Chapitre 51 – La fête continue, Ama !
Le festival de ses obsèques
J’ai écrit à Peio pour lui demander de me préciser quel avait été son parcours depuis Saint-Amand. Mais, manquant à tous mes devoirs, et toujours tellement pas catholique, malgré ma foi retrouvée depuis que je clamais à mon curé préféré, il y a... 33 ans, que le « C » de JEC je m’en balançais, j’avais oublié de lui souhaiter… une joyeuse Pâques ! J’avais zappé ça, car il faut dire, corona-cata aidant, que les journées avaient tendance à un peu toutes se ressembler. J’ai regardé, puparita, un premier sujet du mini-programme Karambolage d’Arte dont Sarah, quelle jutôte, m’avait envoyé le lien, et celui du jour concernait Pâques. Jusqu’ici rien de très miraculeux. « Cela ne vous aura peut-être pas échappé [si, justement !!!], mais aujourd’hui, c’est Pâques », déclare le présentateur dans son docu sur une histoire d’œufs de Pâques apportés, en Allemagne, non par des cloches volantes comme en France, mais par le lapin, qui en réalité n’en est pas un. Patience, quant à ce dernier objet de curiosité, car je consacre, plus loin, tout un chapitre à ce sujet.
Merci en tout cas le monsieur de la télé, mais je n’ai finalement pas eu besoin de votre léporidé, car Peio venait de me rafraîchir la mémoire. Notre serviteur de Dieu risquant moins que moi d’oublier ce détail, il m’a ainsi salué en retour, sonnant innocemment au passage, à défaut des cloches, le rappel : « Agur Fox ! Joyeuses Pâques ! » Pour ensuite malgré tout obtempérer à ma demande d’informations. Émerveillé par cette pascale synchronicité, je lui ai répondu : « Mais oui, au fait... Joyeuses Pâques à toi aussi mon Peio !!! Mais c’est dingue, parce que c’est ÉVIDEMMENT en ce week-end-là que je me retrouve à raconter la mort d’Ama, partie le jour de la Toussaint, et ses obsèques présidées par toi, dans...Mon Dieu, Mon Bouddha et Patat, sur les signes de l’Au-delà et ma vie autour de ça. Et c’est ce week-end aussi que je reviens vers toi ! Ah ça, pour un signe, encore une fois !!! SACRÉE AMA !!! » Ayant encore sollicité quelques renseignements de sa part, après ça, en précisant que je n’allais pas le « saouler pendant trois mille ans », il m’a littéralement répondu… en deux mots. Ou comment ne rien apporter au « schmilblick » (autre sujet de Karambolage), et me signifier, l’air de rien : « Tu me saoules déjà ! »
Les réjouissances pour Ama, après le funérarium à Baiona et l’église Sainte-Marie à Angelu, à la sortie de laquelle Sabine, Denis eta nik avons invité nos co-communiants-niantes à nous suivre pour un pot au bar de la Rotonde, aux Sables d’Or, au bord de la mer, à trois cents mètres de l’église en contrebas – que Denis avait réservé pour l’occasion et où nous avons passé, tous-toutes ensemble, un très, très, très beau moment de nouveau –, ne s’étaient pas arrêtées là. Elle en demandait encore. Et une nouvelle magnifique et très émouvante cérémonie a eu lieu au crématorium de Meharitze. Bayonne, Anglet, Biarritz… mais voilà ! Elle tenait à ce que toute l’agglomération du « B.A.B. » y passe ! Tiens, jamais je n’aurais soupçonné un tel attachement à sa communauté urbaine du littoral, chez elle la Basquaise « de l’intérieur ». « T’es pas basque toi ! », a osé me dire Molière, l’ami guadeloupéen de Manno, qui a été comme un papa quelques temps pour lui quand il a débarqué à Paris, pour sa formation de steward, un peu avant que nos chemins ne se croisassent. Il créchait chez lui, en banlieue parisienne.
Et le jour où nous nous sommes rencontrés, il n’avait pas fallu une demi-heure à Manno pour l’appeler. Je venais de lui sauter dessus, dans le jardin des Tuileries, l’ayant vu arriver de loin, quand il s’est arrêté et penché[1] à une fontaine d’eau pour se désaltérer. J’ai été aimanté. Il n’avait aucune chance d’échapper aux griffes du Renard. Il a téléphoné à Molière, sur son portable, alors que nous étions affalés, tous les deux, dans l’herbe d’un carré de l’immense et sublime parc, par un temps et dans un décor, une lumière et une atmosphère d’une beauté que Dieu lui-même, dans son paradis, aurait du mal à égaler. C’est la rencontre la plus romantique qu’Il ait jamais conçue pour l’humanité. Manno m’a passé Molière pour que je lui parle, de sorte que ce dernier puisse ensuite lui dire, solidarité afro-caribéenne oblige, ce qu’il avait pensé de moi. C’était mon premier test. Outre que Molière lui avait peut-être dit « en vrai, ce type est hongrois », son avis n’avait apparemment pas été trop défavorable, ce qui aurait peut-être mis fin à tout espoir de conquête du bonhomme qui, même sans ça, s’est avéré un combat comme peu de prétendants seraient doués de la détermination suffisante pour s’y livrer[2].
C’est avec le pays du Basque – oui Monsieur – avec lequel il venait de parler, et qui venait de succomber aux charmes de son protégé, que Molière, ainsi que son compagnon François, ont vécu le coup de foudre. Alors qu’ils se promenaient, en touristes, dans les montagnes de la vallée d’Auzürrük, Xiberoan[3], Molière, professeur de chant lyrique de renom et autre loup blanc de sa Gwadloup, s’était mis à chanter. La voix de baryton d’un Momo parachuté au pays de l’oralité et des chanteurs-teuses nés-nées a attiré à lui un berger, subjugué, qui est venu le trouver et lui a tout bonnement demandé de venir chanter, un jour, dans son village. Le lendemain, quand Molière et François se sont levés, son nouveau fan des alpages d’Iparralde avait déposé, sur le rebord de la fenêtre d’un gîte où ils logeaient, quelques victuailles. Une incroyable histoire a ainsi commencé avec tout le village, où Molière organise chaque année, l’été, depuis plus de quinze ans, un festival réunissant des interprètes de chants lyriques gwadloupéyen formés-mées par lui et des chanteurs-teuses et danseurs-seuses basques du cru.
Il en a résulté l’opportunité, pour Ama et moi, d’y partager un moment exceptionnel, y ayant assisté une année. Otto JC et Corinne sa compagne nous y ont accompagnés. Jean-Claude et Corinne ont tellement aimé qu’ils y sont retournés plusieurs années de suite. La remise en cause de mon identité par Molière disait crûment le décalage entre des Euskaldunak pouvant effectivement être qualifiés d’authentiques et toute une frange acculturée, sacrifiée sur l’autel de la République ! Il est certain qu’à Auzürrük, où il a découvert ce pays, d’entrée il était dans le dur ! Encore que, même au fin fond des campagnes, au pic de la répression de la culture et de la langue basques par l’État colonialiste français[4], et longtemps après, parler basque était considéré comme honteux. Iparraldean[5] tout du moins, les Hegoaldearen Euskaldunak[6] n’ayant jamais atteint un tel degré d’autodénigrement. De l’autre côté, non pas des Pyrénées mais de l’Atlantique, la fierté n’est pas non plus vraiment ce qui caractérise le rapport de nombreux-breuses Gwadloupéyen-yèn à leur créole. Ielles ne parlent d’ailleurs pas créole mais fréole. Y compris les plus revendicateurs de leur identité : j’écoutais récemment à la radio un rebelle syndicaliste de la trempe d’un Domota, à qui j’aurais bien donné un cours sur les expressions et tournures qu’il pourrait s’efforcer d’exprimer correctement, dans sa langue, afin de ne point trop la polluer de français. Je n’ai pas sa fluidité, en créole, loin de là, mais j’en connais au moins bien la grammaire et l’orthographe, ce qui n’est malheureusement le cas que de très rares personnes en Gwada. Mais à part ça, tout va bien.
Je ne suis peut-être pas un Euskaldun pur jus, mais je me suis mis à apprendre l’euskara, cette langue si ardue et particulière, tout seul comme un grand, sans que personne ne me demandât rien, dès mon plus jeune âge. Celui à peu près auquel j’ai décrété que Dieu ne pouvait exister, dans un monde aussi cruel et injuste. La religion l’a cédé à la politique. Mais celle-ci aussi était dans mon biberon. Maribel (qui me l’a donné ? drôle de transition), ma collègue de Terre des Mondes, avait qualifié l’euskara, un brin méprisante, de « curiosité archaïque ». Se balançait-elle du C... de DESC ?[7] À la mort d’Ama, Molière m’a envoyé un magnifique message pour elle, que je n’ai malheureusement pas retrouvé. Alors sa Jeannette a-t-elle fini complètement acculturée elle aussi, à vivre trop près de la côte ? Elle n’en était pas pour autant devenue amatrice de bains de mer et de plage, où elle ne mettait que très rarement les pieds depuis qu’elle et Aita nous emmenaient l’été, Sabine, Denis eta ni, enfants, à la plage de Miramar à Meharitze. Et comme les deux plages, la mienne ici et celle de Maritxu un peu plus haut que j’ai ajoutée, danqu tipasse, au décor, se rejoignent, elles aussi ! Mais, me suis-je dit... dans ma voiture entre Porte des Caraïbes et le supermarché, j’aurais plutôt dû écrire « la plage de Maritxu qu’elle a rajoutée », en se pointant avec ses Mamadieux avec sable chaud et coquillages dedans. Je me suis arrêté sur le bord de la route pour le noter. À quelques centaines de mètres au croisement suivant une voiture m’a coupé la route. Je l’ai klaxonnée : elle était immatriculée... JR. Courses faites, le montant était : 77,69 €. Allez, et un 69 de la naissance de Janetaren semea[8], en plein cette séquence de ses obsèques ! Et ce 77 ?... « Cette énergie particulière » pensé-je (on est quand-même sur de la spéciale conquête du Manno et Maîtres-tresses de Sagesse quand-même, entre autres)...
Oui, « particulière », c’est le mot : celle de la Janeta sur qui ces histoires de playa avec elle, de popotte et de se-la-taper-ou-pas, la bouffe ou la playa, étaient en train de produire je ne sais trop quel effet (qu’est-ce que je disais ?!), et qui essayait de me dire je ne sais trop quoi encore : après sa JR-mobile, c’est la voiture de mon voimi Henri, de retour à la résidence... qui m’a foncé dedans !!! Je me suis garé, pour décharger mes cabas, à l’entrée du couloir de l’iguane, devant le garage d’Henri, mais sur le côté à gauche de la porte du garage. Il entrait dans celui-ci quand je suis arrivé. Puis il est monté dans sa voiture. Il a reculé... et boum ! Dans ma voiture ! Je pensais, comme je lui ai dit, qu’il m’avait entendu ! Et m’apprêtais, ainsi que je lui en ai également fait part, à lui dire en plaisantant : « Ça va, Monsieur a la place de passer ? » « Ah toi, quand tu pars ! (dans tes pensées) », l’ai-je taquiné. Mais ça n’a pas été plus méchant qu’un frottement de pare-chocs latéraux. Et on en a surtout bi(h)en ri ! Janeta ??? Oui t’es là, je sais. T’es même le mot juste après cet aparté que... tu as manœuvré pour que je l’insère ! Je t’avais donc ainsi laissée en tête de la phrase suivante – ne sachant pas que tu m’accompagnerais, dans ce mini-périple, et me chahuterais ainsi : « Janeta avait certes perdu pas mal de son euskara, comme Graxiana. » Que j’aimais entendre mes deux Basquaises préférées le parler ensemble ! Ce qui se limitait, cependant, à quelques phrases de temps en temps. Mais trouvions-nous Ama trop basque encore pour lui faire finir sa vie par un bain de pins ? Allez, il vaut mieux entendre et lire les bêtises de Momo et de Xabio (et des histoires d’Ama à la plage !) que d’être sourd et aveugle ! N’est-ce pas Ama ?
Elle a même envoyé le son, au cimetière de Lohitzon... euh... tzun
Ama, pour son Gépar[9], ne voulait ni fleurs ni couronnes. Elle en a quand-même eu, mais au moins avons-nous fait honneur à son âme d’écolo en les recyclant ! Nous nous les sommes partagées, ainsi que les plantes, à la sortie du crématorium, chacun-cune en ramenant un peu chez soi. Épisode 1 : Funérarium à Baiona ; 2 : Obsèques à Angelu ; 3 : Cérémonie au crématorium de Meharitze ; 4 : Messe et dépôt de l’urne d’Ama dans le caveau familial à Lohitzüne-Oihergi. Comme avec Peio avant la messe à Angelu, nous avons pris rendez-vous avec le curé du diocèse de Donapaleü, avec qui nous avons préparé celle du quatrième et dernier épisode. Nous nous sommes distribué les fleurs et les plantes, à l’entrée de l’église, les porteurs-teuses se munissant également d’une bougie et s’alignant derrière Sabine et moi, qui avons ouvert la marche vers l’autel, puis de nouveau en ressortant de l’église, à la fin de la cérémonie, en direction du caveau.
Je tenais, dans mes mains, l’urne d’Ama. Ama en cendres avait dormi à mes côtés, entre sa crémation et son (avant-)dernier voyage jusqu’à sa terre natale. J’avais en effet conservé l’urne, après le crématorium, et l’avais placée, chez Aita, sur ma table de chevet. Quand Sabine et moi, à la sortie de l’église, avons commencé à fouler le gravier du cimetière, Denis m’a lancé : « Emeki[10], Xabi ! » Car Sabine et moi, avançant à un rythme un peu trop soutenu, étions en train de larguer tout le monde. Nous nous sommes arrêtée-té nette-net. Avé le vent, la bougie de Sabine s’est éteinte. Quelques secondes après, quand nous avons redémarré, elle s’est remise à brûler. « Putain, la bougie !!! Elle s’est rallumée !!! », s’est exclamée, à voix basse, une Sabine scotchée. Elle n’arrivait plus à avancer. « Ama, arrête ! Si tu veux que je t’emmène au caveau ! », me suis-je agacé, m’adressant à l’urne dans mes mains. De la musique a retenti. Sabine : « Dia !!!! De la musique dans l’urne maintenant !! » Moi : « Ah ! C’est parce que j’ai parlé du caveau. Tu sais, c’est par rapport au Caveau, la boîte à Biarritz ! » On a éclaté de rire. On l’a raconté aux autres, qui ont éclaté de rire aussi, Ama a monté le son et on s’est tous-toutes mis-mises à danser. C’est parti pour une teuf d’enfer dans le cimetière.
La bougie qui s’est éteinte et rallumée : la vérité si je mens ! Pour le reste, la vérité, évidemment : je mens. Arrivée au caveau de la famille Exilar, quelques mètres plus loin, la troupe recueillie s’est éparpillée autour de celui-ci. J’avais proposé que l’on redît le poème de Marc lu par Josette et Andrée pendant la messe à Angelu. Elles étaient mimies et émouvantes, toutes les deux, à leur pupitre, mais de ces pas très grandes pros du micro il n’avait pas été tout à fait intelligible, le show. Sabine l’a d’abord récité dans son intégralité en français, puis Denis eta nik en avons repris, à tour de rôle, les couplets traduits en euskara par Jean-Claude. J’ai lu ce texte assez difficile comme si j’avais parlé cette langue toute ma vie. Je m’étais certes un peu exercé, chez Aita, dans ma chambre, devant l’urne d’Ama. Denis qui, à demeure en Euskadi, a appris l’euskara, qu’il cause désormais pas mal[11], s’est montré plus hésitant. Plus confiant que moi, certainement n’avait-il pas jugé utile de se le mettre en tête avant. Autre facteur en ma faveur : comme un souffle, en moi, d’Ama. Essouftouflant. Car le mamagnifique poème du beauf bere amaordea maitearentzat[12] traduit par otto, kaxu[13] ! Le prêtre lui-même, basque jusqu’à son bout des ongles et son timbre de voix, sans parler de l’accent, est venu me dire après : « Tu le lis, le basque, dis donc ! Parce qu’il y avait des mots pas faciles… » Joseta, à la sortie du cimetière, m’a saisi par le bras et s’est exclamée, hilare et les larmes aux yeux : « C’est tout toi !!! C’était surréaliste !!! » Quoi ? La teuf ? Le Gachapi des célébrations du départ d’Ama dans l’Au-delà s’est terminé dans le restaurant du village, en face de l’église, tenu par un couple dont la toute relative amabilité a malheureusement un peu dépareillé avec la magie de cette journée, mais sans bisû parvenir à gâcher le moins du monde cette autre et ultime divine communion pour Ama.
Depuis le ciel, refusant que je jette ses fleurs, elle m’a arrosé
J’ai acheté trois pots en terre cuite magnifiquement décorés, dans les jours qui ont suivi, sur le bord de la nationale – pardon : de la départementale, entre chez Aita et l’Hélio Marin, ainsi qu’une plante et des fleurs, pour chacun d’eux. J’ai offert deux pots et leur garniture à Aita, que j’ai disposés dans le jardin devant sa maison. J’en ai apporté un avec une plante à l’Hélio Marin, en guise de témoignage de la reconnaissance de toute la famille envers le personnel de l’unité d’Ama, qui s’était occupé d’elle avec tant de tendresse et de bienveillance, et en souvenir de son passage. Je souhaitais également entendre le récit des circonstances de sa mort, que je connaissais, bisû, mais de la bouche de la personne qui se trouvait à ses côtés quand elle est décédée, pour un peu le vivre comme si j’avais été auprès d’elle dans ses derniers instants. J’ai été accueilli, quand je suis arrivé aux Atolls, par Muriel. Elle est allée chercher Maite[14] qui se trouvait, dans une chambre, avec un pensionnaire. C’est elle qui s’était occupé d’Ama, le 1er novembre 2018 au matin. Maite eta ni nous sommes assis à une table de la salle principale, et Maite m’a raconté ce Dernier Matin d’Ama. Celle-ci, après avoir fait sa toilette, avec son aide, et avoir pris son petit déjeuner, et alors qu’elle semblait aller plutôt bien, a été prise d’un malaise. Maite, qui la ramenait à sa chambre, a dû l’asseoir, sur une avancée du mur du couloir desservant les chambres faisant office de banquette. Puis Ama a été allongée sur son lit, où elle s’est éteinte. Le personnel médical du centre a tenté de la ranimer. Sans succès.
J’ai pris congé de Maite, ainsi que de Muriel et de Romain, les deux autres membres du personnel soignant également présents ce jour-là, avec qui j’ai également échangé, avec beaucoup d’émotion. Romain avait perdu sa propre mère trois ans auparavant, m’a-t-il raconté, et avait l’air d’en souffrir encore beaucoup. « Ça fait trois ans maintenant mais... ouf !... c’est dur ! », m’a-t-il déclaré bouleversé. Elle avait manifestement occupé une très grande place dans sa vie... J’ai envoyé une carte postale aux Atolls, depuis la Gwadloup, pour le Nouvel An 2019, à laquelle l’équipe m’a répondu par une magnifique carte confectionnée par ses soins, avec photo stylisée du pot et de la plante disposés dans le patio central sur lequel les baies vitrées des couloirs des chambres donnaient. « Tu le mets où tu veux », m’avait-dit Maite à l’Hélio, en m’accompagnant dans le patio pour que j’y pose le pot. En Gwadloup les Atolls sont venus me dire : « Bonjour Xabi. Nous vous remercions très sincèrement, bien qu’avec un peu de retard, pour vos vœux. À notre tour de vous souhaiter le meilleur pour la suite avec cette carte spécialement conçue en souvenir de votre Ama Maitia. Comme vous pouvez le constater, sa plante est là pour nous rappeler son passage parmi nous. Bien à vous et amitiés à votre famille. L’équipe des Atolls : Élisabeth, Joanna, Maïté, Marie-Pierre, Muriel, Nathalie, Romain, Thérèse. » C’est avec Muriel, mais plus encore Nathalie, qui m’avait dit avoir « aimé d’amour » ma maman, et que j’avais croisée à trois reprises par la suite entre Ondres et Tarnos, que j’avais le plus sympathisé.
J’ai montré à Aita, de retour chez lui, la photo du pot et de la plante que j’avais prise. Il était installé, devant la télé, dans son fauteuil électrique inclinable qu’il avait hérité de sa sœur Georgette quand à la toute fin de sa vie elle était partie en maison de retraite. La séquence du film qu’il était en train de regarder mettait en scène Catherine Deneuve et un autre acteur, dans la cour intérieure d’un immeuble. J’ai entendu « le pot », dans une phrase que Deneuve a prononcée à l’adresse de l’homme affairé autour… d’un pot, pendant qu’Aita et moi regardions la photo. Pour nous aussi il était grand temps de nous occuper de nos pots. Les plantes et fleurs offertes à Ama pour son Grayage mais restées sur Terre, dans ceux qui continuaient d’orner le salon, avaient à peu près toutes, elles aussi, rendu leur dernier souffle. J’en avais posé un sur la table de la terrasse devant la porte-vitrée du salon. Les tiges des fleurs fanées qu’il contenait étaient plantées dans une mousse synthétique. J’ai entrepris, le surlendemain, de les retirer. Par gros temps. Le ciel qui venait de déverser des trombes d’eau était encore menaçant. Mais, profitant d’une éclaircie, je suis sorti. J’ai saisi une poignée de tiges et, à l’instant où j’ai tiré dessus, j’ai pris une rasade d’eau sur la tête, comme si « on » m’arrosait.
J’ai levé la tête vers le ciel mais, au-dessus de moi, il était plutôt dégagé et pas une goutte n’en tombait. Pas d’arbre non plus dont une branche aurait pu m’asperger, sous l’effet d’un coup de vent, ni de gouttière… Pas d’autre explication qu’Ama, encore, qui tentait de m’empêcher de toucher à ses fleurs. Elle avait tellement aimé toutes les célébrations. Elle voulait que ça ne finît jamais. Même ces fleurs dont elle prétendait, vivante, ne pas vouloir, et qui avaient pourtant trépassé elles aussi, morte elle ne pouvait se résigner à en faire son deuil. Je suis retourné à l’intérieur raconter à Aita la dernière d’Ama et lui ai dit : « Vas-y toi, je sens qu’elle va m’envoyer la foudre ! » Mais j’ai réalisé que j’étais en train de lui demander de s’exposer à ma place, alors prenant mon courage à deux mains, je me suis résolu à retourner sur la terrasse afin de continuer de démousser les fleurs pour les mettre à pourrir, selon la volonté d’Aita, le long de la haie du jardin. Or, pour le coup, il s’est vraiment remis à pleuvoir. Comme vache qui pisse. Y’Ama ! Elle s’offrait un nouveau sursis.
Les mamans, Dieu et le ski
Le ciel et Ama avaient suffisamment arrosé les montagnes pour programmer... un peu de ski ! Je suis allé deux jours avec Txomin, l’exécutant de l’hommage à Madame devant son cercueil, à Luz-Saint-Sauveur, d’où nous sommes allés glisser à Luz-Ardiden. Txomin m’a raconté, sur le balcon de sa chambre d’hôtel – en un de ces rares instants de ma vie, désormais, où l’air qui m’entoure avoisine les zéros ou descend en dessous –, que le Christ, une nuit, après une cérémonie chamanique dans l’atmosphère tropicale du Mexique où il avait vécu avec sa femme, native de ce pays, était apparu au-dessus de son lit. J’ai donc vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu le barmanou, et l’homme qui a vu le Christ. (Il en avait bien entendu également Un sans le savoir en face de lui, dans sa chambre de Luz, et à chaque fois qu’il me voyait.) Il ne manquait que ça à mon tableau. Mais je pense que je n’ai pas fini d’en voir... Je plaisante mais la Révélation de Txomin, au sens de ce qu’il m’a confié, et ce dont je lui suis reconnaissant, en a été une nouvelle pour moi également. Ce Message à Txomin, La Voix, ainsi, me le destinait aussi.
Les versants des Pyrénées, comme pour tout enfant de notre pays de cocagne entre itsaso et mendiak[15], sont tout un pan de ma vie, en toutes saisons, fatalanaki. Synchro ski : à Capbreton, où je vais régulièrement me promener quand je séjourne à Ondres, chez Aita, j’étais assis en terrasse face à la mer, en un hiver peu hivernal d’il y a une paire d’années, à côté d’un type et deux nanas. Des copains qui passaient par là se sont arrêtés discuter avec le jeune homme, qui s’est mis à leur parler de Val Thorens, dont il leur a affirmé qu’elle était la « plus belle station au monde ». Ça n’est certainement pas très loin de la vérité – et j’avais donc eu le loisir d’y traîner mes guêtres (de ski) avec Bakar il y a une vingtaine d’années –, du moins l’enneigement y est-il l’un des meilleurs de tous les reliefs de Frantzia, d’Euskadi et de Nafarroa. Raison pour laquelle j’avais passé un certain temps, la veille, sitet... à me renseigner sur ce vaste et prestigieux domaine des Alpes !... Dans la perspective, éventuellement, de m’y offrir un séjour, car partout ailleurs les versants étaient plus verts ou marrons que blancs. De La Voix des Sommets j’ai par conséquent bien évidemment tâché d’en savoir un peu plus sur l’état des pistes de la fameuse station : mais de mon voisin de terrasse je n’ai pas tiré de renseignements supplémentaires de nature à me décider à en prendre la direction. Toutni ski d’Ami... euh... d’Ama : c’était avec Sabina, Marko eta ni, à Barèges, où nous sommes donc revenus-nues sur les traces d’un des chapitres de notre Gribouille[16]. C’était émouvant, mais un peu flippant.
Nous avons en effet eu très peur pour Ama, sur une neige, dans une descente, dure et râpée. Réalisant que l’exercice, pour elle, à soixante-dix et quelques années, commençait vraiment à dépasser ses capacités. Je l’ai encadrée, d’aussi près que possible, tout le long, puis nous avons décidé que c’était TERMINÉ, fini le ski pour elle, et qu’elle s’arrêtait, au restaurant du bas de la piste, où elle a attendu que nous revînmes, un peu plus tard, la récupérer. Manno a goûté aux joies des sommets enneigés à deux reprises, dont une avec Aita où je n’étais pas. La deuxième occasion fut celle des soixante-dix ans d’Aita : lui, Ama, Sabine, Marc, Léa, Hugo, Denis, Maia, Manno et moi nous sommes retrouvés-vées dans un appartement, à Cauterets, où nous avons passé une froute soirée et journée, le lendemain, sur les pistes, par un temps sublime. Mais penser que Manno ait pu chausser des skis serait encore plus délirant que d’imaginer, comme moi trente ans auparavant, chez Mémé Pako, dormir dans son lit. Dans celui de Mémé Pako, pas de Manno. Enfin, dans celui de Mémé Pako : no ! Dans celui de Manno : ski; an-mèm ! Avec des skis ? No ! Quand-même ! Jamais Monsieur, le contraire d’un casse-cou, ne prendrait le risque de finir les quatre fers en l’air ne serait-ce qu’une fois, alors des jours et des jours d’apprentissage à se prendre gamelle sur gamelle : comment dire ?... Très peu pour lui ? C’est peu dire.
Avec de la neige dans le décor également, mais sans les planches, je me promène avec Denis et Maia, dans le secteur d’Iratiko basoa[17], peu après les obsèques d’Ama. Maia trace XMD comme Xabi, Maia et Denis dans la neige. Denis est un peu plus loin. Je vois sur le tronc d’un arbre à côté des traits incrustés. Je dis à Maia : « Tu veux pas graver XMD dans le tronc ? » Elle me demande sur le même ton plaisantin : « T’as pas un canif ? » Je regarde un autre arbre : creusées, également, les lettres IXM. Le X et le M de Xabi et de Maia, qui se tiennent debout devant l’arbre, sont bien là. Mais du D de Denis, qui est là sans y être, puisqu’il est avec nous mais un peu plus loin devant, le tronc ne comporte qu’une partie, une... branche. Sans neige dans le décor – autrement qu’indirectement suggérée –, mais bien avec du ski cette fois, ma toutnie nochiée relevée non pas dans mon ordi mais dans un cahier, parmi quelques (rares) notes manuscrites, m’a renvoyé au Livre de ma mère : j’avais écrit « recopier le passage » de l’œuvre en question « avec Dieu ». Mais à quelle page ? Ça n’était pas précisé. J’ai ouvert le livre, au... hasard, sur les pages 28 et 29. Dieu était là, devant le point final de ces deux pages vers lesquelles Il m’avait guidé, à la fin d’un paragraphe commençant, sur la page de gauche, par... « Mon fils... » :
- « Mon fils, explique-moi ce plaisir que tu as à aller à la montagne. Quel plaisir, toutes ces vaches avec leurs cornes aiguisées, avec leurs gros yeux qui vous regardent ? Quel plaisir, toutes ces pierres ? Tu risques de tomber, alors quel plaisir ? Es-tu un mulet pour aller sur ces pierres du vertige ? N’est-ce pas mieux d’aller à Nice, où il y a des jardins, de la musique, des taxis, des magasins ? Les hommes sont faits pour vivre en hommes et non dans les pierres, comme les serpents. Cette montagne où tu vas, c’est comme un repaire de bandits. Es-tu un Albanais ? Et comment peux-tu aimer toute cette neige ? Quel plaisir de marcher sur ce bicarbonate qui te mouille les souliers ? Mon cœur tremble comme un petit oiseau quand je vois ces skis dans ta chambre. Ces skis sont des cornes du diable. Se mettre des yatagans aux pieds, quelle folie ! Ne sais-tu pas que tous ces démons skieurs se cassent les jambes ? Ils aiment cela, ce sont des païens, des inconsidérés. Qu’ils se cassent les jambes, si c’est leur plaisir. Mais toi tu es un Cohen, de la race d’Aaron, le frère de Moïse notre maître. » Je lui rappelai alors que Moïse était allé sur le Mont Sinaï. Elle resta interloquée. Évidemment, le précédent était de taille. Elle réfléchit un instant, puis elle m’expliqua que le Sinaï n’était qu’une toute petite montagne, que d’ailleurs Moïse n’y était allé qu’une fois, et qu’au surplus il n’y était pas allé pour son plaisir mais pour voir Dieu.
- ↑ Teu, teu, teu
- ↑ Sucem morabnodem baduf : 231 777. Il est intéressant de constater que les chiffres hors catégories chira/chirapa me sautent assez rarement aux yeux, comme le 7 dans son triplé ici. C’est une énergie très particulière spécial Xabi à la conquête du cœur de Manno.
- ↑ « Chibéroann » : en Soule
- ↑ Expression favorite du leader indépendantiste guadeloupéen Élie Domota, dont la seule évocation ferait à n’en pas douter se dresser les cheveux de la tête de mon Momo s’il en avait.
- ↑ « Iparraldéann » : au Nord
- ↑ « Égoaldéarèn éouchkaldounak » : les Basques du Sud
- ↑ Toujours est-il que le leader charismatique des Indiens du Chiapas, comme nous l’avons vu, n’a pas du tout apprécié.
- ↑ « Dianétarèn chéméa » : le fils de Janeta
- ↑ Grand Départ
- ↑ « Éméki » : doucement
- ↑ Ce qui serait également mon cas, non pas si j’étais un vrai Basque mais si je n’avais pas vécu le plus clair du temps si loin de mon pays. Parmi mes nombreux projets pour qudevivi : un ikastaldi (« ikachtaldi »), un stage d’immersion en Hegoalde, comme Denis en a suivi un (ou deux ?) avec le cousin Jojo qui l’encadrait.
- ↑ « Béré amaordéa maïtéarèntsat » : pour sa belle-mère chérie. On note la déclinaison en -arentzat à la fin du prédicat sur « maite » pour ce « destinatif » (l’un de la dizaine de cas du basque !).
- ↑ « Kachou » : non pas le bonbon à l’anis qu’on aurait sucé pour nous aider dans notre diction, mais parce que ça veut dire « attention ».
- ↑ « Maïté »
- ↑ « Itchacho éta mindïak » : mer et montagnes
- ↑ Grande (et si Belle ! oui ! oui ! oui !) Histoire Familiale
- ↑ « Iratiko bachoa » : la forêt d’Iraty