Chapitre 30 – Xabi et Manno en Gwadloup (suite et fin)
Fumer tue... ou sauve la vie
Dans la série des sujets qui fâchent, la cigarette, poison pour le corps, peut aussi l’être pour le couple. Mais peut-elle aussi sauver des vies ? Comme avec la Covid-19[1], que des milliers de fumeurs-meuses de par le monde – en attendant certes, peut-être, de mourir de leur cancer –, n’ont pas attrapée ou à laquelle ielles n’ont pas succombé pour la simple et mauvaise raison qu’ielles fumaient ! Intox, Fox ? À cette cohorte de survivants-vantes grâce à la dernière des causes qu’on aurait citées (infox ?) s’en ajoute un (ça c’est du vrai de vrai) : un homme d’une soixante années, qui vit (peut-être) toujours, grâce à une de mes cigarettes, sans laquelle, il y a vingt-deux ans, il aurait décédé. Que j’ai fumée, un soir, à la fenêtre de mon appartement de l’avenue de Saint-Ouen à Paris. J’avais soudainement vu de la fumée sortir du coin d’une fenêtre du bâtiment d’à côté, à un étage en dessous du mien, dont les volets étaient fermés. Un tout petit filet, pendant deux ou trois secondes, puis plus rien. Je me suis demandé si j’avais rêvé, ou halluciné – comme bien des années plus tard en Gwadloup, dans une autre histoire de fumée, et de feu.
Devais-je appeler les pompiers ? Au risque, certainement, de les « déranger » pour rien. Mais mon petit doigt m’a dit qu’il fallait, me faisant, par l’entregent de dieu des saints… euh… deux des siens, composer le 18. Je suis descendu les attendre devant la porte d’entrée du bâtiment de la fenêtre suspectée. Non seulement mon alerte n’avait-elle pas suscité le moindre doute et la moindre hésitation de leur part, au téléphone (quand parfois on peut se tordre de douleur, et qu’ils vous envoient promener), mais au bout de quelques minutes, ils s’étaient déjà pointés. Je leur ai indiqué de quelle fenêtre il s’agissait. Ils sont entrés dans le bâtiment, me demandant de les suivre. Nous sommes montés jusqu’à l’appartement concerné, dont ils ont, sans davantage tergiverser, défoncé la porte. En une seconde, de la fumée a envahi toute la cage d’escalier. Moi : demi-tour, dévalage de la cage et dehors. Me succédant, quels mutards, les pompiers ont franchi la porte de l’immeuble avec un brancard et, sur celui-ci, le jeune homme qu’ils avaient extrait de chez lui et placé sous oxygène. Ledit s’était endormi, laissant une casserole brûler sur le feu. Grand classique des accidents domestiques qui, bien des années plus tard, allait devenir un sérieux objet de préoccupation pour Ama… Grâce à ma clope, cette personne respire peut-être encore aujourd’hui, alors qu’elle aurait dû périr asphyxiée.
Ma tige, et mon réflexe aussi bisû ! Sur ce point la leçon est claire : ne surtout jamais hésiter, dans le doute, à alerter les secours !!! Et quel autre exemple de nico-tine... euh... tige... euh... pète-manno ! C’est pendant la rédaction de ce paragraphe que j’ai entendu, suminu, des médecins expliquer que les fumeurs étaient beaucoup moins nombreux à contracter le coronavirus ou à tomber malade car ils semblaient être protégés par la nicotine, au point qu’une réflexion était engagée sur une éventuelle utilisation de cette substance dans la mise au point d’un traitement. Mais ceci n’est pas une publicité sournoise pour la cigarette, et je ne suis pas sponsorisé par le Klu-Klux-Klan, selon la légende des trois K du paquet d’un célèbre industriel du tabac, disparus des écrans avec les paquets noirs aux sordides clichés. La cigarette, casus belli de bien des couples, quand l’un ou l’une part en guerre contre l’autre pour qu’ielle cesse de mettre, en fumant, sa vie en danger ! Noble cause, car c’est bisû par amour, et en cela grâce lui en soit rendue ! Mais aussi louable l’intention soit-elle, hors talc... euh... tact et douceur, sur ce sujet comme tous les autres, point de salut !
Inde, papapap[2], relou et séquence café-pâtisserie-clope en terrasse d’une boulangerie. J’ai écrasé ma cigarette, la dernière du paquet, mais pas par terre, non, certainement pas – car je serais le premier à étriper quiconque je verrais jeter ça ou tout autre déchet ailleurs que dans une poubelle –, me jurant que je n’en achèterais plus, et ponctuant mon acte par un « Hare Krishna » (discret). Je m’y suis tenu, pendant tout le mois de mes samédantoncus, jusqu’à ce qu’un malheureux événement mît fin à mes bonnes résolutions… J’ai levé les yeux vers le ciel chargé de nuages, après mon salut à Krishna, et j’ai fixé un trou bleu. Le bruit d’un avion s’est mis à retentir. J’ai pensé « Air Caraïbes », Manno et mon abstinence de la cigarette de tant d’années. J’ai attendu que l’avion apparût. Un appareil aux couleurs de la compagnie, effectivement, un de ces ATR que je regardais passer, treize ans plus tôt, depuis ma piscine de l’hôtel Mont Vernon à Saint-Martin. En pensant très fort que Manno volerait bientôt dedans alors qu’il en était toujours, certificat de personnel navigant en poche, à remuer ciel et terre pour qu’enfin la compagnie l’embauchât. L’ATR est passé exactement là où mon regard s’était arrêté, en plein milieu du trou de ciel bleu.
Un an et demi plus tard : autre terrasse d’une autre boulangerie et autre café et… cigarette. La vendeuse m’avait donné un seul sachet de sucre. Mon café n’était pas assez sucré et, ma cigarette allumée à la main, je ne pouvais pas retourner dans la boulangerie. J’ai machinalement regardé les plateaux des quelques autres personnes assises à la terrasse, prêt à exécuter un double salto arrière et à m’emparer du sachet si j’en voyais un dessus. Mes yeux ont finalement visé deux meubles, à la sortie de la boulangerie, à l’autre bout de la terrasse, l’un à trémie pour le dépôt des plateaux par les clients une fois leur conso terminée, l’autre avec poubelle, sous l’étagère supérieure, sur laquelle se trouvait… un sachet de sucre ! Violet, sur le meuble noir, posé là tout seul dans un coin de l’étagère, et qui m’attendait sagement. Je me suis levé pour aller me saisir de ce sucre qu’il m’avait suffi d’appeler de mes deux… euh… vœux pour qu’il apparût (poil au trou bleu du cul), et me suis exclamé à l’adresse d’une jeune femme assise à une table près du meuble : « Ben voilà ! Exactement ce que je cherchais ! C’est fou, non ? » J’ai senti, à la manière de la personne, très en surpoids, de lever les yeux pour immédiatement les baisser de nouveau et de ne pas me regarder, esquissant à peine un sourire, qu’elle baignait dans un marasme total. Parce que semi-consciente, certainement, à son niveau d’obésité, de la gravité de son état, et en tutu particulièrement mal dans sa peau. Mais le tutu, ma belle, quelle idée t’as eue !
Avant mon café-clope à la boulangerie, j’étais allé au magasin bio. Avant le magasin bio, j’étais allé dans un magasin de jardinage. Avant le magasin de jardinage, j’étais allé dans un magasin d’ameublement. Avant le magasin d’ameublement, j’étais allé dans un magasin de prêt-à-porter. Avant le magasin de prêt-à-porter, j’étais allé dans un magasin d’électroménager. Avant le magasin d’électroménager, j’étais allé chez un maroquinier. Avant le maroquinier, je m’étais arrêté dans une quincaillerie. Avant la quincaillerie, dans une épicerie. Avant l’épicerie, dans une chocolaterie. Avant la chocolaterie, dans un magasin d’animaux de compagnie. J’ai acheté un lapin nain. Je voulais aller chez un fleuriste, lui acheter des feuilles (j’ai cité la papèterie ?...), mais je n’avais plus le temps. Totale infox, on s’en serait douté. Un magasin de jardinage, dans la vraie histoire, c’est tout : je n’y avais depuis longtemps pas mis les pieds. J’avais besoin de plantes pour ma terrasse, ainsi que d’un pot et de deux abreuvoirs pour les colibris. Manno avait eu l’idée géniale d’en ramener (un abreuvoir, pas des colibris), des années plus tôt, pour notre plus grand bonheur d’observateurs du défilé, tous les soirs à l’heure de leur apéro, de ces minuscules et sublimes oiseaux fous et chamailleurs. Le colibri : proportionnellement à sa taille, il est la créature la plus rapide et la plus énergique au monde. Une des plus sonores aussi, bien que sur ce plan la palme revienne à la rainette, ce batracien gros comme l’ongle du pouce dont le cri, la nuit, retentit puissamment. Il est l’estampille sonore des contrées tropicales le soir.
Des abreuvoirs à colibris, un parapluie et des bribis (briquets Bic)
Le toutpi colibri a fait son apparition le surlendemain de l’installation de mes deux nouveaux abreuvoirs alors que j’étais au téléphone avec Manno, que je venais d’informer de ma nouvelle acquisition. C’était un « Lonbèk » ! Un superbe spécimen venait de se poser sur le bord de l’abreuvoir, pendant que je parlais à Manno, et dont j’ai pu observer, comme rarement, tout le petit corps et le plumage aux reflets verts et violets. Manno eta nik, au temps où nous pouvions les admirer ensemble, leur donnions des noms. Les plus beaux sont les plus gros, aux plus longs becs fins et courbés. Du bec-aiguille de l’oiseau surgit la langue, telle un micro-serpent, au même rythme de mille à l’heure que tous ses mouvements, et au moyen de laquelle il recueille, sur de vraies fleurs ou sur les fausses – en plastique, du rebord des abreuvoirs tels ceux que je venais de suspendre –, le nectar offert par la nature ou les humains. Le nom de notre plus petit visiteur était Tikrèt. Un tout mimi aussi, avec sa petite crête, d’une autre des deux espèces observables dans la résidence, mais qui fait un peu pâle figure à côté de ses congénères de l’autre plus illustre catégorie, car le pauvre est tout gris (Manno aussi il est « tout gris » – un enfant, dans un jardin). Apata, un tout petit peu plus loin dans le brouillon de mon manu, je suis arrivé à une nochiée qui attendait d’être traitée : il s’agissait d’un cul de Maia qui disait : « Coucou Xabi ! J’espère que tu as fait bon voyage jusqu’au pays des colibris ! »
Le dimanche de la Toussaint 2020, jour des 2 Ans d’Ama dans l’Au-delà et de FIN de Mon Dieu, Mon Bouddha et Patata, vers midi, j’ai téléphoné à Manno. « Tu m’as devancé ! », s’est-il exclamé en décrochant. « Je venais d’attraper mon téléphone, j’allais t’appeler ! » Nos Granits se sont percutés, pour Ama. Au bout de dix minutes de conversation, à l’instant où j’ai raccroché, « le » Lonbèk a surgi, exactement le même que quand j’étais au téléphone avec Manno le jour de l’installation des abreuvoirs, aussi beau, LE plus beau, venu jusqu’à eux. Mais que je n’ai plus remplis depuis que j’y ai mis, une première fois, un mélange d’eau et de cassonade, qui n’a que très peu eu de succès. Rien de comparable avec le défilé et le spectacle auxquels Manno et moi avions eu droit, dans une autre vie, ne s’était produit. Et les colibris, en fait, continuaient de venir (au compte-goutte), attirés par l’objet, aussi peu mais pas moins que quand les réservoirs étaient pleins.
Après mes achats d’accessoires horticoles et aviaires, sur le parking du centre commercial, j’avais dû renoncer à pousser mon caddy sur un bitume peu praticable pour les roues de celui-ci jusqu’à la place, un peu éloignée, où je m’étais garé. Je l’avais laissé entre deux voitures stationnées, deux minutes, le temps d’aller récupérer la mienne et de revenir, en marche arrière sur la voie à sens unique, les chercher. Dans les coffres des deux véhicules que mon chariot gênait, une femme à l’un, un couple à l’autre, étaient en train de charger leurs courses. J’ai balayé le reste du parking du regard : c’étaient les deux seules des dizaines d’autres voitures dont les propriétaires étaient revenus ! Comme avec la dame assise à la terrasse de la boulangerie, j’ai souhaité partager ce nouveau phénomène incongru avec une soixantenaire toute en beauté et manifestement au pic de sa forme, mais froide comme un glaçon. Je n’avais pas l’intention d’insister comme un lourd-dingue, jusqu’à ce qu’elle s’extasiât, sur mon anecdote, mais elle n’a pas levé le regard de son coffre, au point que j’ai fini par lui demander, en anglais, si elle parlait français… Pas la moindre réaction. Manno, avec sa propre synchronicité à base de parapluie qu’il m’a racontée au téléphone pendant l’instant colibris, a évidemment eu plus de succès que je n’en ai rencontré avec ces dames. Que des complexes, pour l’une, et la raideur, pour l’autre, ont empêché de jouir de la mienne. Qu’est-ce qu’il faut être raide et complexé, pour résister !
Manno, la leçon d’espagnol et le parapluie : la première ondée tropicale de l’année, avec un orage d’une rare intensité, était en train de s’abattre, et j’imaginais mon gros dormeur bien à l’abri chez lui. L’inverse d’une chique molle, pas du genre à s’enterrer – et (presque) toujours partant pour aller se promener –, il ne lui en prenait pas moins, à ses heures, y compris par grand beau temps, de marmotter. Mais non, Manno s’était aventuré en bus – car en plus sa voiture était en panne –, jusqu’à Lapwent, à une dizaine de kilomètres de son quartier de Magaya[3] à Gozyé, dont le quart à peu près au-delà de celui de Bas du Fort. La mouche coiffeur l’avait piqué. Il était parti, en plus, sans le parapluie dont sa leçon du jour d’un programme d’espagnol qu’il suivait sitet, depuis quelques semaines, pour s’améliorer dans cette langue – qu’il maîtrise au demeurant plutôt bien, comme l’anglais (en plus de ses créoles bisû) –, avait pourtant semblé l’inviter à se munir. Objet dont il avait en effet été question, dans cette leçon, très à la page, et dont il aurait sans doute suivi la prescription... s’il en avait eu un !
Objet suivant : les briquets. Je les collectionne. J’en possède toujours un nombre inversement proportionnel à mon degré de tabagie. Donc beaucoup. Pour être certain d’en avoir toujours un sous la main, car en termes de contraire, ils sont l’antithèse des petits pains. Ils s’oublient, se perdent, finissent dans la poche des camarades de fumerie… Et il n’est rien que je déteste tant que de ne pas trouver ce que je cherche, mon impatience – couplée à mon souci d’efficacité – ayant au moins fait de moi un as du rangement et du classement. Ce que je tiens, en réalité, de mon expérience de bureau acquise à Terre des Mondes. Mais c’est le jour du dernier anniversaire de Manno que s’est produit un phénomène, comme un anti-cadeau, en ce qu’il n’aurait pas exactement été pour l’enchanter. Nous avions passé un petit bout d’après-midi ensemble, dans le monde d’avant la conne, où l’on pouvait encore s’attabler à une terrasse, à laquelle nous nous étions régalés – anniversaire oblige – de délicieuses pâtisseries, agrémentées pour ma part d’un café. De retour dans ma résidence, devant la grille de mon appartement, à la recherche de mes clés, j’ai fouillé une première poche : j’ai sorti un briquet Bic rouge. Dans la deuxième, j’ai trouvé un briquet Bic bleu. Dans la troisième, j’ai encore senti un briquet. Je me suis dit qu’il ne manquerait plus qu’il soit blanc. C’était encore un Bic ! Il était… gris. Je n’ai pas acheté ces briquets ensemble, et je ne sais vraiment pas comment j’ai pu me retrouver avec ces trois exemplaires du même modèle dans mon short, et cet assortiment bleu-presque-blanc-rouge.
Deux hommes ensemble. Puis terminé. Alors que « rien » (surtout pas quelques homophilphobes de pacotille) ne les en empêche...
J’ai regardé pour la énième fois, sitet, quel jutard, « Le secret de Brokeback mountain » (en VO bisû – n’étant pas amateur de massacre à la synchro...nisation [anglicisme pour le jeu de mot = doublage]). Manno eta nik avons découvert ensemble, au cinéma, en Gwadloup, ce chef d’œuvre sur l’amour interdit et à haut risque de deux jeunes et beaux bergers du Wioming. Les spectateurs-trices (plutôt les teurs) ont un peu ri, dans la salle, au moment de la scène où l’un, Ennis Del Mar, sous la tente, succombe aux avances de l’autre, Jack Twist – mais au moins les Gwadloupéyen n’ont-ils pas mis le feu au cinéma. J’ai été bouleversé, comme toujours, en le revoyant, à la pensée que Manno e mwen ne vivions plus ensemble alors que « rien » ne nous en empêchait, quand le film traitait du drame de ces deux hommes pour lesquels c’était inconcevable, du fait de la haine dont les homosexuels étaient alors victimes, aux États-Unis comme ailleurs. Et qui valait à la belle gueule de Jack Twist, à la fin, d’être réduite en bouillie à coup de crics de camion. Quelques jours, donc, après mon triple délit – trois briquets dans mes poches, le jour de l’anniversaire de mon homme, aux couleurs (presque) françaises –, j’ai noté pour la première fois, dans le générique de fin, la présence du nom basque « Aguirre ». Celui du fort inamical employeur d’Ennis et de Jack... et, à un « e » à la place du « i » près, d’un de mes êtres les plus chers ! Ainsi que d’un autre nom, « Basque », là, carrément : celui d’un troisième berger. C’était le « point d’orgue », selon l’expression renvoyant à la puissante note de l’instrument venant clore un morceau, dans une explosion de vibrations.
Bien que très, très loin de la fin atroce de Jack ou d’un autre homme dont Ennis lui raconte, dans le film, que son père s’était chargé de régler son compte – en le traînant, attaché par les c... à une charrette –, quand Ennis était gamin, parce que l’homme en question vivait avec un autre homme, nous avons été pris à partie à deux reprises, dans la rue, eu égard à notre supposée homosexualité. La première fois, dans Lapwent, sur la promenade le long du chenal après le terminal des bus et des ferrys. Un jeune Gwadloupéyen, sans doute résident des cités alentour, était assis sur un banc avec sa copine. Quand nous sommes passés devant luile, le jeune homme s’est levé et nous a demandé : « Vous êtes pédés ? » Nous gardant de toute réaction autre qu’un « non », que j’ai bafouillé, et quelques mots de Manno, afin de ne pas risquer une altercation physique – Manno lui aurait réglé son compte sans mal, s’il avait fallu, mais autant éviter –, nous avons poursuivi notre chemin, tandis que l’importun grommelait sa désapprobation.
Jamais nous ne nous autorisons le moins du monde à nous « afficher », ce qui nous vaudrait un lynchage (au moins verbal) en règle. Mais le seul fait de nous montrer ensemble suffit pour les Gwadloupéyen-yèn, selon Manno, à nous assimiler à un couple. Les mâles les plus agressifs n’hésitent alors pas à montrer les dents. Il n’est guère que dans un quartier cosmopolite comme Bas du Fort que deux hommes, à fortiori un Noir et un Blanc, peuvent envisager de vivre ensemble sans risquer quelques tracas. Propos hostiles de nouveau, bien que moins ouvertement homophobes, de la part d’un autre jeunot, dans le bourg de Sentann, un peu en retrait de la plage, où nous déambulions : il a reproché à Manno la couleur de son tee-shirt (moulant – si tatulu pissi[4]), d’un orange tendant vers le rose – comme il évite à vrai dire généralement d’en porter –, déclarant qu’il convenait de ne pas donner de mauvais exemples aux enfants, comme son petit neveu, a-t-il dit, qui se trouvait là. Il était avec quelques copains, dont un au cerveau manifestement moins atrophié, qui a eu l’air de trouver ses propos ridicules et lui a signifié, sans vraiment lui dire, après un court conciliabule entre Manno et ce pauvre garçon, qu’il n’y avait pas lieu de nous importuner.
- ↑ C’est bien « la », la « maladie transmise par le coronavirus » (coronavirus disease). Addenda (après réflexion et plus amples informations) : fèm… et masc !... sont en réalité autorisés. Bien que j’eusse personnellement toujours suivi la règle (de traduction), à mes yeux la plus logique, que l’on conservât le genre du signifié (ici celui de la disease, la maladie).
- ↑ Passage par Paris pour ou depuis Pointe-à-Pitre
- ↑ Mare-Gaillard
- ↑ Si tant est qu’il soit utile de le préciser.