Chapitre 39 – Crépuscule

De Xavier Renard
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Soudaine aggravation de l’état d’Ama : départ fissa de Gwada

Au mois de janvier 2018, l’aggravation de l’état d’Ama s’est soudainement accélérée.

[Relec-6-è. Le... 6 avril 2025. Putain... trente-et-unième... « anniversaire » du... génocide rwandais... Quasiment sur la phrase ci-dessus, ce maouaza de Denis : « J’ai passé un moment avec papa et c’était assez dur. Il a encore beaucoup diminué et avait beaucoup de mal à parler et il était éteint. Je l’ai aidé à manger jusqu’à ce qu’il commence à s’agacer... » Le frangin, « pourtant », nous avait raconté, deux semaines plus tôt, dans un audio : « Je viens de passer un moment avec papa. Il était bien, on a bien rigolé, c’était chouette, vraiment. Il parlait bien. Voilà... Ça faisait un petit moment que je n’étais pas venu, ça m’a fait beaucoup de bien de le voir dans cet état. J’ai beaucoup discuté avec l’infirmière aussi, qui dit qu’il est vraiment super, que tout le monde l’adore... » Ces... fluctuations, que nous découvrons. Je ne vais pas hahater, là... Angelu : « Point trop n’en faut, si je puis me permettre de te rappeler cette consigne... » Tu trouves que j’abuse ? « Globalement certes oui. » Merci... Mais c’est surtout que les circonstances ne prêtent pas trop à rire. Ou alors d’un jaune pipi. Ce serait de mauvais goût. Ce pipi l’est aussi ? « Mais oui !!! Non ?... » C’est juste une allusion... À l’un de tant d’autres épisodes, de toute une expérience que, précisément, fort malheureusement, déjà, nous avons... Sur le plan urinaire, de l’épisode en question, évoqué plus bas, l’actrice fut ma mère. Avec qui nous acquîmes ladite expérience, en attendant, donc, le tour de mon père. Entre rire et larmes, deux autres protagonistes (passagères), en ce 6 avril : deux dames, à une terrasse de café (tiens, j’y amène aussi Ama, « tout à l’heure », ailleurs). Je capte ces mots de l’une à adresse de l’autre : « Ses deux pisseuses, elles peuvent toujours attendre ! » Et quelques minutes plus tard : « Est-ce que c’est du bon sens post-mortem ? »

Deux jours plus tard, je retrouve Josette à 11h pour un café près de chez moi. Je lui raconte le maouaza de Denis sur « l’accélération de l’aggravation de l’état d’Ama ». Qui, finalement, partira... à quatre-vingt un an et demi. Au bout d’une chouette heure en terrasse au soleil, je raccompagne Josette jusqu’à la bouche de métro à un pas et demi. Façon de parler : quelques mètres sur le trottoir, une rue à traverser, quelques mètres de plus, et escaliers, de l’entrée dudit. Nous stationnons quelques secondes en bordure du passage pour piétons, commençons à nous engager. La voie est libre mais le bonhomme est encore rouge. Petite hésitation... Il passe au vert et alors un homme à ma droite (Josette est à ma gauche) nous lance quelque-chose comme : « C’est vert, on devrait pouvoir y aller !... sans nous faire écraser... » Moi : « Oui ! On fait rempart !... Mais c’est le monde à l'envers !... (Josette, la plus petite, en première ligne, versus un solide gabarit du monsieur) C’est vous qui devriez vous mettre de ce côté !... (Celui de Josette.) » On plaisante, le monsieur nous dit son âge : quatre-vingt deux ans. Josette, genre : « Vous ne les faites pas ! » Moi : « Tu vois, on en parlait ! » Des gens qui vivent vieux, voire très vieux, en pleine forme... Contrairement à Aita, Ama... Le vieux en pleine forme : « Bon, je mens un petit peu, j’ai quatre-vingt un an et demi... » Et c’est Joseta, ce n’est pas moi, qui l’a dit : « C’est Dieu qui nous l’envoie ! » Oui parce qu’il était avec nous, Lui aussi. À la fin de notre conversation. Une fois de plus, je n’avais pu m’empêcher de Le convier.

Micro-trottoir : « Vous avez quel âge ? » « Vous mourrez à quel âge ? » (Réponse difficile.) « Vous êtes mort à quel âge ? » (Question impossible.) Je peux répondre à la deuxième question. (Personne, à la deuxième, que personne ne peut poser à... personne.) Josette, tu fais la microteuse. Josette, qui me microtte (ne pas confondre avec « microtte », mini-synchronicité en modoupaïen) : « Vous mourrez à quel âge ? » À cent-treize ans. Oui, je le sais. Je l’ai entenvu, en deux temps. J’ai d’abord cru entenvoir que c’était soixante-treize, mais j’avais mal entenvu, et c’est cent-treize. « Vous allez vivre tout ce temps en pleine forme ? » Oui, une fois que le SM4 se sera réalisé. Avant, pendant, ou après, le SM3 : j’en profite pour apporter cette précision CAPITALE que cela n’est pas établi, que les trois sont possibles. Miracle, Miracle, Miracle : ce mot ponctue quasi systématiquement mes propos, dès que je converse, et notre chouetteure avec Jojo n’a pas fait exception. Je le troite, ici, pour faire contre-foi-poids à la terrible nouvelle qui m’a amené à prolonger le présent laïus de Relec-6-è. La journée d’hier s’est terminée par ça, aux infos : le toit d’une discothèque de Saint-Domingue s’est effondré (à 0h44), causant la mort de... cent-treize personnes. Saint-Domingue, et ses boîtes de nuit : je connais ! « Presque » un catacunu-sapocu. Ce serait le n° 7. Quelques phénomènes et synchronicités ont agrémenté la signature de la promesse de vente du 22TT chez le notaire le lundi 7 à 17h. Les 7. C’est Sébastien, l’agent immobilier, qui l’a relevé : « Y a des 7 partout. »

Jour 4. Le 10/4 dans l’après-midi. Re-infos. 1. Le bilan, à Saint-Domingue, est passé à 218 morts. 2. Les Français accrocs aux anxyolitiques et aux somnifères. 3. Rapport sur les violences dans le milieu de la culture. Une actrice au même nom de famille que Josette est cité. 4. Affaire du collège Bettharam. Bayrou. Bayonne : les non-réponses de l’évêché à l’époque des premières enquêtes... Thiago et moi, en fin de matinée, étions sortis imprimer un formulaire d’offre pour un appartement !... Visité la veille, avec un vendeur perpignanais. Qui a deviné, à mon accent, mon identité basque. D’une agence sise à quelques numéros de mon toutpi logement à Paris d’il y a vingt-six ans, avenue de Saint-Ouen. Pas trois minutes se sont écoulées, apata, que je relisais, au Chamou 50, un paragraphe comportant, dans la même ligne, les mots « discothèque » et « Basque ».

Le lendemain. Thiago et moi avions programmé une « dernière » visite, à 12h. Avant de nous positionner pour l’appartement à proximité de l’avenue de Saint-Ouen. Au 6 Villa Saint-Michel. Avec Vincent Martin. Et voilà, on saura... toute l’identité de l’agent immobilier. Obligé, parce que j’ai encore remarqué ça : le VSM de l’adresse/le VM du monsieur. Et parce que les Martin et les Dupont, lundi, ont également été de la partie. « Plus français, tu meurs », j'ai dit, à propos de mon nom, Renard. Sébastien a rétorqué : « Oui enfin, y a aussi Dupont et Martin. » Prénom du premier de la liste des quatre associés du cabinet : Xavier. Celui du notaire en charge de notre dossier : Vincent. Son nom commence également par V. Le prénom de notre acheteur aussi. Des V de Victoire partout. « Vincent Martin 11:22 » : nom de l’agent immobilier et heure à laquelle je l’ai relevé, l’ai-je ainsi noté. La visite de 12h ? En ce 11. C'était au... 22, rue des Acacias. La rue perpendiculaire à notre rue de l'Arc de Triomphe. Retour du 22 Ac’ au 22 Arc, j’écris tout ceci, puis je mouchinette « discothèque Saint-Domingue ». S’affichent une série de titres de la presse sur deux colonnes. Dans les deux de la colonne de gauche : « 221 morts ». Dans le dernier de la colonne de droite, sous le titre, la durée depuis la mise en ligne : « Il y a 21 heures. » Ququ apa, d’autres infos. À l’écran : 7,77. Japu à quel sujet, je ne l’ai pas tout de suite noté, mais je n’ai pas rêvé. Ouah. Ce 7. Troité. Qui nous fait 21.

18h12. Mon téléphone sonne. Aaahhh !!! Mon 12 chéri du V de Vie ! Du bon côté : la branche 1-2, qui remonte. C’est mieux que le 21, moins sympa, nous expliquons tant de fois pourquoi, dont sa branche du V, le 2-1, qui descend. Qui m’appelle ? C’est Vincent ! C’est ce que je me suis dit : c’est lui ! J’ai reconnu ses 2 30. MON 30, en double : les 4 derniers chiffres de son numéro. 2 membres sur 3 de la « succession », comme il l’appelle, ont accepté notre offre. Ils attendent de voir le 3ème, « plus chiant », selon Vincent, pour le convaincre, dans le courant du week-end, ou d’ici le début de la semaine prochaine. On troise les deu-oigts ! Le 23 : « Moi ? » Ah non, pas toi. Le 22 : « Dîtes-moi, les amis, vous êtes bien gentils, mais n’était-ce pas MA journée ? » Oui, c’est vrai. Alors voilà : « Affaire conclue ! » Caroline, qui se termine comme ma frangine Sabine, dont la vie a commencé, comme elle, en 1966, dans la ville voisine (Caro c’est Biarritz, Sab c’est Bayo), l’une des antiquaires-acheteuses de l’émission, a remporté un jouet, un mini-piano, à 22 euros, déclarant : « Je crois qu'on n’a jamais acheté un objet à 22 euros. » Pour compléter le tableau... Ah mais non, ça n’est pas Caro, qui repart avec le piano, c’est une autre. Et elle, elle a dit : « J’ai un rêve, c'est de jouer du piano. Je me dis que c’est peut-être un signe. » Les signes ?! Tu veux qu’on en parle ?! Moi, mon rêve, c’est d’aller vivre à Rio avec Thiago. Et ça, pour un signe, encore, cette improbable enchère finale de 22 euros !!!]

Le point de non-retour a été atteint lorsqu’après une chute, dans la rue cette fois, Ama a été transportée à l’hôpital... en face de chez elle. Mon retour de Gwadloup est devenu impératif, car il était désormais impossible qu’Ama continuât de vivre seule. Ma présence à ses côtés, dans l’immédiat, mon travail me le permettant, s’imposait. Or, tout est allé très vite, et quelques jours avant ma décision de lever le camp, je n’avais toujours pas programmé de me ré-envoler pour Parisa-ta-Baiona. J’ai alors reçu un coup de téléphone de Frantzia... euh... France, qui m’a annoncé avoir désespérément besoin d’un appartement pour un client habituel régulièrement envoyé en mission par son entreprise, en Gwadloup, et dont l’arrivée était prévue les jours suivants[1]. En ce mois de janvier, au cœur de la saison touristique, tous ses appartements étaient occupés. Trouver un logement et une voiture à louer en Gwadloup, pendant la haute saison, si l’on ne s’y est pas pris très longtemps en avance, était devenu mission impossible[2]. La baisse de la fréquentation des pays du Maghreb par les touristes, depuis les Printemps arabes, avait entraîné l’explosion de celle des Antilles. J’ai répondu à France que je n’avais pas encore prévu de partir. Mais la nouvelle de la chute de ma mère et de son admission à l’hôpital est tombée le lendemain ! France m’avait donc contacté pour me demander mon appartement exactement quand, alors que je ne le savais pas encore moi-même, il fallait, en effet, que je débarrassasse le plancher !!!

Je n’étais resté qu’environ trois mois, en Gwadloup, depuis mon précédent séjour chez Ama. Dès mon arrivée, dans le taxi que j’ai pris de l’aéroport de Meharitze à la Villa Arans où Ama, hospitalisée, ne se trouvait donc déjà plus, le ton était donné. Le message de l’Au-delà, cette fois, m’était comme hurlé dans un mégaphone. Car un proche du chauffeur de taxi, à qui j’ai parlé d’Ama, m’a-t-il alors raconté, avait souffert de la même pathologie qu’elle. C’était la terrible histoire du chafax du jour : il s’est lancé dans le tableau le plus effroyable de la maladie, m’en livrant la pire version imaginable, dans sa description de la déchéance, de l’extrême agressivité et de la violence qu’elle pouvait entraîner chez les personnes affectées. Au point que j’ai vu le moment où j’allais lui demander d’arrêter, aucune parole un tant soit peu positive et réconfortante ne venant jamais ponctuer ce discours glaçant qui n’en finissait pas. L’alarme retentissait à fond. Sabine, Denis eta ni nous sommes alors retrouvés-vée plongés-gée dans des affres de questionnement, doublés de ceux de nos proches, sur ce que nous devions envisager pour Ama. J’ai alors décidé de leur écrire :

Bonjour à toutes et à tous,
Nous vous écrivons au sujet de notre maman qui, malheureusement, ne va pas bien du tout.
Certaines et certains d’entre vous savent déjà, bien sûr, un certain nombre des choses dont nous vous faisons part ci-dessous.
Maman est donc atteinte d’une « démence fronto-temporale », diagnostiquée l’an dernier. Bien avant cela, elle avait commencé à décliner, à la suite de l’hématome sous-dural dont elle avait souffert en 2009, probablement provoqué par un coup à la tête en sortant, chez elle, de sous la terrasse (il faut se baisser pour y pénétrer). L’aggravation de son état s’était accélérée, ces deux dernières années surtout (nous avions failli annuler, au dernier moment, la fête de ses 80 ans), et encore plus ces derniers mois.
Les choses se sont encore accélérées, ces deux dernières semaines, prenant une tournure dont jamais nous n’aurions imaginé que ça puisse être le cas aussi rapidement.
Il y a un peu moins de deux semaines, Ama est partie à pied jusqu’au supermarché du coin, soit disant pour acheter une salade (« Tout ça pour une salade ! », nous a-t-elle dit ces jours-ci). Elle est tombée dans la rue, et des gens l’ont emmenée à l’hôpital.
Nous nous inquiétions depuis un moment, et de plus en plus, du fait qu’elle parte ainsi à pied. Elle marche tête bèche, très vite, sans faire attention en traversant, et elle se perd. Autant de caractéristiques de sa maladie, outre sa perte de la mémoire immédiate qui lui fait sans cesse répéter les mêmes choses, et un état de plus en plus apathique. Elle ne fait plus rien, tout juste à manger, oubliant sa nourriture sur le feu et la faisant cramer, plus du tout sa toilette, ne change plus ses vêtements… Nous avions obtenu, depuis quelques mois, qu’une infirmière passe tous les matins.
Après cette première chute et ce premier passage à l’hôpital, elle est revenue chez elle. Du vendredi au samedi suivant, elle a passé la nuit toute seule. Dans la nuit du samedi au dimanche, elle est de nouveau tombée. Nos voisins, Gratianne et Jean-Pierre, dont la présence et le soutien nous ont toujours été si précieux, ont été alertés par l’alarme déclenchée par son bracelet de sécurité. Un médecin est passé dans la journée du dimanche, a reconnu qu’elle n’allait pas bien du tout, mais a déclaré que son état physique ne justifiait pas qu’elle aille à l’hôpital un dimanche... Du dimanche au lundi, Denis a passé la nuit avec elle. La nuit a été terrible, elle est tombée plusieurs fois, s’est urinée dessus... Sabine a joint l’hôpital, le lundi, pour essayer d’obtenir qu’elle soit prise en charge sans passer par les urgences, sans succès. Le médecin est de nouveau passé à la maison et a rédigé une lettre à présenter aux urgences. Sabine y a emmené Ama. Les médecins ont alors reconnu qu’elle se mettait en danger et qu’il fallait l’hospitaliser.
Depuis, tous les avis des professionnels rencontrés sont allés dans le même sens. À chaque fois on a dit à Sabine qu’Ama devait absolument être prise en charge médicalement, et que c’était même à se demander comment on était arrivés à gérer la situation ainsi jusqu’à présent.
De Bayonne, Ama a été transférée à l’hôpital de Saint-Jean-de-Luz, faute de place à Bayonne dans un service où sa surveillance puisse être assurée. Nous allons tous régulièrement la voir bien sûr. Elle n’a qu’une idée en tête : rentrer chez elle. Elle déambule dans le couloir, guette les entrées et les sorties pour essayer de sortir, prendre l’ascenseur, dans lequel elle a été retrouvée une fois. Quand nous sommes arrivés, dimanche dernier, une infirmière nous a raconté tout ça, un peu catastrophée, nous disant qu’elle et ses collègues avaient été contraints de la « maintenir ». Ils avaient dû l’attacher à son fauteuil avec un drap ! Nouveau choc, bien que nous en ayons compris la nécessité. Elle avait l’air complètement shootée. Un calmant lui avait été administré.
La gériatre de Saint-Jean-de-Luz, à l’admission d’Ama, avait dit à Sabine qu’elle attendrait quelques jours d’observations et le résultat d’un scanner pour se prononcer quant à ce qui devait être envisagé. Lors de notre visite de mardi, elle est venue nous chercher dans la chambre pour s’entretenir avec nous. Elle nous a dit en substance :
« Je constate une aggravation subite de la maladie de votre mère et de ses capacités cognitives. Elle est perdue, déambule, “farfouille”, ne me reconnaît pas. Au point que nous nous sommes demandé si elle n’avait pas souffert d’un AVC, le scanner ayant toutefois démontré que ce n’était pas le cas. J’ai programmé un IRM, d’ici une semaine environ, afin d’établir si un saignement plus minime a pu se produire. Toujours est-il qu’elle ne sera absolument plus capable de s’assumer au quotidien, et qu’elle continuera de se mettre en danger, avec des risques de fugue, de chute, etc. Elle a besoin d’une surveillance permanente. Et à domicile, c’est quelque-chose de pas forcément évident à envisager. » Sous-entendu : sauf très importants moyens financiers – ça veut dire embauche de plusieurs personnes, en plus de nous tous, et un budget mensuel bien au-delà de nos moyens –, entre autres questions sur la faisabilité et la viabilité d’une telle solution. « Il n’y a par conséquent à priori pas d’autre solution qu’un placement dans une unité spécialisée, et donc fermée. Vous devez donc très rapidement effectuer la demande d’un placement provisoire, dans un premier temps, en attendant que de la place se libère dans la structure de votre choix. »
Bien sûr, nous espèrerions obtenir Bayonne, mais nous devons également nous renseigner sur la nature et la qualité de la prise en charge proposée dans les différentes structures, pour ce qui est notamment des activités susceptibles de la stimuler, de la “convivialité” du lieu, etc.
Pauvre Ama, qui vit en ce moment le martyre de ne pas pouvoir retrouver sa maison, son chez soi, ses habitudes, dépossédée de toute faculté de se raisonner, et donc d’alléger sa peine. Pauvre Ama qui ne rentrera pas chez elle…
Comment dire la tristesse et les questionnements dans lesquels nous sommes plongés ? Comment dire à quel point nous avons espéré, jusqu’au bout, qu’elle puisse finir sa vie paisiblement dans sa maison ? Nous continuons d’être pris de doutes, de peiner à croire que cela ne soit pas possible... Mais s’il y avait une seule raison nous interdisant de penser le contraire, c’est bien celle du danger qu’elle court de chuter de nouveau, y compris chez elle, de se blesser et d’ajouter la souffrance physique à la souffrance psychologique. Ce serait le pire des scénarios. Mais ce n’est qu’une raison parmi toutes celles pour lesquelles les médecins, unanimes, nous ont déclaré que son placement s’imposait. Toutes raisons pour lesquelles même chez l’un de nous ce n’est pas possible. En Guadeloupe chez Xabi ? Hi ! Hi ! Allez, il faut rire... malgré tout !
Cela dit, d’un autre côté, peut-être y étions-nous un peu préparés, car cela fait si longtemps que les difficultés s’accumulaient… Alors peut-être nous sentons-nous aussi un peu soulagés… Et nous voulons croire que nous trouverons un lieu où elle puisse pour le moins ne pas se sentir trop mal, avec plein de visites, et des sorties aussi bien sûr, si possible. Nous passons de délicieux moments, ensemble, avec elle, lorsque nous allons la voir à l’hôpital de Saint-Jean-de-Luz. Elle est encore bien, malgré tout. Elle est « si mignonne », comme l’a dit Denis… Mais comment la maladie évoluera-t-elle ?...
Nous continuerons de vous informer par mail. Vos appels nous touchent, bien entendu, et vos pensées nous vont droit au cœur. Mais vous imaginez comment tout cela peut nous éprouver, et la difficulté que peut représenter le fait d’avoir à tout expliquer, encore et encore, aux uns et aux autres...
Et c’est surtout la meilleure façon de vous informer au mieux, toutes et tous, au fur et à mesure de l’évolution de la situation de votre Jeannette chérie.
Nous sommes conscients, également, de la manière dont tout cela doit « parler » à certaines et certains d’entre vous… qui souhaiteront peut-être nous faire part de leurs réflexions et expériences…
Merci pour votre amour et votre soutien.
Nous vous embrassons très fort.
Sabine, Xabi et Denis


La plus horrible décision de ma (notre) vie : placer Ama... en « unité fermée »

C’est alors que la Matrice a dégainé son atout. Béa, voisine et amie, avec Bruno son mari et leurs deux enfants, de Sabine et Marc, nous a annoncé qu’une place était disponible à l’institut Hélio Marin, l’Ehpad de Labenne où elle travaillait, à quelques kilomètres un peu plus au nord d’Ondres, où Sabine et Marc, comme Aita, habitaient. Il ne pouvait être question de laisser passer une telle opportunité !!! Le 6 février 2018, dans l’unité des Atolls de l’Hélio Marin, le dernier chapitre de la vie d’Ama a donc commencé... Sabine, Josette venue de sa capitale pour la voir et moi, ququpu, avons effectué une des toutpies sorties, avec elle, depuis le centre, au bord de la mer à Labenne. Le long de la palissade de la promenade de ce tronçon des dunes qui bordent les plages, au bout de l’esplanade en béton du parking et de la terrasse d’un café, elle nous a dit son envie de se jeter à l’eau, d’en finir... Elle ne cessait d’exprimer son désespoir de se retrouver dans cette situation, de vieillir ainsi, sa tristesse que nous l’ayons « abandonnée », son incompréhension que nous ne la ramenassions pas chez elle… « Vous allez me ramener ! Où est la voiture ? » : c’était sa rengaine, à chaque visite, dès la clinique de Donibane-Lohitzune où elle avait séjourné avant que nous n’obtinssions une place à l’Hélio Marin.

Un après-midi, ma voiture a refusé de m’emmener à Labenne voir Ama. J’ai appelé l’unité des Atolls où Joana, une aide-soignante, m’a répondu. Elle m’a raconté qu’Ama avait dit à Graxiana et à Jean-Pierre qu’elle allait bien, maintenant, et qu’elle acceptait d’être là. Elle s’était même « fait des copines », parmi les pensionnaires, m’a-t-elle affirmé. Toutes ces bonnes nouvelles : je n’en revenais pas. Début mars, pour ses quatre-vingt-un ans, toute la famille s’est réunie autour d’elle, dans la « salle des familles » de l’institut que nous avions réservée pour l’occasion. Elle était en forme. Elle riait. Elle rayonnait de joie, et nous avec elle. L’une ou l’un d’entre nous a-t-ielle songé que cela pût être son dernier anniversaire ? Ou tout le monde, au fond de soi ? Moi, consciemment en tout cas, pas une seconde. Ama est née le 5 mars. Nous avons célébré son anniversaire un jour avant, le 4 mars, car c’était un dimanche. Je suis superstitieux (ah bon ???) – sans en faire une maladie, comme rien dans la vie, j’en ai assez d’une vraie –, et donc pour moi, en principe… pas question de souhaiter ou de fêter un anniversaire en avance ! Il est possible que j’y aie objecté, sans insister, ce dont je ne me souviens cependant pas, mais de là imaginer un quelconque lien de cause à effet avec le dénouement à venir : ce serait un drôle de contre-exemple de ma foi en l’Univers et en la Puissance Suprême dont les êtres humains, ainsi que tout fragment de ceux-ci et de toute chose, en ce bas monde, ne sont qu’une infime particule. Amen.

Il n’est rien sur quoi nous puissions exercer le moindre contrôle, en tant qu’exécutants-tantes de la seule volonté divine. Re-amen. Non, mais, sans blague, l’univers, les planètes, la vie sur Terre, seraient le résultat d’un processus d’une extrême précision dont la moindre variation, de l’ordre de l’infiniment petit, aurait provoqué l’échec[3], et les êtres humains devraient échapper à cette loi ? La vie est un éternel Big Bang, réglé au millimètre, et nous, les humains, maîtriserions le cours de notre existence ? Nous avons raccompagné Ama à son unité, un peu avant 19 heures, pour le dîner. Point d’orgue de ce merveilleux après-midi pour elle, cet autre petit miracle en repartant : Jean-Pierre, ancien agent de maintenance d’une maison de retraite privée de Meharitze (lui-même retraité, comme sa douce), a noté, à travers les vitres du couloir entre la chambre d’Ama et le patio central, qu’une baguette en bois en haut d’un mur dont il avait constaté, quel nutôt, qu’elle était démise... avait été remise en place !!!

« Il va bien, Manu ? » : c’est quasiment la dernière question de toute sa vie qu’Ama m’a posée. Mais je retournais systématiquement en Gwadloup, entre deux visites, tous les deux ou trois jours, et certainement Ama m’a-t-elle donc encore demandé quelques fois aussi, comme souvent quand elle me voyait arriver : « Tu arrives de Guadeloupe ? » En vrai : c’est vrai et c’est faux, ou plutôt faux et vrai. Faux, bisû, les trois premiers morceaux de la phrase, et vrai les trois derniers. Mais une « vraie » question, comme pour Manu-Manno, ça n’arrivait quasiment jamais plus, et ça ne s’est vraisemblablement plus jamais produit. Elle me l’a demandé tout d’un coup, dans la voiture, assise à côté de moi alors que je conduisais, entre l’Hélio et le bord de mer de Labenne où je l’emmenais. Elle s’est tournée vers moi, en plein mon monologue pour essayer de la stimuler, comme toujours, de provoquer quelque réaction, quelque parole de sa part... Car elle avait fini par ne plus s’exprimer que très peu, péniblement, quand nous la questionnions. Elle qui, bisû, avait toujours été si curieuse de tout ce qui concernait la vie de son fils, de ses enfants, et dont je ne verrai plus son sourire et son regard qui brille quand elle me parle et m’interroge. Mais nous avons finalement passé notre plus délicieux moment tous les deux, à la terrasse du café de l’esplanade de la plage, cet après-midi-là, de tout son séjour à l’Hélio. C’est le jour où elle a le plus ri. Bon, pas aux éclats, on est d’accord.


Le début d’un long séjour en Euskadi, auprès de mes amis-mies aussi...

En ces temps où je consacrais la plupart de mes sorties à rendre visite à Ama, je n’en oubliais pas pour autant mes lagunak, à qui j’ai parfois proposé de m’accompagner à Labenne, mais jamais nos disponibilités n’ont... coïncidé. Résultat, jamais aucun-cune n’est allé-lée la voir avec moi. Un... regret ? Que nenni, pas plus ici qu’en n’importe quelle circonstance, combien de fois va-t-il falloir que je le dise ? Il DEVAIT juste en être ainsi, combien de fois va-t-il falloir que je... (Cet isa sexi rut.[4]) À propos de visite d’amis-mies à Mamie... euh... à Ama : celle de BernOk avec MaxiFer, il doit y avoir cinq ou six ans, chez elle, un 5 mars, jour de naissance de Maxou comme elle, mais pas tout à fait la même année, on est encore d’accord. Je déjeunais, en Gwada, quelques jours après la visite (à des milliers de kilomètres) en question, dans un restaurant d’un centre commercial. J’ai téléphoné à Okis, en attendant mon plat, qui m’a raconté (Okis, pas le plat) qu’il avait reçu un SMS que je lui avais envoyé, ce fameux 5 mars – sans lien avec l’anniversaire d’Ama, auquel je ne pensais même pas, mais ça... euh... ci... euh... si ! –, à l’instant où il était en train de se garer devant chez Amie... euh... Ama. Sublime attention de la part d’Olivier et de Bernadette pour Ama, caractère exceptionnel du moment, intensité et ancienneté de mon amitié pour Olivier, sans oublier Bernadette bisû, et leurs deux enfants : quelle autre explication à la survenue de cette synchr’Ok d’une probabilité quasiment nulle ?

Je suis passé chez Yoyo, un jour, à Baiona, pendant cette même période du... Gachapi ?... ou plutôt Gachatou ?... du séjour d’Ama à l’Hélio. Nous sommes allés nous promener près de chez elle. (En écrivant cela, en Gwada, et en me figurant ce moment, la case étonnement et incrédulité de mon cerveau alors réglé en mode con et limitation des déplacements, à la pensée de cette journée où nous étions encore libres comme l’air, s’est activée.) Nous avons marché le long de l’Adour, d’un des deux « bons fleuves » de la ville, la signification d’« ibai ona »[5], en euskara, dont provient « Baiona ». En même temps que j’ai repensé à cette promenade avec Yoyita, et à cette autre fois, des siècles, ou décennies en tout cas, auparavant, où j’étais passé par là pour me rendre au club d’aviron de la Nautique, je me suis remémoré ma virée dans Baiona enneigée effectuée avec Graxiana eta Jan-Pierra, ququ apa, en mars. Nous étions descendus-due ensemble à pied, via cet itinéraire tant de fois emprunté entre Arrantzako Borda et hiribarnea, mais qui avait alors revêtu des atours rarement vus, jamais peut-être pour ma part d’ailleurs avec une telle épaisseur de neige. J’avais laissé GraxiJa en bas de chez BernOk, en ville, que j’étais monté cueillir et avec qui j’avais poursuivi, de même qu’en compagnie de Théo, un ami qu’ils hébergeaient quelques jours, ainsi que de leurs petits Max et Ferdi, cette féérique balade.

Trois jours plus tard – si ce n’est dès le lendemain –, c’était l’été. La neige n’avait pas tenu, et nous étions ainsi passés d’un extrême à l’autre, dans l’une de ces folles fluctuations de la météo euskadienne. [Mon allusion, c’était sans aucun souvenir de cette fluctuation-là – et on se demande quel pourrait bien en être lien, on est encorcore d’accord.] Même Breizh n’est pas aussi fortiche, qui n’a que la mer pour influer sur son climat. Histoire de dire, au passage, qu’en Euskadi on a la mer ET la montagne. C’est moche en plus la Bretagne. Et les gens, là-bas, entre autres mœurs bizarres, vénèrent une créature, le « Gouriézi », une sorte de mini cheval gonflable, qui flotte dans les airs, comme les ballons à l’hélium que l’on voit, parfois, aux Bakak. Et, justement, alors qu’un soir des fêtes je me trouvais, avec Okis, sur le toit en haut de l’immeuble de chez lui, en compagnie de Poïbz un ami breizhois, il en est apparu un dans le ciel. Bernouille et Olive, établie-bli depuis peu, avec leurs bi mutilak, au cœur de la bête labourdine (après avoir vécu à Paris, puis quatre ans à Berlin), jouissent depuis leurs fenêtres du quatrième étage d’une vue exceptionnelle sur la ville et les montagnes au loin. Et du niveau du dessus avec accès aux tuiles, c’est encore plus grandiose. Concernant Breizh, en vrai, j’ai été envoûté, dans ce pays des forces telluriques, lors d’un séjour avec Isa la Normando-parisienne, son coq Benoît et Okis, il y a une douzaine d’années, comme rarement à ce point (c’est dire...), par la beauté et la magie de ses paysages et de son littoral. Mais était-ce vraiment Breizh – car nous étions chez un parent d’Isabelle –, ou la rivale, non pas basque mais normande ?... Bof, lexita[6].

En Euskadi jamais il n’avait autant neigé sur une seule journée, en plaine, depuis 1986, que ce fameux jour du mois de mars 2018, année pour laquelle j’avais retenu le record absolu d’un épisode neigeux de trois semaines ! La nochiée qui figurait après le paragraphe ci-dessus sur mon association d’idées entre balade avec Yoyo le long de l’Adour et club d’aviron de La Nautique, racontait que j’étais allé voir un jour où je séjournais à Arans, dans mes journaux intimes du milieu des années quatre-vingt que je conservais dans un tiroir d’une armoire de mon ancienne chabadaka, ce que j’y avais inscrit sur la neige tombée en 1986. J’ai ouvert un journal à une page où il était écrit : « Ce matin j’avais envie de faire la grâce matinée. Je ne suis pas allé à la rame. » J’ai ramé, ado, pendant deux ans. Combien de fois ai-je pensé « aviron », depuis cette époque, pour que, pour la première fois en vingt ou trente ans que je déterre un de ces journaux, je tombe sur ça à ce moment-là ? Mais j’exagère la wahoutitude de ma synchro, parce qu’« à la rame » où le petit Xavier parle d’aller, il y a trente-cinq ans, ce n’est pas à La Nautique mais à l’Aviron Bayonnais. La Nautique, sur l’Adour donc, pas loin du quartier Saint-Esprit de Yolanda, se trouve à plusieurs kilomètres du quartier Saint-Léon, alors que les locaux du club de rugby-aviron ou aviron-rugby (pourquoi l’Aviron du ballon rond s’appelle Aviron japu), en face de la moyenâgeuse fontaine du même nom[7], la fontaine Aviron – mais non, la fontaine Saint-Léon –, bordent la Nive à deux pas en contrebas du morne de l’Arrantzako Borda. Mais la compétition Nautique-Aviron Bayonnais, dans ma tête, c’est un peu la même que celle du lycée Cassin et du lycée Lauga, avec d’un côté un esprit plus humble et une ambiance plus sympa que de l’autre. J’avais donc tout de même finalement opté, la mort dans les rames (mais non, pas à ce point), pour l’Aviron Bayonnais.

  1. L’appartement, en 2017, n’avait finalement pas été loué. Il ne l’aura été que trois semaines après mon départ en ce mois de janvier.
  2. C’était dans le monde d’avant...
  3. Thèse développée dans La Formule de Dieu de Rodrigues dos Santos. Je prends.
  4. C’est ce qui s’appelle s’exciter tout seul.
  5. « Ibaï ona » : ibai = fleuve ; ibaia = le fleuve ; on (« onn ») = bon, bien ; ibai on + « a » sur l’adjectif (sinon, donc, sur le substantif, s’il est tout seul comme un grand) = le bon fleuve.
  6. L’espace n’existe pas.
  7. « D’après les légendes, une source jaillit à l’endroit où la tête de Saint Léon, tranchée par les Normands, toucha le sol. La source fut un lieu de pèlerinage et de dévotion. Ses eaux passaient pour pouvoir guérir les maladies liées à la grossesse et aux yeux. [...] La fontaine existait déjà en 1594. Elle fut achevée en 1644. Au milieu du XVIIème siècle, une chapelle fut construite près de la fontaine, mais finalement démolie pour répondre aux besoins des constructions de Vauban. La fontaine fut épargnée. » (https://monumentum.fr/fontaine-saint-leon-pa00084335.html) [Nous disions ?... Normandie, Bretagne, Pays basque, rivalité ?… Faisons comme si de rien n’était, afin de ne pas encore nous embarquer… et puis comme qui dirait, c’est très exagéré, tout ça. Mais oui, c’est ça. 15h15 là. Na.]