Chapitre 31 – Nos Gagaditus-tues (Grands-Grandes Visiteurs-teuses)

De Xavier Renard
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« La lumière ! La lumière ! C’est le paradis. Ta mère était heureuse aussi »

Nous avons eu de nombreuses visites, au fil des ans, tant Manno que moi, de pochimis-mies. Nous avons profité de notre premier appartement de la résidence Porte des Caraïbes, un trois-pièces une fois et demi plus spacieux que celui pour lequel nous avons déménagé, au bout d’un an, dans l’immeuble d’à côté, pour accueillir en même temps Yoyo, Carole et Damien, ainsi que Valentine et Célestin, deux de leur quatre enfants. Nos Gagaditutus-tues, dans le suivant, sont venus-nues[1] en solo, comme Philippe, trois fois, ou à deux, à part Bernadette et Olivier qui étaient accompagnés de leur Maxou de même pas deux ans. J’ai reçu des lagunak dans tous les pays où j’ai vécu, sauf bisû au Rwanda et en Afghanistan. Mais des membres de ma famille, il n’en est venu qu’en Gwadloup : Aita à deux reprises, avec son coq Jean-Yves la première fois, puis Pierre son doudou aktyèl, Sabine avec Marc, Léa et Hugo, et Denis et Maia deux fois. Ama est venue trois fois, dont deux, en 2009 et en 2011, accompagnée de Joseta. La troisième fois, en 2015, Domi la voipa-voimie-voidapajudue de Joseta était également de la partie. Ama logeait chez Manno et moi, bisû, et JoDom chez Serge, qui nous a gentiment prêté son appartement du quartier de Pointe de la Verdure dans le secteur du bourg de Gozyé. L’inspecteur des impôts, après avoir vécu deux ans en G(u)iyann, où il avait effectué les deux dernières années de sa carrière, se trouvait alors à New York, où il est allé vivre quelques mois avec son père de quatre-vingt-quinze ans. Serge y est né, et n’a pas peu clamé avec fierté toute sa vie – depuis que je le connais du moins – qu’il possédait aussi un passeport étasunien !

Une île tropicale : c’est peut-être la dernière destination qu’Ama aurait choisie, n’était-ce pour aller voir son fils chéri. La mer, la chaleur : ce n’était pas vraiment ce qui l’attirait le plus. J’ai craint, d’ailleurs, qu’elle ne tirât un peu la langue, mais tout s’est très bien passé. Deux fois sur trois en tout cas. « À chaque fois on a tout fait ! », m’a récemment dit Joseta, au téléphone, à propos de ces trois séjours passés en Gwadloup avec Ama et/ou sa voie-voie-voie. Puis Joseta s’est envolée (pas tout de suite de nouveau pour ses îles tout de même mais en pensées), laissant défiler, dans sa tête (voilà, c’est ça), les souvenirs de ses vacances ici avec ou sans JaDo : « Tout est magnifique. J’ai à chaque fois été éblouie par tant de merveilles et de beauté du paysage et du ciel, comme anesthésiée, j’avais l’impression de ne pas être sur Terre. Et la lumière ! La lumière ! C’est le paradis. » Joseta, venue pas moins de six ou sept fois, a également apprécié les journées paisibles – le but des vacances n’étant pas forcément de tout le temps courir dans tous les sens –, où elle rejoignait, simplement, depuis l’appartement, l’annexe plage[2] en bas, pour s’y prélasser, barboter et papoter. Je n’en ai pas moins à cœur de régaler mes hôtes au mieux, et de me régaler avec elleux. Sachant qu’ielles ne m’ont pas forcément en permanence sur le dos, et qu’ielles accommodent parfois leur programme à leur propre sauce, vont et viennent, s’en vont dans une autre île et reviennent... Sinon je propose, et mes hôtes disposent, se laissant porter... Pas possible toutefois pour JaJoDo de conduire, et mes femmes avaient besoin de leur guide, mais parfois j’allais juste chercher Jojo et Dodo à Pointe de la Verdure, et elles passaient la journée tranquilou, avec Ama, à Bas du Fort, ou bien elles restaient flâner dans le bourg de Gozyé.

Ama a particulièrement aimé la Pointe des Châteaux, les falaises, la promenade dans la forêt vers les chutes du Carbet... Dans le registre des fanta-sites de Gwada, un instantané et des culs :

1. Pointe de la Vigie, au nord de Granntè, avec Manno. Nous avions sauté sur les premiers jours de la déconne pour repartir nous délecter des beautés de notre île. Face au panorama de la mer et des falaises, Manno s’est extasié, comme s’il ne l’avait pas déjà vu quarante mille fois – pas le moindre sarcasme ici, et vas-y mon chéri, pâme-toi, j’adOOOre ça !!! –, assénant que c’était peut-être le plus beau site de Guadeloupe, tandis que je m’exclamai : « T’imagines qu’il n’y a actuellement pas UN touriste en Guadeloupe ! » Surréaliste. Mais il est fou de constater la vitesse à laquelle le cerveau peut changer de braquet. Car j’ai presque eu envie de demander à deux des toutnis-nies étrangers-gères que j’ai croisés-zées, quelques temps après le début de la première conne, deux connes... euh... Allemandes (c’est bien ce que je disais... mais non... pauvrettes...), dans un magasin bio : « Mais qu’est-ce que vous faites là ???!!! »

2. J’enculai de la sorte ma Foune :

Je t’avais écrit le message ci-dessous, pensant te joindre l’article de Politis sur PNL [groupe de rap], mais n’étais pas parvenu à le transférer à mon ordi. Synchronicité, encore et toujours, que celui que tu m’envoies sur la négrière Bordeaux. Car je venais d’écouter une émission passionnante sur France Cu, « Les Antilles françaises enchaînées à l’esclavage », qui m’avait tout émoustillé notamment parce qu’il y était question du fort près de chez moi. Une série de quatre émissions, écouate-les [c’est quand ça laisse coi] ! Je t’ai envoyé l’article sur PNL par [ouate-zeu-pape]. Quant à Politis achète-le, abonne-toi, la presse indépendante a besoin de soutien ! Sans ça il ne restera bientôt plus qu’une presse imMonde !! [Allusion au quotidien Le Monde dont il venait de me faire part de tout le bien qu’il pensait...]

Aucun rapport avec ce qui précède ? Pas encore. Message écrit, donc, la veille :

Nous en étions restés à cette discussion de politique chez Lolo dont je te disais dans mon dernier message [ouate-zeu-pape] qu’elle m’avait un peu saoulée. [Du bonheur en boîte, nos repas et débats entre amis-mies, y compris bien entendu chez ledit et sa douce, mais ce jour-là c’était surtout radotage et dialogues de sourds, avec méchante prise de bec à la fin.] Alors que j’avais tant apprécié notre échange avec Cécile [une chteuneue, accessoirement ex d’Iban, pas vue depuis vingt ans], la veille au soir chez toi. Un grand merci de m’avoir permis ces retrouvailles avec elle ! Je suis tombé sur un article, dans Politis, sur... PNL [groupe sur lequel Cécile avait assez longuement glosé] ! (Ci-joint.) Tu disais chez Lolo avoir entendu le groupe à la radio le dimanche matin, et avoir trouvé ça nul. Autre synchronicité, dans le métro en allant chez Lolo, une nana tenait un bouquin dont le titre était quelque-chose comme Why I stopped talking about race[3]... si tu te souviens de mon topo et de notre conversation sur ce concept, toujours la veille avec Cécile...

Toujours rien à voir avec Fanta-Gwada ? Si, maintenant :

A part ça [de relou – très à propos, là ! ça pourrait bien être du français ! « de retour de Guadeloupe », ça signifie, toutefois], je me suis remis au paquetas de choses que j’avais à faire + un peu de taff, après quinze premiers jours passés à me la couler douce et à vadrouiller avec Jojo. Nous avions donc pris l’avion pour la Gwada ensemble, with my baby stew[4]. C’étaient deux très chouettes semaines. Le dernier jour je l’ai emmenée aux falaises... Et j’ai encore mieux réalisé le caractère exceptionnel du spectacle auquel on a eu droit le jour où je m’y suis promené avec toi, avec une mer énorme, car avec Joseta c’était le calme plat. Donc sans intérêt. Hi ! Hi ! [Cracra ce hihitage, après mon pointage d’abus de hahatage. Un signe, que j’aurais pris une bonne résolution ? Illusion.] Mais non, sublime quand-même bisû, mais avec toi c’était démentiel.

Joui rinette sur la Gwadloup, ce petit tableau que j’ai trouvé sympa :

L’archipel de la Guadeloupe, un papillon dans l’océan. La richesse de l’archipel guadeloupéen se découvre à travers son histoire, sa population aux mille visages, sa culture et son environnement. Ses premiers habitants l’avaient nommée l’« île aux belles eaux ». Elle est aussi appelée l’« île d’émeraude » ou l’« île papillon » car, vue du ciel, les deux principales îles se déploient telles les ailes du lépidoptère[5].
Située entre l’Équateur et le Tropique du Cancer, baignée à l’Ouest par la mer des Caraïbes et à l’Est par l’océan Atlantique, la Guadeloupe est un archipel de 1 780 km² dont les deux principales îles sont la Basse Terre et la Grande Terre, séparées par un étroit chenal, la Rivière Salée. Trois autres îles en font partie : les Saintes, Marie-Galante et la Désirade.
Christophe Colomb l’aborde pour la première fois en 1493. Elle devient un Département d’outre-mer le 19 mars 1946, puis une Région en 1974.
Suite au référendum du 7 décembre 2003 relatif au changement de statut, les îles de Saint-Martin (partagée entre la France et les Pays Bas) et Saint-Barthélemy, anciennement rattachées à la Guadeloupe, sont devenues des Collectivités d’outre-mer à part entière.
La Grande Terre. D’une superficie de 590 km², l’aile droite du papillon, la Grande Terre est un plateau calcaire présentant un paysage de plaines sèches dominées par des collines peu élevées (les « mornes »). Son sommet le plus haut atteint un petit 177 m.
Le Nord et l’Est sont des plaines prolongées par des falaises qui plongent dans l’Atlantique. Le Sud et l’Ouest sont formés par la plaine argileuse des Abymes recouverte en partie par une large zone marécageuse appelée mangrove.
Le littoral méridional offre des plages de sable fin et blanc aux eaux limpides protégées par leurs récifs coralliens. On y trouve les principales infrastructures touristiques.
La culture de la canne à sucre et de la banane constitue la principale activité agricole.
La Basse Terre. D’une superficie de 848 km², la Basse Terre s’impose avec son relief et les nombreuses rivières et ravines qui la traversent. La Grande Rivière, à Goyave, avec ses 32 km, est son plus long cours d’eau.
Point culminant : le volcan actif de la Soufrière, à 1 467 m, est le plus haut sommet des Petites Antilles. Le centre de Basse Terre est recouvert de sa forêt dense humide, qui abrite le septième parc national français, avec ses 17 300 hectares.
La ville de Basse-Terre est la capitale administrative de la Guadeloupe.
Marie-Galante. Située à une quarantaine de kilomètres de la Guadeloupe, elle est, avec ses 158 km², la plus grande des quatre « dépendances » de la Guadeloupe.
Elle porte le nom de l’une des trois caravelles de Christophe Colomb (La Maria Galanta) à bord de laquelle il l’a découverte. Surnommée la « Grande Galette », en raison de de sa forme aplatie, cette île « aux cent moulins » est réputée pour son rhum.
Elle regroupe trois communes : Grand-Bourg au sud-ouest, Saint-Louis à l’ouest et Capesterre au nord-est.
La Désirade. De 2 km de large sur 11 km de long, l’île doit son nom à la joie de Christophe Colomb quand il a abordé cette terre tant « désirée » après plusieurs mois en mer. Située à 8 km de la Pointe des Châteaux, la Désirade apparaît comme un bateau renversé. Elle était, autrefois, une terre d’exil pour les corsaires et une terre d’accueil pour les lépreux.
Ses quelque 2 000 habitants vivent principalement de la pêche, de la petite agriculture et de l’élevage.
Les Saintes. Situées à 10 km au sud de la Basse Terre, les deux principales îles des Saintes, Terre-de-Haut et Terre-de-Bas, sont peuplées d’environ 3 000 habitants et entourées de six îlets inhabités.
Christophe Colomb leur a donné ce nom en l’honneur, semble-t-il, de la fête de la Toussaint. [Ama !!! T’es toujours là ??? Pardon, je t’avais un peu larguée en route. T’as vu, c’est ton île ! Bien que nous ne t’y ayons pas emmenée...]
Terre-de-Haut est dotée d’une magnifique baie, classée parmi les trois plus belles du monde, et de nombreuses plages.
L’économie des Saintes repose sur le tourisme et la pêche traditionnelle, réputée dans toute la Caraïbe, en raison notamment de sa charpenterie marine célèbre pour ses bateaux appelés « saintoises ».
Petite Terre. À 20 km de Saint-François, Petite Terre est un archipel composé de deux îlots, Terre de Haut et Terre de Bas. Petite Terre, si ce n’est sa colonie d’iguanes et de nombreuses variétés d’oiseaux, est inhabitée. Elle a été classée réserve naturelle en 1994. La chasse et la pêche y sont interdites.
Le climat. Il est de type tropical maritime, tempéré par les Alizés, les vents en provenance de l’océan Atlantique. La régularité des températures contraste avec la variation pluviométrique. Les deux saisons sont le carême, la saison sèche, de janvier à juin, et l’hivernage, la saison des pluies, de juillet à décembre, correspondant à la période cyclonique.
La population. Terre de métissage, la Guadeloupe est peuplée de Noirs, Métis, Indiens, Européens, Syriens et Libanais.
Au 1er janvier 2003, la population était de 440 000 habitants, très inégalement répartis sur le territoire, avec deux principaux pôles : les agglomérations de Pointe-à-Pitre et de Basse-Terre.
L’économie. Elle s’articule autour de deux piliers : le tourisme et l’agriculture, qui représentent chacun environ 10 % de la valeur ajoutée et de l’emploi.
La capacité hôtelière est d’environ 8 400 chambres en grande partie concentrées en Grande Terre.
Seul secteur exportateur, l’agriculture est dominée par deux filières : la canne et la banane. Cette dernière connaît de grandes difficultés du fait des modifications des régimes [haha] d’aides européennes intervenues.
Le secteur public, le commerce et la distribution occupent également une place importante.

Sources : Orientations régionales de gestion de la faune et des habitats (ORGFH de la Guadeloupe)


Grand Saut... euh... Salut de la Jeannette à sa Suzanne (sur sa tombe) en Matinik

Ama !!! Ah, t’es là. Mon Ama, pas fan de playa pour un chocha, n’a tout de même pas trop eu l’air, pendant son séjour en Gwada, de détester ça ! La Galette fournée 2009 avec Ama et Joseta : « Elle a beaucoup aimé », m’a dit Joseta. Manno et moi les avons emmenées... chez Évelyne et Victor bisû ! Dixit Joseta : « Elle était contente de discuter avec Évelyne, qui nous a raconté son histoire d’amour avec Victor, qu’ils avaient vécu en France, qu’elle voulait revenir à Marie-Galante mais pas lui... ». Et Joseta de se remémorer une balade en canoë dans la mangrove : « On a passé un très bon moment. Ta mère aussi était heureuse, là. Moi, j’étais moyennement rassurée, mais on a rigolé comme des bossus. » Ama a par-dessus tout été émue, en Matinik (nom qu’elle prononçait systématiquement à la créole, dans une de ses impayables mimiques, en avalant le « r » de Martinique) – où nous sommes également allés passer quelques jours, tous les quatre –, par son salut à Suzanne, au cimetière de Bellefontaine de sa commune de Senpyè. Suzanne a ainsi emmené sa maman de cœur voir Suzanne : qu’est que cela peut-il encore bien vouloir dire ? Suzanne est le deuxième prénom de Josette. Et une vendeuse dans un magasin, à Baiona, avant les obsèques d’Ama, a senti en discutant avec elle qu’Ama était, comme elle le lui a dit, sa « maman de cœur ».

Quant à moi j’avais accompagné Sizann la Matinikèz, cinq ans plus tôt, jusqu’au cimetière ! Sizann est décédée en 2005, en l’An II de mon Histoire d’Amour avec Manno, lorsque nous vivions à Saint-Martin. De mon caillou, en représentant des Renard, et de sa Jeannette surtout, j’ai donc rejoint les trois enfants de la Dame, Léandre l’aîné, Jean-Bernard, du même âge que moi, et Nicolas le cadet, pour la veillée de son corps dans sa maison, en compagnie des dizaines d’autres personnes présentes. Seul Blanc de l’assemblée, j’ai été placé en tête du cortège funèbre, le lendemain, après la cérémonie à l’église. Avec en mains une gerbe de fleurs, lors de la procession sur le bitume et sous un soleil de plomb jusqu’au cimetière, qui devait se situer à pas moins de trois kilomètres[6]. Les marcheurs-cheuses (les femmes d’un certain âge surtout), à mi-chemin, malgré la solennité du moment, n’ont pu s’empêcher de rouspéter, trouvant cette déambulation funéraire par trop longue et éprouvante. J’étais personnellement si fier et heureux d’honorer ainsi ma Suzanne, la Suzanne de Jeannette, que je flottais presque et que j’aurais pu faire trois fois le tour de l’île pour notre chère et tendre amie tranquillement allongée dans son corbillard.

La grande et belle histoire d’amitié de plus de cinquante ans entre Jeannette et Suzanne a débuté... par courrier. Christine, la plus jeune sœur d’Ama, avait obtenu, via une association, le contact de cette Martiniquaise installée à Sarcelles, en banlieue parisienne, avec son mari et ses trois fils, qui cherchait à nouer des liens avec des Français-çaises au-delà de sa cité. Au bout de quelques temps, Ama avait pris le relais, dans la correspondance avec Suzanne, de Christine. Futée, la Suzanne, car l’univers des Renard auquel elle et sa famille ont ainsi pu accéder s’est avérée, pour eux, un véritable conte de fées. Ce que cela avait véritablement représenté pour eux, et pour Jean-Bernard en particulier, je l’ai réalisé... entre : le restaurant de La Rotonde à Angelu où Aita, Sabine, Marc, Denis, Josette, otto Jean-Claude, Corinne sa belle, Jean-Bernard et moi avons déjeuné après la cérémonie de crémation d’Ama à Meharitze ; le centre-ville de Baiona où Jean-Ber et moi sommes ensuite allés nous promener ; le Café du Théâtre où nous avons bu l’apéro puis dîné, en terrasse, sur la place de la mairie ; chez Aita à Ondres où JB a dormi. De seize heures, à la sortie du resto, à tard dans la soirée chez Aita, en effet, Janbèna épi mwen n’avons eu de cesse, avec énormément d’émotion, de remonter le fil de nos souvenirs et d’évoquer la mémoire d’Ama. Jean-Bernard n’a pas eu de mot assez forts pour dire tout son amour pour elle, ce qu’elle représentait pour lui, sa reconnaissance pour toute la tendresse et l’écoute qu’elle lui avait témoignées, gamin, et la chance et le bonheur inestimables qu’avaient été pour lui, sorti de son univers peu bucolique, la découverte du monde merveilleux d’Arrantz-ta-Euskadi. J’ai passé une semaine à Sarcelles, chez Janbèna, quand nous avions autour de dix ans tous les deux. Ses amis lui demandaient, parfois, m’a-t-il raconté, après mon séjour : « Il va bien le cousin blanc ? »

Un quart de siècle en arrière, à Sarcelle, le cousin blanc a voulu que sa tata Sizann le fît monter à la tour Montparnasse, ce grand building qui, comme la Tour Eiffel, le fascinait tant. Également accompagné-gnée de ses deux boug, Jean-Bernard et Nicolas, une fois au dernier étage, à la sortie de l’ascenseur, j’ai voulu aller sur le toit. « Tu veux me tuer !!! », s’est exclamée la sévère Antillaise (pléonasme), me passant un savon, mais se résignant à gravir les quelques marches qui y menaient. Synchro tour il y a quelques années après la prise de quelques clichés du gratte-ciel parisien lors d’un papapap : relou et, quel jutard, un soir au bar du Zoo Rock de la marina de Gozyé, j’ai fait la connaissance d’une Béatrice et d’un Dominique. Ce dernier m’a parlé de son boulot dans le bâtiment, arrivant difigui à évoquer les derniers chantiers de rénovation et d’éclairage de... la tour Montparnasse sur lesquels, avec son entreprise, il avait travaillé. « Quoi ???!!! », me suis-je exclamé. « Attends !!! » J’ai saisi mon portable pour lui montrer les photos avec lesquelles je venais de rentrer de Paris. Prises un soir à la tombée de la nuit, où j’avais découvert, en sortant du métro, le nouveau look de l’édifice et son illumination, que j’avais trouvés canon. Non seulement la tour, sur mon téléphone, quand j’ai voulu la montrer à Dominique, est-elle apparue en photo plein écran, avec les deux bandes lumineuses bleues de sa gigantesque façade mais, en plus, grossie, l’effet visuel et de surprise s’en trouvant redoublé. Je n’en revenais pas, ne comprenant pas comment la photo avait pu s’afficher ainsi. J’ai réalisé, le lendemain, que j’avais regardé mes photos à un autre bar en terrasse à la marina, juste avant, mais je ne me souvenais absolument pas être resté sur la tour, et avoir zoomé...

En Matinik, Ama, Joseta, Manno et moi avons rayonné depuis Le Diamant (Dyaman), au sud de l’île, jusqu’à Senpiè, pour rendre notre hommage à Suzanne, et jusqu’à d’autres points de l’île. Nous logions dans un hôtel à flanc de morne avec vue plongeante sur la mer en contrebas et, à un kilomètre au large, le splendide rocher de cent soixante-quinze mètres de haut (tiens, à peine un peu moins que la tour Montparnasse !) jaillissant à la surface de l’eau et ayant motivé que la commune fût ainsi baptisée. Jiputer topo limava : « La bataille du rocher du Diamant a eu lieu, durant les guerres napoléoniennes, entre le 31 mai et le 2 juin 1805. Cette île, située à l’entrée de la baie de Fort-de-France, était occupée depuis plus d’un an par les forces britanniques. Les Français de Martinique avaient été incapables de chasser les défenseurs de cet îlot stratégique, et la garnison britannique était, grâce à lui, en mesure de contrôler l’accès à la baie de Fort-de-France. Ils tiraient sur les navires qui tentaient d’y entrer avec des canons qui avaient été placés sur les pentes et le sommet de l’île. L’arrivée, en mai, d’une grande flotte franco-espagnole commandée par le Capitaine Julien Cosmao, a permis de renverser la situation. Le vice-amiral français, Pierre de Villeneuve, avait l’ordre d’attaquer les possessions britanniques des Caraïbes, mais attendait des consignes plus précises de la Martinique. Il a finalement été autorisé à lancer un assaut sur le Diamant avec la force franco-espagnole »[7]. Le siège a ainsi finalement abouti à la prise du rocher. Étrange addendum à l’exposé historique que j’ai ensuite relevé : « Quand une maison neuve est accompagnée de sa matrice, une ville neuve surgit. »


Chriscilla à Janeta : « Ils sont beau ensemble nos garçons, n’est-ce pas ? »

Joie d’Ama aussi de rencontrer un bout de la famille de Manno : sa plus jeune demie-sœur Sarah, son mari Fito et leurs trois enfants, Sarasinia l’aînée, Fistina et Saël, avec qui elle a même barboté dans la piscine de l’hôtel. Nous nous sommes prélassés tous-toutes ensemble un moment, dans le petit bassin, avec les enfants... Mais Xabiren Ama et Manman Manno[8] ne se sont pas rencontrées. Il aurait fallu, pour cela, aller à Saint-Martin. J’imagine une conversation entre elles (vraiment possible qu’en rêve, car Chriscilla, Manman Manno, ne parle que son créole haïtien, même si elle comprend un peu le français) :

— Ça va, Janeta ?

— Oui, et toi, Krisila[9] ?

— Ça va. Je suis heureuse de faire ta connaissance.

— Moi aussi.

Elles se regardent tendrement, se sourient. Et Krisila dit à Janeta :

— Ils sont beaux ensemble nos garçons, n’est-ce pas ?

— Oh oui !...

Toujours de l’ordre du rêve, de plus en plus fou : ces deux mamans, une Haïtienne et une Basquaise d’il y a plusieurs générations, capables de s’extasier ainsi en cœur sur le couple de leurs garçons homosexuels. Scénario insensé pour la plupart des mamans où que ce soit, d’ailleurs, encore en 2020. Sur toutes les mères de la planète, le ratio de celles pour qui ça ne poserait aucun problème est de... (calcul instantané grâce à mes poutanas) : 0,000969 %[10]. Manman Manno revient régulièrement à la charge avec ses vœux pieux de voir son fils préféré avec une femme et des enfants. Ce dont Ama s’est toujours bien gardé avec moi, ne s’étant certainement jamais fait la moindre illusion sur ce qu’elle était susceptible d’en tirer, si ce n’est sentir, dans ses bronches, le vent rager. À son Manno, Krisila persiste à se frotter avec ça, et pourtant ça pique pas mal aussi avec lui des fois ! Mais sait-on jamais, doit-elle penser, à force de persévérance... La famille du Nestor de Marco est bien arrivée à ses fins ! Il doit avoir plein d’enfants maintenant ! Ce qui ne doit pas l’empêcher de continuer de se livrer à ses plaisirs interdits. C’est tout le mal que je te souhaite, l’ami !

Marc vit maintenant au Cameroun, avec Francis, son compagnon natif de ce pays. Manno et moi avons eu le bonheur de leur visite en Gwadloup. Mais c’est en Matinik – avant de regagner notre île ensemble –, en plein carnaval, que nos Gratouilles, Marc et moi, au bout d’une quinzaine d’années, se sont déroulées ! J’étais, en plus... déguisé en femme ! De même que Manno. Quels moments passés en cet événement, dans pareil contexte, pendant trois jours à Fòdfrans ![11] Puis en Gwada... Homme-femme, femme-homme, homme-homme, femme-femme : en ce qui concerne Nestor, sa situation est tout de même assez peu comparable à celle de Manno. Le Resto de... aïe, je dévie de nouveau... le Nestor de Marco n’a peut-être pas le caractère de mon Manno, mais la haine des homos, et la violence à leur égard, dans son continent, par rapport à nos îles, sont d’un degré bien supérieur encore ! Bien que dans ce concours la Jamaïque, par exemple, où l’homosexualité est encore considérée comme un délit, ne doit pas se situer très loin du podium international.

Serge aussi est passé à l’offensive, à Saint-Martin, au tout début de ma relation avec Manno, peu après avoir fait ma connaissance, dans un sermon pour tenter de le convaincre de renoncer à moi et d’opter pour la voie « normale ». Connaissant (plus que quiconque !) son bonhomme, lui aussi, « le jeune » comme il l’appelle, c’était sacrément culotté. Mais homophobe ou pas, quelles que soient les raisons d’une maman (ou d’un papa) de ne pas s’enthousiasmer outre mesure à l’idée que son garçon aime les hommes ou que sa fille aime les femmes, il y a celle avant tout qu’ielle – la mère nourricière encore plus que le papa – donnerait tout pour le bonheur de son enfant, et qu’un tel penchant n’en constitue malheureusement pas, dans notre triste monde, la meilleure des garanties. Dommage, pour Krisila et Janeta, car à quelques années près, dans le MD3, elles auraient pu goûter leur plaisir sans la moindre réserve. L’éveil des cœurs et des esprits sur le point d’advenir n’aurait cependant pas réglé le problème de leur désir à crever de rejetons de leurs rejetons. Mais alors elles se seraient dit ça :

Janeta : Tu penses la même chose que moi ?

Krisila : Quoi, qu’ils auraient été si beaux, leurs enfants, s’ils avaient pu en avoir ?

Janeta : Oui !!!

Puis, ne se sentant plus de joie :

Krisila : Bon, t’as ton maillot, on va se baigner ?

Ça non, MD3 ou pas, ça n’aurait pas été possible. Pas leur tatée. Et Janeta aurait répondu :

— Tu plaisantes ?!

— Mais oui, bien sûr ! l’aurait rassurée Krisila.

Elles auraient éclaté de rire, et les deux nouvelles copines seraient juste allées marcher un peu, totto lolo[12], continuant de dire leur bonheur d’être ensemble, leur joie de vivre et tout leur amour pour leurs ti boug.

  1. Ielles sont venus-nues nus-nues ? Abus, décidément, de hahatage. Sinon c’est vrai qu’on n’a pas besoin de beaucoup s’habiller, dans ce jardin d’Éden où on est effectivement à moitié à poil toute l’année.
  2. Pas la plus belle, loin de là, de la Guadeloupe. Je vais exiger mon remboursement. Le site n’en est pas moins éblouissant.
  3. Vérification sitet : Why I’m No Longer Talking to White People About Race (« Pourquoi je ne parle plus de race avec les Blancs »), de Reni Eddo-Lodge.
  4. Avec mon bébé stiouart
  5. Dont il va sans dire qu’il fait partie de ces petites améliorations maison des textes reproduits (suppression d'une répétition éhontée ici ; sur l'antiverve en français, ne surtout pas manquer, une fois la passionnante lecture de MDMBP terminée, celle de Eh bé ce cul, ô Dave !, juste après).
  6. J’avais laissé un... blanc, ne me souvenant pas de ce que l’on m’avait collé dans les mains, avant d’écrire à Jean-Bernard pour lui demander de compléter. Il y a donc ajouté la gerbe, ainsi que ce qui suit (se mettant dans ma peau – le mélange était très beau) : « Ce jour-là, la Martinique était sous les eaux, sauf à cet endroit. Durant trois kilomètres, sous un soleil de plomb, longeant la plage jusqu’au cimetière, fier, j’avançais. »
  7. Wikipédia
  8. La maman de Xabi et la maman de Manno
  9. Ama aurait bien sûr eu à cœur de la créoliser.
  10. Un mélange de triple 6 qui ne dit pas son nom, de top chiras, de 69 à l’endroit et à l’envers... Que l’être humain est compliqué !...
  11. Pendant la journée de travestissement du carnaval, les gens se lâchent ! Alors que j’étais assis sur un trottoir, dans ma jupe, les jambes un peu écartées, un jeune Martiniquais qui passait sur le trottoir d’en face avec son groupe d’amis, tous affublés du même type d’accoutrement de circonstance que moi, m’a lancé : « Wouah ! Qu’elle est sexy ! Ça tombe bien, je suis gouine ! »
  12. « Totio lolo » : toutes les deux, bras dessus, bras dessous...