Chapitre 18 – La nuit s'est abattue sur Kaboul
H[1] Premier ministre. Quelle ultime machination, de politique interne et surtout internationale, a pu rendre possible la nomination, à ce poste, de ce combattant sanguinaire responsable de la destruction de la moitié de la ville de Kaboul, de la mort de milliers de ses habitants et de l’exode de dizaines de milliers d’autres ? Quelle comparaison possible entre les deux « chefs de guerre » et ennemis jurés qu’étaient le Tadjik Ahmed Shah Massoud et le Pachtoune H ? Loin d’un quelconque fanatisme religieux, le commandant Massoud était présenté par tous-toutes comme un Musulman plutôt « libéral » et, surtout, comme un « patriote », le chef d’un combat pour la défense de l’intégrité et de la liberté de son peuple et de son territoire. H, au contraire classé parmi les musulmans les plus radicaux, avait avant tout le profil d’un tyran, d’un homme sans foi ni loi particulièrement enclin à « retourner sa veste », dans un contexte où les revirements d’alliance, cependant, à sa décharge (si l’on peut dire), étaient la règle.
Kaboul a gravi un à un les échelons, depuis les années quatre-vingt de gouvernement pro-soviétique, vers l’intégrisme religieux. Une décennie durant, l’islam a été banni du pouvoir, avec tout ce que cela a pu impliquer en termes de libération des mœurs dans des domaines où, avec la religion, les interdits sont légion. « Nous avions tout à Kaboul, l’alcool, les boîtes de nuit. On s’amusait bien. Les filles et les garçons ensemble… tout était permis ! » : ainsi Monsieur Kabouli se remémorait-il le temps de l’occupation soviétique. Époque révolue d’un régime qui, bien loin toutefois de n’être synonyme que de libertés nouvelles, était avant tout celui de la dictature communiste. Monsieur Kabouli évoquait parfois, avec le sourire, le souvenir de cette période à Kaboul, mais son regard s’assombrissait lorsqu’il abordait le sujet d’un séjour qu’il avait passé dans la prison de Pol-e Sharki, à quelques kilomètres à l’est de la capitale, en contestataire du pouvoir en place qu’il était, où seule la chance peut-être lui avait valu de ne pas subir le sort de tant de ses semblables qui n’en sont jamais revenus-nues. Bien que nus dans leur immense majorité sans doute... Époque redoutable, donc, sur le plan des libertés civiques, même si les avantages d’un système jouissant d’un soutien externe comme celui de l’Union soviétique et de multiples accords de coopération avec des pays tels que la France n’étaient évidemment pas négligeables. Il y avait donc également, du point de vue de l’économie et du niveau de vie, de quoi songer au passé avec nostalgie…
Le régime communiste de Kaboul n’a tenu qu’une centaine de jours après la décision de I’URSS agonisante de lui retirer son soutien. L’année 1992 est celle du passage des moudjahidines de la résistance à I’envahisseur à la prise du pouvoir, ceux-ci contribuant dans un premier temps à saigner davantage leur pays en se montrant incapables d’assurer une transition pacifique. L’avènement d’une république islamiste a eu lieu dans le sang, provoquant I’apocalypse dans Kaboul, qui avait jusqu’alors relativement été épargnée par Ia guerre. Il a marqué le commencement d’un peu plus de quatre années de gouvernement du clan tadjik des moudjahidines et la fin (provisoire) de l’éternelle suprématie pashtoune. Des années de déconfiture d’un système qui, à Kaboul, d’un point de vue économique notamment – sans que la majorité de la population n’ait toutefois jamais franchi le seuil de pauvreté – présentait un semblant de vitalité. Hormis un desserrement de l’étau, sur le plan des droits civiques et politiques, dans tous les autres domaines le bilan est désastreux. En 1992, avant la guerre des factions qui a mis le pays à sac, un dollar des États-Unis valait une trentaine d’Afghanis, la monnaie du pays. Quatre ans plus tard, pendant ma mission, il s’échangeait à environ... vingt-cinq mille Afghanis ! J’en ai brassé, des méga-liasses de billets !! (Même leur odeur me revient, en les évoquant.) Pour la population qui ne croyait désormais plus en rien ni personne, l’humanitaire constituait encore et toujours – et ça n’a jusqu’à aujourd’hui malheureusement jamais cessé d’être le cas – le principal recours.
Retour à l’islam, donc, en 1992, à Kaboul (jamais un pouvoir central n’a régné sur la totalité du territoire de l’État « failli » afghan), avec l’arrivée des « moudjs » au pouvoir. Adoption de la sharia, la loi islamique qui, pour une série de méfaits prévoit les châtiments sévères que l’on connaît. Et les femmes, évidemment, ont cessé de jouir d’une liberté égale à celle des hommes comme c’était le cas sous le régime communiste. La plupart des exactions qui avaient lieu dans Kaboul, du moins durant les quelques mois où j’y ai vécu, avaient davantage trait à des faits de guerre, avec tous les dérapages que cela peut comporter : main basse sur les traîtres, tortures... Pour preuve les cris dans la nuit provenant de certaines des maisons du quartier de Wazir Akba Khan regorgeant des QG des moudjahidines où la base de MDM était établie. Une seule exécution de trois personnes en place publique pour des motifs liés à la guerre ou de droit commun a eu lieu pendant mon séjour à Kaboul. La population n’évoluait certes pas dans un paradis des droits humains, mais elle ne souffrait alors pas tant de la tyrannie d’un régime que de son absence dans tous les domaines, parce que dépourvu de moyens et contraint de poursuivre la guerre... Mais H, à son arrivée à la tête du gouvernement, a entrepris de fermer les cinémas et d’instaurer toutes les règles anti-plaisirs-de-la-vie de l’islam pur et dur. Il est allé jusqu’à envisager d’imposer aux femmes des ministères qu’elles s’habillassent en noir... Sorte de prélude de ce qui allait se passer trois mois plus tard avec le grand bond en avant vers l’intégrisme religieux des nouveaux maîtres de Kaboul. En attendant, la reprise en main des affaires du gouvernement par H passait par une de ses mesures phares : enseigner le Coran dans les ministères... en personne !
Il suffisait décidément que j’eusse le dos tourné pour qu’advînt le pire. Car c’est dans le désert de Farah que me sont parvenues, depuis la capitale, les premières nouvelles alarmantes. Ma mission de six mois + 2 accomplie, je suis en effet allé passer quelques temps auprès de mes collègues de Médecins du Monde de Herat[2], à l’extrême ouest de l’Afghanistan, à proximité de la frontière avec l’Iran. Dont je me suis encore un peu plus rapproché en rendant visite, également, à ceux de la mission de la bourgade de Farah, en plein désert, deux cents kilomètres plus loin. À Herat, j’ai retrouvé Sylvain, l’homme du fax de Kigali ! Il fait partie de ces personnes rencontrées au cours de mes deux missions humanitaires que j’aurais un tel bonheur à revoir ! Au Rwanda, comme en Afghanistan, nous avons caressé le projet de partir en vacances ensemble. Mais, les deux fois, c’est tombé à l’eau. Dans les deux cas… à cause de la guerre. Quelles expériences de rêve nous sont passées sous le nez ! Au Rwanda, nous voulions aller voir... les gorilles, dans la zone du stratovolcan de Nyiragongo des montagnes des Virunga, à la frontière avec ce qui était encore le Zaïre, et où la célèbre primatologue américaine Dian Fossey, en 1985, a été assassinée. « La décen¬nie qui a suivi le géno¬cide a été une période dange¬reuse pour les habi¬tants de la région, les gorilles et les touristes. En 1999, des rebelles hutus qui avaient échappé à l’ar¬mée de Kagame en fuyant vers la Répu¬blique démo¬cra¬tique du Congo se sont intro¬duits en Ouganda et ont attaqué un groupe de touristes en marche pour voir les gorilles de la Forêt impé¬né¬trable de Bwindi, près du Parc natio¬nal des volcans. Les rebelles ont tué quatre Britan¬niques, deux Améri¬cains et deux Néo-Zélan¬dais, en plus du guide touris¬tique ougan¬dais. Au fil des années, d’autres événe¬ments tragiques ont eu lieu. Des actes de violence répé¬tés au Rwanda ont causé la mort de plus de cent gardes fores¬tiers. Plus d’une centaine de leurs homo¬logues congo¬lais sont égale¬ment tombés en se battant dans leur pays »[3]. Nous aurions pu rendre la pareille à ces rebelles qui, à Kigali, nous avaient fait l’honneur de leur visite. Sylvain y avait-il eu droit aussi ? Japu. Je lui demanderai la prochaine fois que je le verrai ! Mais sauf à vouloir compléter leur tableau de chasse, peut-être était-il quand-même préférable d’y renoncer, comme nous l’avons donc finalement décidé.[4]
En Afghanistan, notre rêve était de découvrir une merveille que ni nous ni personne d’autre ne pourra plus jamais admirer : les bouddhas de Bamyan, trois statues monumentales excavées dans la paroi d’une falaise de cette cité du centre de l’Afghanistan, à deux cent trente kilomètres au nord-ouest de Kaboul et située, celle-là, à une altitude de deux mille cinq mètres. Les tebés, en effet, les ont dynamitées... le 11 mars 2001 ! Un 11 encore, et donc six mois jour pour jour avant la pulvérisation des Tours jumelles de New York !! L’évolution des lignes de front entre Kaboul et Bamyan nous en a empêchés. Sylvain, en Afghanistan, n’était donc pas administrateur d’Action Internationale Contre la Faim comme à Kigali mais, comme moi cette fois, de Médecins du Monde, et à Herat, pas à Kaboul, car nous ne nous entendions tout de même pas au point de partager le même fauteuil. Et qui, alors, occupait celui d’administrateur de son ancienne organisation à Kigali ? Un Xavier ! Aaah ! Mon Xavier ! De tous, je crois, mon préféré. C’est fou n’empêche aussi, que ça tombe sur un homonyme... L’appréciais-je à ce point ? Car, un soir, lors d’une des moult soirées organisées par lui et ses collègues dans leurs locaux du même quartier de Wazir Akba Khan que celui de MDM, nous nous sommes même embrassés sur la bouche. Bon, c’était pour rire. Car il n’était pas mon type[5]. Ça s’est très mal terminé pour Xavier, non pas la soirée mais sa mission à Kaboul : il a été victime, comme un certain nombre d’autres d’expatriés-iées kaboulis-lies à la même période, d’une contamination avec de la viande avariée. Les cuisiniers-nières des organisations humanitaires obéissent à des consignes très strictes, dans le choix des produits sur les marchés, dans des pays où les pratiques d’hygiène et de conservation ne satisfont pas forcément aux normes les plus exigeantes (sic). Mais les risques, la preuve, ne peuvent malgré tout s’en trouver totalement écartés. Le bruit a couru que Xavier avait perdu dix kilos en trois jours. C’est arrivé alors que ma propre mission touchait à sa fin. Je n’ai plus jamais eu de nouvelles de lui. Peut-être un jour, pour lui, Sylvain ou un-une de mes autres anciens-ciennes frères et sœurs d’armes préférés-rées, une surprise de la Matrice ?
Je suis véritablement resté en contact avec un seul d’entre eux : Christian, qui était administrateur comme moi, à Kaboul, où il n’empiétait toutefois pas davantage sur mes platebandes, officiant pour Pharmaciens Sans Frontières, mais on vivait ensemble ! MDM le logeait, en effet, lui et son binôme infirmier Guillaume, dans sa maison de WAK, Christian s’acquittant auprès de moi, tous les mois, au nom de son organisation, du loyer et de la participation aux frais correspondants. Nous avons organisé des retrouvailles de notre fameuse équipe MDM-PSF une fois, à Paris, dans le courant de l’année 1997, peu après que nous en sommes tous-toutes revenus-nues (mais vivants-vantes). Et j’ai donc eu cet immense plaisir de revoir les Cinq du Club de Kaboul : Vivie, Néné, Lolo, Kiki et GuiguiErreur de référence : Balise <ref>
incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu. J’ai également passé quelques jours au ski à Val d’Isère, avec Christian, en 2000, et sa cousine Francine. Séjour au cours duquel j’ai appris la mort de Mémé Pako, l’ama d’Ama. Via mon téléphone portable ? Point de cela. Par mail ? Que nenni. Mais en interrogeant le répondeur de mon téléphone fixe depuis une cabine téléphonique de la station de ski.Erreur de référence : Balise <ref>
incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu J’ai alors trouvé un message d’Ama qui m’annonçait la nouvelle, avec toute la tristesse du monde dans sa voix. J’ai pleuré mémé sur une belle pente enneigée, sous un soleil resplendissant, en descendant une piste avec Christian. Ça m’a pris comme ça, mes adieux à Mémé Pako : je me suis écroulé deux minutes dans la neige, laissant Kiki qui me précédait s’éloigner. J’ai éclaté en sanglots, ni vu ni connu, puis j’ai repris ma glisse et rejoint mon ami.
J’ai tenté d’obtenir la venue de la belle équipée, et de contacter d’autres anciens-ciennes camarades Ka-Ki encore, à l’occasion de mes quarante comme de mes cinquante ans, mais en vain. Les cinq potos de Ka(boul) m’ont tous-toutes répondu, pour les deux occasions, mais par la négative, comme Guillaume qui m’a écrit, en réponse à mon invitation pour mes quarante ans : « L’occasion aurait été super pour te revoir ainsi que d’autres “anciens combattants” afghans, mais j’ai beau tourner le problème dans tous les sens, je pense que la tribu des Bernard ne pourra pas venir ». Monsieur presque-Renard, bien que le regrettant, m’a donc éconduit. Dommage. Mais peut-être aurais-je plus de chance avec un presque-Xabi ? Eh bien : oui !!! Et, de surcroît, à l’autre bout de la Terre ! Si je puis dire, selon celui auquel je me trouvais au moment concerné ! Or j’ai vérifié et... je ne croyais pas si bien dire !!! C’était même mon rotolu de bout du monde ! Un rotolu de la distance entre mon lieu de résidence et le lieu visité où... la rencontre du premier type (sur tous-toutes les gars et nanas Ki-Ka que j’avais rêvé de croiser de nouveau un jour) a eu lieu : je me trouvais à... 13 000 kilomètres de chez moi (13 400 exactement) ! Avec un 13, en plus, bisû !!! Mon mi-nopa mi-nopapa, le « numéro de la chance » par excellence, pour ce « hasard » le plus fantasmé de toute mon existence !Erreur de référence : Balise <ref>
incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu
Je m’étais déjà amusé à calculer, dans mon voyage dans le temps et l’espace via les lignes de ce récit, lequel ce record était. J’en étais resté à 12 000 kilomètres, la distance séparant Paris de la ville indonésienne de Yogyakarta, au sud-est de l’île de Sumatra, dans les environs de laquelle je suis allé à la rencontre, en tant que chargé de mission de Terre des Mondes, des leaders d’organisations paysannes en lutte pour leurs droits (à la terre, aux ressources naturelles, moyennant une gestion durable, ainsi qu’à l’ensemble des moyens de subsistance et au travail). Une rencontre fortuite avec un-une ancien-cienne du terrain s’est par conséquent produite avec le plus proche de moi pour le prénom et le plus éloigné en kilomètres. Alors avec qui et où ? Patience. Quant à mes anciens-ciennes collègues rwandais-daises et afghans-ghanes, des retrouvailles avec elleux un jour dans leur pays sont-elles inscrites au Plan ? Premiers-mières, deuxièmes-zièmes, Français-çaises et autres confondus-dues, depuis mes envolées vers les hautes sphères kiga-kaboulies et de ma vie, j’ai toujours peut-être plus Espéré que tout revoir... Espérance, l’infirmière rwandaise de l’équipe de Kigali !
Mais dans l’attente de Gratouilles avec Espérance ou un-une autre, quand je me trouvais encore sur le terrain, en septembre 1996Erreur de référence : Balise <ref>
incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu, en Afghanistan, l’heure était venue du plus total… désespoir. J’étais donc parti dévorer un peu plus encore des paysages à couper le souffle de ce pays et goûter à l’atmosphère, pourtant talibane depuis plus d’un an, de ses confins occidentaux. Nous avons reçu, à Farah, un message radio de l’équipe de Kaboul. Celui-ci laissait entendre à demi-mot – discrétion des communications radio oblige –, que la situation venait de prendre une tournure des plus inquiétantes. Mais nous n’avions de cesse de spéculer, depuis des semaines, à Kaboul, sur l’avancée de l’ennemi, et combien de fois n’avions-nous pas craint qu’il finît par atteindre son objectif de s’emparer de la capitale ? Mes camarades ne devaient par conséquent n’être encore qu’en train de s’affoler pour rien ! Je ne voulais pas croire au pire, et puis Kaboul était si loin, et j’étais en vacances !... Sitôt ces signaux d’alerte reçus, par conséquent, sitôt oubliés. Mais un ou deux jours plus tard, à mon retour à Herat, le coup de massue : l’aéroport militaire de Bagram, à cinquante kilomètres au nord de Kaboul, venait d’être pris par les forces talibanes. L’information provenait du Comité international de la Croix-Rouge. Il m’aurait fallu une chaise, que je m’y écroule, car si tout était encore assez flou, cela ne faisait plus aucun doute : la menace était imminente, et la ville était à la portée des tebés. « Il se passait des choses », selon la formule employée par mes amis-mies de Kaboul à la radio, et je n’étais pas là-bas pour le vivre moi aussi en direct, m’en entretenir avec elleux sans mots codés, et me rendre vraiment compte de ce qui arrivait ! Déconcertant, de nouveau, le contact radio que j’ai eu, quelle hutarde, avec Sylvie : « Tout est calme, on attend… ». Et c’est finalement sur Radio France Internationale que nous avons entendu cette information, qui nous a par la suite été confirmée : le commandant Massoud et ses hommes étaient en train de fuir vers le Nord ! Les tebés sont entrés dans Kaboul à l’aube du vendredi 27 septembre 1996, 3 jours avant mes... 27 ansErreur de référence : Balise <ref>
incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu. Indescriptible désolation et extrême soulagement ont alors rivalisé en moi : la prise de la capitale a eu lieu sans combats de rue, sans le carnage dont cette menace qui avait tant plané était prometteuse. L’HUMANITÉ du commandant Massoud, soucieux d’épargner la population, s’est de toute évidence avérée déterminante dans ce MIRACLE qu’un bain de sang ne se produisît pas. Nous avons quant à nous, les humanitaires, échappé au chaos d’une évacuation générale.
J’avais laissé la capitale afghane, le 21 septembre, telle que je l’avais connue pendant les huit mois que je venais d’y passer et, malgré la propagation fulgurante de la peste noire au cours des dernières semaines par l’est du pays, personne ne pouvait imaginer que tout basculerait si rapidement. Et pour catastrophique que la situation pût déjà être avant, je me suis figuré cet évènement comme un passage... du jour aux ténèbres. Une impression confirmée à mon retour à Kaboul peu après, à l’issue de trois semaines entre Herat et Farah et avant mon départ, quel jutard, pour la France. Les rues étaient désertes, le calme régnait sur les marchés habituellement si animés, les hauts parleurs qui diffusaient de la musique, auparavant, à tous les coins de rue, s’étaient tus, et les femmes… avaient disparu ! Quelques-unes déambulaient encore, dans leurs tchadris, comme avant les tebés, mais dont elles n’étaient alors pas toutes recouvertes, loin de là ! Un grand nombre d’entre elles n’arboraient qu’un foulard qui ne faisait qu’ajouter à leur charmeErreur de référence : Balise <ref>
incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu et laissait paraître leur visage ! La présence des femmes, qui conféraient à la ville une bonne part de sa gaieté, était bien réelle. Bien plus que dans une ville comme Peshawar au Pakistan par exemple ! Femmes et hommes, même s’ils n’en étaient pas à se tenir la main, pouvaient marcher côte à côte, discuter entre elleux, se sourire... tout ce qu’il peut paraître invraisemblable d’avoir à préciser, cette liberté dont il est tellement inconcevable, pour un cerveau d’Occidental-...tale (j’ai failli oublier le fem’ !!), qu’elle puisse être remise en cause… L’abomination du régime tebé ne résidait pas tant dans les rapports autorisés, entre femmes et hommes (ça pouvait être traumatisant pour ces derniers aussi !), que dans la condition des femmes elles-mêmes. Avec tout ce qui en découlait pour le reste de la société, quand on interdisait à ces « dernières » de travailler, quand les hôpitaux se retrouvaient sans infirmières, les écoles et les universités privées de la moitié de leurs professeurs-seures...
On sait de quelles interdictions les unes plus aberrantes que les autres et de quelles violations des droits humains ce régime était synonyme, et on imagine que pareils psychopathes, sans l’appui reçu de l’étranger, n’auraient jamais pu compter sur aucune légitimité populaire pour les porter un jour au pouvoir. Mais les tebés bénéficient, en tant que Pashtounes, du soutien d’une partie de cette ethnie habituée à régner, et ont été applaudis par elle pour avoir mis fin à ce sacrilège d’avoir vu s’installer des Tadjiks au pouvoir. Si bien, suite à leur prise de Kaboul, que beaucoup imaginaient qu’à nouveau le pays tout entier s’embraserait et sombrerait dans une guerre entre Pashtounes et non-Pashtounes. « They are against knowledge », « Ils sont contre le savoir » : ainsi un adolescent qui m’avait abordé dans une rue, à Herat, avait-il répondu, dans un mélange d’incrédulité et de désespoir, à ma question, posée dans la plus grande discrétion cela va sans dire, de savoir ce qu’il pensait des tebés. Kaboul avait sombré, avec la prise de la ville par ces derniers (des Mohicans), dans le gouffre de l’obscurantisme.
À deux ou trois jours de la fin de ma Grature afghane, je me suis trouvé, dans une boutique d’artisanat de Kaboul, face à deux fous de Dieuse. Je voyais ces barbus en noir enturbannés dans les rues et à bord de leurs 4x4 lancés à toute allure munis de leurs mitrailleuses et de leurs lance-roquettes. Mais dans cet espace clos, alors que nous n’étions que tous les trois et le commerçant, je me suis approché de l’un d’eux et l’ai regardé dans les yeux. Je lui ai craché à la figure. Ils m’ont alors jeté à l’arrière de leur pickup et sont allés me pendre à un lampadaire, comme le président Najibullah. Vrai ? Et comment aurais-je écrit tout ça ? Cette horrible fin fut celle, en revanche, bien réelle, du dernier président afghan communiste Najibullah. Celui-ci était réfugié, depuis 1992, dans des bâtiments des Nations unies. Son évacuation lui avait été proposée, à l’arrivée des tyrans mais, se croyant en sécurité, il avait refusé de partir. Son cadavre est resté suspendu plusieurs jours, à proximité du complexe onusien, dans un rond-point, que je n’ai toutefois pas été amené à emprunter durant mon court séjour à Kaboul avant de repartir. Nouvelle vision d’horreur évitée !
Le travail s’est poursuivi quelques temps, à mon retour, comme après le Rwanda, avec des visites et des entretiens au siège de Médecins du Monde à Paris, et l’élaboration de mon rat-de-fion. J’ai été informé qu’après une application stricte de tous les immondes préceptes des nouveaux maîtres de Kaboul, avec interdiction aux femmes de toute activité hors esclavage à domicile, celles-ci avaient de nouveau été autorisées, dans le domaine médical, à travailler. Celui de nos docteures et soignantes Nassrin, Mina, Mérangiz et Marie, dans les hôpitaux et les dispensaires, avaient pu reprendre. La prise en charge de deux centres de santé maternelle et infantile, en plus de ceux des quartiers de Safid Sher et de Poli Sokhta soutenus lorsque j’étais en poste à Kaboul, et la reconduction du programme, pour l’hôpital d’Ata Türk, avaient été décidées. Il était précisé à propos de ce dernier, dans un des derniers fax de l’équipe de Kaboul : « En aucun cas l’arrivée des talibans n’a mis en péril son activité ».
J’ai laissé sortir un peu de vapeur de la cocotte-minute, là encore, dans la conclusion de mon rapport pour le siège, après cette nouvelle expérience passionnante mais éprouvante et le cauchemar de l’avènement du règne des fous d’entre les fous de Dieu dans la capitale afghane :
- Il se disait parfois entre expatriés que notre présence pouvait contribuer à ce que perdure une situation que nous ne faisions que renforcer, en ce sens qu’en même temps que nous portions secours à une population en proie aux pires difficultés (assistance à populations en danger : n’est-ce pas le sens de l’humanitaire ?), nous aidions, par notre action, un système à tenir. Redisons-le : nous sommes, dans un contexte comme celui de l’Afghanistan un pilier de la vie économique et sociale. Nous cautionnons, par notre seule présence, le régime en place. Le gouvernement précédent faisait la guerre, et en quelque sorte nous l’aidions à la faire. Mais la guerre à qui ? Aux talibans. Je ne vois personnellement pas une honte insoutenable à ce que l’on puisse se tenir dans l’ombre d’un combat contre... ce dont vous savez ce que je pense.
- Faire le jeu des talibans : voilà qui, déjà, me donne un peu plus la chair de poule. N’est-il pas étonnant, à ce propos, que ces derniers se montrent si conciliants à notre égard en acceptant (et si rapidement) moult compromis en ce qui concerne, comme on vient de le voir, la reprise du travail de notre personnel féminin ? Serait-il question chez de tels abrutis d’une stratégie... visant à ne pas nous prendre de front, dont le rétablissement de l’activité des femmes dans l’ensemble des structures médicales participerait ? Ces messieurs seraient-ils doués d’une conscience aigüe (sic) de l’inestimable service que nous leur rendons en maintenant notre présence ?Erreur de référence : Balise
<ref>
incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu Mais pardon, je m’emballe, et tout cela n’est certainement que spéculation et absolument pas objectif.
- Faire le jeu des talibans : voilà qui, déjà, me donne un peu plus la chair de poule. N’est-il pas étonnant, à ce propos, que ces derniers se montrent si conciliants à notre égard en acceptant (et si rapidement) moult compromis en ce qui concerne, comme on vient de le voir, la reprise du travail de notre personnel féminin ? Serait-il question chez de tels abrutis d’une stratégie... visant à ne pas nous prendre de front, dont le rétablissement de l’activité des femmes dans l’ensemble des structures médicales participerait ? Ces messieurs seraient-ils doués d’une conscience aigüe (sic) de l’inestimable service que nous leur rendons en maintenant notre présence ?Erreur de référence : Balise
- Des ONG à la solde des pires assassins de ce monde ? Non, ça c’est le rôle des États. Quoique... des humanitaires qui, pendant deux ans, dans des camps de réfugiés, ont indirectement soutenu les auteurs d’un génocide prêts à récidiver... ça ne vous rappelle rien ?Erreur de référence : Balise
<ref>
incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu ONG et États main dans la main. Décidément je délire. Il est temps que je m’arrête.
- Des ONG à la solde des pires assassins de ce monde ? Non, ça c’est le rôle des États. Quoique... des humanitaires qui, pendant deux ans, dans des camps de réfugiés, ont indirectement soutenu les auteurs d’un génocide prêts à récidiver... ça ne vous rappelle rien ?Erreur de référence : Balise
Nous avions accueilli, à la fin de ma mission, dans notre maison de WAK, la grande reporter Dorothée Olliéric et son équipe de ce qui était encore à l’époque Antenne 2, venues tourner un documentaire pour l’émission « Envoyé Spécial ». Nos hôtes se sont avérés-rées une fort agréable compagnie, Dorothée au premier chef, avec qui nous avons eu de passionnants échanges sur la situation du pays. Au cours de l’un d’eux, Dorothée a dû honorer un rendez-vous téléphonique avec Michèle Cota, alors directrice de l’information de la chaîne. J’avais été frappé par la manière dont sa voix s’était métamorphosée entre le moment où elle s’entretenait allègrement avec nous et son entretien au sommet avec sa mamie... euh... manitou de l’info. Une communication permise par notre téléphone satellite bisû ! Mais dans ce type de collaboration tout le monde trouve son compte, car les ONG bénéficient bien entendu, au passage, d’une publicité sur leur action. Celle de Médecins du Monde à Kaboul a par conséquent figuré en bonne place dans le reportage d’Envoyé Spécial. Et son administrateur en a été la vedette. Mais ce n’était plus moi ! Car je m’apprêtais à passer le relais. Et lorsqu’est venu le moment de l’interview du représentant de MDM je n’étais plus là. C’est alors Michel mon successeur, dans la rue, devant notre maison, à qui l’on a tendu le micro ! Ama et moi avons visionné la cassette vidéo de l’émission, quand j’ai eu regagné son doux foyer, dans le canapé de la « salle de télé ». Avec Joseta peut-être bien aussi... Je lui ai posé la question. Sa réponse : « Effectivement, je me trouvais à Arans à ton retour de ta mission en Afghanistan, et on avait regardé la cassette. Je m’en souviens bien, et j’en suis émue... ».
Si je revois un jour Dorothée – ce que j’ai également toujours espéré, via le contact qui va bien, qui saitErreur de référence : Balise <ref>
incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu, que cette éternelle grande reporTerre me raconte un peu son incroyable vie depuis ! –, je lui demanderai comment me procurer ce beau souvenir, et le reportage avec... Xabi le Taleb ! Oui, une bien bonne encore. Car tous les jours l’équipe a également réalisé un sujet pour le journal télévisé. La bobine de l’un d’eux a entamé son périple jusqu’aux studios de Cognac-Jay à Paris dans ma vieille AméricaineErreur de référence : Balise <ref>
incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu. Dorothée s’était entendue avec un fonctionnaire des Nations unies en partance pour Paris pour l’expédier avec lui. Je lui ai donc proposé de profiter d’un déplacement que je devais effectuer, dans Kaboul, pour la déposer aux bureaux de l’organisation. Quant à Sabine, la monteuse, elle avait installé son matériel dans la chambre que nous lui avions attribuée. Elle a eu besoin de doubler, en français, un soldat du nouveau pouvoir islamiste que Dorothée avait interviewé. Elle m’a demandé si je pouvais m’en charger, pour immédiatement ajouter qu’avec mon « accent du Sud-Ouest » ça n’allait pas le faire. Mais j’étais le seul homme parlant français, à ce moment-là, à la maison. « Ok. Débrouille-toi alors ! », l’ai-je (gentiment) rembarrée. Elle n’a pas eu le choix, et a donc tout de même enregistré ma voix.
Je me suis entendu à la télé... huit mois plus tard... au Vietnam !!! Pays que j’ai eu envie de découvrir, dans le courant de l’été 1997, dans la foulée de mon voyage aux Philippines effectué dans le cadre de ma candidature pour Terre des Mondes. J’ai pris un vol de la Vietnam Airlines, à Manille, à destination de Saïgon. Après un roti de l’arrivée la plus pénible dans une ville du bout du monde où je ne connaissais rien ni personne – et où la mission était de trouver, en arrivant, un point de chute pas trop onéreux dans un quartier qui convienne –, mon chauffeur de taxi a fini par me déposer à un hôtel, où j’ai passé la première nuit. En m’installant dans ma chambre, j’ai allumé la télé. Je me vois encore debout devant l’écran découvrant, sidéré… le taliban que j’avais doublé ! C’était le reportage du journal d’Antenne 2 tourné à Kaboul dans lequel j’avais... prêté ma voix à ce fanatique, avé mon accent du Sud-Ouest ! Comment était-ce possible ?? Au Vietnam !! Après tout ce temps !! Et juste au moment où j’ai allumé la télé !! Que je ne m’apprêtais pas à regarder très longtemps, crevé comme j’étais. Et alors que j’ai changé d’hôtel, dès le lendemain, pour une chambre moins chère et dépourvue de poste de télévision ! Une seule explication : les ondes de MDM-Kaboul ont percuté celles de MDM-Saïgon. J’ai en effet rendu visite à mes consœurs-et-frères de Médecins du Monde, qui était également implantée dans la mégapole du sud du Vietnam, avec lesquels-quelles j’ai visité l’un de leurs sites médicaux, et qui m’ont exposé leur action et la situation du pays. Ils en parlaient avec l’amour et la passion qui nous animent tous-toutes, dans notre engagement humanitaire, désireux-reuses que nous sommes de tout connaître, tout comprendre, tout découvrir des gens et du pays. Mais le Vietnam est... compliqué, en raison de son passé atroce de colonisation par la France et les États-Unis et de guerre contre ces deux pays, du régime dictatorial, et de la surveillance de tous les faits et gestes de ses habitants-tantes. Ils m’ont emmené au restaurant. Saïgon est mon rotolu de régalade des papilles.
Un rotolu, aussi, de dépouillage ! J’avais pris une chambre, la deuxième nuit, dans le quartier des « routards » occidentaux bondé de touristes. J’y déambulais, quand un Vietnamien a feint de vouloir me vendre un journal, me bousculant et le plaquant contre ma poitrine. J’ai protesté et l’ai repoussé. Une moto est passée, l’homme a sauté sur son siège derrière le conducteur et ils ont décampé. J’ai baissé les yeux, ma banane était grande ouverte : elle avait été vidée de tout l’argent qui s’y trouvait. J’avais choisi le pire accessoire, pour trimballer mon fric, dans le pire des coupe-gorges. Autre record mondial. Et j’étais bien marri de n’en avoir point été… alerté. Mon collègue administrateur, en effet, ne m’avait pas mis en garde. Quid de ses réflexes de responsable de la sécurité ? Je l’ai appelé et lui ai passé un de ces savons !… En vrai : je lui ai gentiment demandé de me dépanner. Car je n’avais plus un rond… après que mon argent m’avait été dérobé… une deuxième fois !!! En effet : j’avais ensuite changé les dollars qui me restaient contre des dongs, que j’avais rangés dans ma valise. Dépouillé de mes sous mais n’ayant peut-être pas eu mon saoul d’émotions, j’avais commis ma deuxième erreur fatale : ne pas fermer, avant de me coucher, la porte de ma chambre à clé. Le lendemain matin, même tarif que ma banane la veille : valise béante et monnaie envolée. Les voleurs s’étaient introduits dans ma chambre, pendant mon sommeil. Au moins n’avais-je pas été violenté… Aux bureaux de la mission de Médecins du Monde où je suis retourné pour que son administrateur m’avance un peu d’argent, celui-ci m’a conjuré de ne pas m’en tenir à cette impression sur son Vietnam adoré. Mais j’en avais assez vu pour cette fois, j’ai écourté mon séjour, et j’ai repris l’avion pour Manille, d’où mon retour pour la France était prévu quel jutard.
- ↑ « H » pour « Hek... beurk... matyar » (le seigneur de guerre pachtoune ennemi de Massoud), et pour... « Hiroshima », conformément au processus de « nettoyage des lignes qui suivent », moyennant le remplacement du nom du vilain monsieur par cette initiale (chapitre précédent).
- ↑ Message laissé sur mon portable par Jojo au moment de ma pause balnéaire prise pendant mon morceau de prose où je me promenais dans la magique bourgade : « Je viens de faire la poussière sur les bougeoirs en verre bleu d’Herat que tu m’avais si gentiment offerts. Ils sont tellement beaux. Je crois que s’il leur arrivait malheur, rien ne pourrait arrêter toutes les larmes de mon corps de couler. J’ai eu un petit coup de blues en écoutant Bob Marley. J’ai été transportée à la Jamaïque. Où je ne suis jamais allée tu me diras (rire dans la voix) ! Mais c’est un peu comme la Guadeloupe ! Bon, tu vas trouver que je divague... » Oh, que non ! C’est beau ! Et quelle synchro !! (Avec Herat, suivie d’un nouveau petit coup de Booster.)
- ↑ Ulyces Monde, 1er janvier 2015, David Axe (https://www.ulyces.co/david-axe/guerres-gorilles-rwanda-ong/)
- ↑ Coup d’œil à l’heure en bas de mon ordinateur : 21:11. On a bien fait.
- ↑ 198 888 mots sur ce mot : il me fait vibrer on dirait en tout cas, mon type ou pas, le type…