ? Non, ça je sais. Là, je fais exprès. Pour « les au revoir », en revanche, en vrai je me suis bel et bien trompé. J’ai bel et bien persisté, dans mon éternelle erreur, mon éternelle difficulté, avec les au revoir et les aurevoirs. J’ai même essayé des au-revoir, et dois à Internet d’être en mesure, ça y est, pour de vrai, de réussir des aurevoirs.
Jusqu’à l’âge d’au moins quatorze ou quinze ans, j’étais encore plus handicapé des aurevoirs. J’occupais déjà ma chabadaka à Baiona en effet quand un jour, Ama, assise à mon bureau avec moi, devant mes fenêtres au ras du sol, lisant un de mes « délires rédactionnels », a levé les yeux, à un moment donné, et m’a demandé, d’une voix douce, intriguée : « Pourquoi tu dis “enrevoir” ? ». C’est ce que j’avais écrit, au lieu d’« au revoir » ! Toute ma vie, jusqu’à la fin de mon adolescence, j’avais donc dit « enrevoir » au lieu d’« au revoir », sans que personne ne s’en rende compte. Les gens me quittaient sans savoir que je ne leur avais pas dit au revoir. Parce que ça ne s’entendait pas. Je disais « enrevoir », mais les gens comprenaient « au revoir ». J’ai dit au revoir à Ama pour la toute dernière fois, sans le savoir évidemment, à l’Hélio Marin, où je l’ai laissée, à la table de la salle à vivre de son unité des Atolls, un peu avant le 15 juillet 2018. Mais lui ai-je dit un vrai au revoir, pour son Gépar ? Oui, je pense, et non un faux comme j’en avais eu l’habitude, et comme à Armatya, mais d’un autre genre. Un faux aurevoir, à l’économo-humaniste qui, en réalité, était un faux faux aurevoir, mais ce dernier n’en étant donc pas vraiment un, car, dans « se dire au revoir », il ne s’écrit pas en un seul mot mais en deux mots. Un faux aurevoir qui n’est pas un aurevoir, ça fait donc un vrai aurevoir. Mais j’ai écrit « faux faux aurevoir », ce qui revient, par conséquent, à un faux vrai aurevoir, et donc, effectivement, à un faux aurevoir. Oui, mais non, car, par « faux faux aurevoir », je voulais dire que mon « aurevoir » n’était pas dû au fait que j’ignorais – ne s’agissant pas d’un substantif pour lequel cette orthographe conviendrait –, qu’il devait être écrit en deux mots, « au revoir », mais parce que je me suis trompé en le tapant. Il s’agit donc bien, à ce titre, d’un vrai aurevoir, bien que d’un faux aurevoir quand-même, car d’un aurevoir qu’Armatya et moi étions censés nous être dit, et qui n’a pas été suivi d’effet, mais de ce nouvel aurevoir.
Et si j’avais dit enrevoir, à l’Hélio, à Ama ? L’enrevoir dont La Voix m’a dit à travers elle, dans ma chabadaka, qu’il était temps que je m’en défasse, et que j’adopte l’aurevoir ou l’au revoir, selon le cas, de tout le monde, sans même passer par la case en revoir en deux mots, qui eut pu constituer une première étape dans un détachement du revoir. Car que disais-je, avec cet enrevoir, à part un non-aurevoir, parce que je ne voulais peut-être pas, jamais, dire au revoir ? Que disait-il en effet si ce n’était une envie de rester dans le revoir, ou le voir tout simplement, car s’il ne finissait jamais il n’avait pas besoin de re-commencer. Si j’avais dit enrevoir à Ama, à la table de son dernier dîner (le toutni que je l’ai vue prendre), le « la voir », le « nous voir », n’auraient-ils jamais cessé ? Ipacool !!! Oui, ho, je ne sais pas si c’est Toi, Angelu, ou vous, Monsieur Aldama, qui me rappelez à l’ordre, mais vous voyez bien qu’il n’y a là que fable, et non pas d’intention de spéculer, sérieusement, sur le passé. Te dire enrevoir pour ne jamais cesser de te voir, Ama ? Dia !! Vous dire enrevoir pour ne jamais cesser de vous voir, Armatya ? Bah !! Il faudrait, pour cela, déjà... que l’on se voie ! On se verra ? À voir. Qui vivra...
Au revoir à toi Ama. À te revoir. Tous les jours. Jusqu’à la fin des temps.