Chapitre 65 – On est bien, tout va bien
Invasion de l’Irak : le Grand Bond vers le Gouffre
À Cuba, en 1962, Kennedy n’a pas, tout seul comme un grand, évité le pire. Le coup de pouce de BoudAbrAllShiDiBraZeuTouta(tis) l’a aidé à en épargner l’humanité. Les extraterrestres veillent, eux aussi, à ce que nous ne détruisions pas tout en appuyant sur des boutons pour la mise en branle d’un arsenal, dans le monde, à même d’anéantir cent fois la vie sur Terre. En pleine réflexion, un jour, au volant de ma voiture, dans le rond-point de l’entrée du quartier de Bas du Fort, la pensée m’est soudainement venue qu’il était évident que la vie, comme sur Terre, existait sur des milliards d’autres planètes. Puis j’ai lu un article sur le référendum d’autodétermination en Nouvelle-Calédonie, qui soulevait également l’épineuse question des essais nucléaires de la France. Mes pensées se sont de nouveau envolées vers l’infinité de planète de l’Univers et les extraterrestres protecteurs de notre survie, et c’est alors la radio qui s’est branchée sur mes ondes, avec une émission sur des témoignages de rencontres avec les petits hommes verts. Il ne manquait plus que le cul qu’Aita a reçu d’un ancien camarade de promotion racontant sa propre vision d’un ovni, et qu’il m’a transmis[1]. Peut-être tout ce beau monde ne prend-il la peine d’intervenir, de là-haut, pour sauver l’humanité, qu’en cas de désintégration assurée, comme quand « à minuit moins une », en 1962, ils ont contraint tout le monde, à Cuba, de reculer.
Les années 1989, 1990 et 1991 ont ouvert grand la voie vers les catastrophes qui ont suivi, dont la Guerre du Golfe de 1990 a inauguré la série. Pendant la « Détente » – entre l’Est et l’Ouest, entre début 1963, après le désastre évité à Cuba, et 1979, avec l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS –, la course aux armements a été relancée avec l’arrivée de Ronald Reagan à la présidence des États-Unis et ses rêves de « Guerre des étoiles » : la mise en place d’un bouclier antimissiles dans l’espace. À la fin des années quatre-vingt, avec la perestroïka de Gorbatchev et les premiers traités de désarmement, la tension a de nouveau baissé d’un cran. Après la chute du Mur de Berlin, la première grande peur d’un risque de déflagration mondiale a été provoquée, en 1990, par l’attaque des États-Unis contre l’Irak, suite à son invasion du Koweït. L’Oncle Sam, devenu le maître incontesté, n’a plus reculé devant aucune action violente pour parvenir à ses fins. La Première guerre d’Irak, également appelée ainsi puisqu’elle n’était qu’une mise en bouche de Bush père en attendant Bush junior, a elle aussi entraîné la mort de dizaines de milliers de civils. Je me trouvais à New York pour le grand retour des boys d’Irak au cours de l’été 1991. Je travaillais au Dew Drop Inn le jour du défilé sur Broadway, où je serais quand-même bien allé contempler le spectacle démentiel auquel il a donné lieu.
L’intervention armée des États-Unis en Irak de 1990, comme pour l’Afghanistan en 2002, a eu lieu en vertu d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. En 2003, la première puissance mondiale a sombré dans une orgie de mensonges et d’opérations de propagande et de manipulation de l’opinion pour envahir l’Irak et venir à bout du régime de Saddam Hussein, que Bush Premier, après sa tentative d’annexion du Koweït, n’était pas allé jusqu’à renverser. « Il a tué mon papa ! » : cette complainte du fiston n’a pas été le moindre des arguments délirants avancés, pour justifier l’opération contre le dictateur sanguinaire irakien, par le prédécesseur d’Obama, qui avait déjà inspiré un terrible sentiment de honte chez les États-Uniens-niennes les moins réacs... Mais pour une mise en bouche, celle-là aussi, en attendant pire encore après Obama ! Cette ultra-droite, déjà, sous Dobeul-You (G.W. Bush) – en attendant l’ultra-ultra... –, a en réalité simplement calqué ses ambitions sur celles de ses mafias militaro-industrielles, faisant fi du devoir de tout gouvernement de tout mettre en œuvre pour épargner l’apocalypse, si ce n’est au monde, du moins aux populations des pays visés. Jamais les peuples du monde entier n’avaient à ce point manifesté leur effroi, à l’unisson, et les gouvernements leur réprobation.
- Entre l’invasion des forces de la coalition occidentale, venues faire tomber le régime de Saddam Hussein en 2003, et leur retrait définitif en 2011, près de 500 000 personnes ont perdu la vie sur le sol irakien. [Réponse à ma question sur la plage d’Orient Bay au couple dans son drapeau !] Un chiffre qui pourrait encore être bien en deçà de la vérité selon certains. Soixante pour cent des victimes ont péri durant les combats, et 40 % sont mortes des conséquences indirectes du conflit. Un bilan auquel il faut ajouter environ 60 000 personnes décédées hors d’Irak après avoir fui, majoritairement en Syrie et en Jordanie. Cette étude fera réfléchir à deux fois les États sur les conséquences d’une invasion et fera prendre un peu plus conscience de son coût en vies. Le « risque de mort », pendant la décennie qui a suivi, en raison du climat de violence permanent, était trois fois plus important que durant les années de dictature. Le taux de mortalité, selon des chiffres de Médecins du Monde [par le truchement de « mon » ONG !], a bondi, passant de 5,5 pour 1 000 avant l’invasion à 13,2 40 mois après l’arrivée des Américains.[2]
Massacre à Charlie Hebdo
J’ai mis la radio sur France Inter, à mon réveil, en Gwadloup, le 7 janvier 2015, à l’instant précis où, dans l’édition des actualités qui était alors diffusée, la journaliste a prononcé le toutpi mot de la phrase dans laquelle elle égrenait les noms des membres de la rédaction de Charlie Hebdo massacrés quelques heures plus tôt. J’ai eu l’impression de rester figé dans le temps et l’espace, de me dédoubler, de continuer d’avancer dans mon salon tout en laissant mon cerveau derrière moi, comme s’il était resté bloqué à l’instant où la nouvelle a été annoncée. J’avais déjà très vivement perçu, quand Manno eta ni vivions à Paris, dans notre glacière, la gravité de l’affaire des « caricatures de Mahomet » d’abord publiées par un quotidien danois puis reprises en Une de Charlie Hebdo. J’ai senti la secousse et comme pressenti la déflagration qui s’ensuivrait. C’était comme une sensation viscérale et instinctive, hors toute raison, avant toute réflexion, le sentiment que quelque-chose n’allait pas, mais alors pas du tout, dans ce qui m’est d’emblée apparu – indépendamment, encore une fois, de la teneur des arguments qui n’allaient alors plus cesser de se bousculer en moi-même – comme une dangereuse et incompréhensible provocation.
La nouvelle de l’exécution des journalistes de Charlie Hebdo entendue à France Inter et celle de l’émoi provoqué par la parution des caricatures de Mahomet... 9 ans et 3 mois plus tôt, ont été deux des Grassists[3] de ma vie. « 9 ans et 3 mois »... Comme un début de ma date de naissance, non ?... Mais que vais-je encore chercher là ? Décidément le syndrome du bonobo-qitu-pour-des-connes[4], ça n’est plus possible ! Bon, voyons plutôt cette date du début du scandale provoqué par les Danois : « Les “caricatures de Mahomet” sont les caricatures de douze dessinateurs parues le 30 septembre 2005 dans le quotidien danois Jyllands-Posten, en réponse à Kåre Bluitgen, un écrivain qui se plaignait que personne, depuis l’assassinat de Theo van Gogh aux Pays-Bas le 2 novembre 2004, n’ose illustrer son livre sur Mahomet »[5]. Un début de ma date de naissance... Iati untutu qoqu !
Mon toutpi Grassist a eu lieu... au Dew Drop Inn. C’était en 1991, à la lecture, dans le New York Times, de la chronique d’une apocalypse annoncée : la guerre qui a fait rage dans l’ex-Yougoslavie de 1992 à 1995. « Au début de 1992, un conflit a englouti la Bosnie-Herzégovine quand elle a, à son tour, déclaré son indépendance vis-à-vis de la Yougoslavie », après la Croatie, que l’Allemagne, motivée par des considérations économiques (l’ouverture d’un nouveau marché), s’est empressée de reconnaître. La très lourde responsabilité de ce pays, dont la précipitation est réputée avoir favorisé le déclenchement du conflit, a été pointée du doigt. La guerre a opposé les Bosniaques, les Serbes de Bosnie et la République croate autoproclamée.[6] J’étais assis, au Dew Drop Inn, mon journal sur la table, sur la banquette latérale en skaï rouge de l’une des tables que j’avais servies et débarrassées des milliers de fois entre 1989 et cette année-là. L’article du New York Times était d’une telle force... Bien d’autres lectures d’articles de la presse m’ont saisi dans la vie (comme récemment dans Politis sur la collapsologie que je cite plus loin ou son antithèse aux accents de miracle que j’évoque à la fin en guise d’au revoir à mon canard), mais aucun comme celui du New York Times il y a... 29 ans (un 92 du début de la guerre à l’envers !...).
J’ai été happé par le récit du journaliste, transporté en Bosnie, terrifié par l’horreur dont il annonçait la survenue... Je me vois encore assis à un bout de la banquette... Ou dehors plutôt, c’était l’été, il devait faire beau... En ce qui concerne l’emplacement précis de mon séant c’est un peu flou, mais pour ce qui est de la sensation éprouvée, c’est comme si c’était hier. J’ai levé les yeux, quand j’ai terminé de lire... J’étais sidéré... Je n’en reviens toujours pas d’avoir ressenti à ce point, « dans mes tripes » (les voilà celles-là... un psy, dans la salle ?), ce qui était en train d’arriver... ou plutôt de se préparer, comme si j’y étais... Mais qu’est-ce qui rendait le drame à ce point inévitable et me procurait un tel sentiment et une telle sensation ? Une sensation, physique, que je situerais d’ailleurs plutôt au niveau de toute la partie supérieure du corps : du cœur au cerveau !
Un sentiment d’imminence et d’inéluctabilité, alors que plusieurs mois séparaient encore cet instant au Dew Drop Inn et le déclenchement de la guerre, non ? Réponse : « La guerre de Bosnie-Herzégovine a débuté le 6 avril 1992 avec la proclamation d’indépendance de la Bosnie-Herzégovine et s’est achevée avec les accords de Dayton le 14 décembre 1995. Cette guerre est liée à l’éclatement de la Yougoslavie. »[7] La guerre a commencé... le 6 avril !!! Comme le génocide rwandais deux ans plus tard !!! La guerre de Bosnie marque l’avènement de la notion de « nettoyage ethnique », dont les médias n’ont alors plus cessé de résonner. Un génocide en plein cœur de l’Europe, à deux heures d’avion de Paris. Les nouvelles depuis l’enfer ont égrené les trois années de cet abominable conflit, jusqu’à ce que des accords de paix, enfin, soient conclus. Pour ignobles qu’ils fussent eux-mêmes, au sens où ils ont entériné la partition ethnique à laquelle leurs deux principaux ar-tyrans, le Serbe Slobodan Milosevic et le Croate Franjo Tudjman avaient « œuvré », ils ont au moins mis fin aux atrocités.
Grassist Bosnie et Grassists Charlie : le Grassist Bosnie de 1991 et les Grassists Charlie I et II de 2005 et de 2015 sont les trois Grassists à mon compteur à ce jour. Ou plus précisément les trois Grassists en lien avec la prévision, la perception ou l’annonce d’une catastrophe à la lecture ou à l’écoute d’une information dans les médias : les trois grassists-pipocatopus-fatimas. En ce qui concerne les dessinateurs et les journalistes de l’hebdomadaire satirique, certainement méritent-ils, au vu des circonstances de leur mort, le titre de « héros » qui leur a été attribué. Mais je n’ai jamais « été Charlie », d’abord parce que je suis Xabi et que ça me suffit, et parce que les choix éditoriaux du journal et l’atrocité de l’attentat qui l’a frappé n’ont pas uniquement soulevé le problème de la liberté d’expression, du droit à la vie et de la barbarie. Ils posent également les questions de l’arrogance du monde occidental, de sa domination sur le reste du monde, de l’islamophobie, de l’apartheid israélien et de la violation, par Israël, depuis quarante ans, des résolutions des Nations unies. Je participais régulièrement, qatar é dom, en tant que représentant de Terre des Mondes, aux réunions du Collectif France-Palestine à Paris. Israël, dont j’ai eu le « loisir » d’observer, sur le terrain, les bulldozers à l’œuvre pour la construction de routes dans les territoires occupés de Cisjordanie. Israël devenu un État ouvertement raciste où le statut de citoyens-yennes de seconde zone des Arabes a été officialisé. Mais que l’on ne s’y trompe pas : les terroristes sont des ordures, des individus sans foi ni loi, des déchets de l’humanité à éliminer[8]. Aucune espèce de valeur politique ne devrait être attribuée à leurs actes, qui ne sont qu’ignominie et barbarie. Ils ne sont pas dignes du qualificatif de combattants quand ils s’en prennent à des civils-viles, à des innocent-centes sans défense.
Pompiers pyromanes et des démagos
Je suis bien entendu Charlie pour ce qui est de déplorer et condamner le massacre des membres de la rédaction de Charlie Hebdo, comme celui de toutes les victimes du terrorisme. Mais sans prendre en compte quelque autre dimension que ce soit. Et certainement pas politique, en lien avec la liberté d’expression ou tout autre sujet. Car les actes de leurs auteurs, qui ne sont que de dangereux criminels, ne méritent pas d’être qualifiés comme tels. Je suis Charlie si ça signifie : « Je suis un être humain digne de ce nom et respectueux de la dignité d’autrui. » Mais la multitude de considérations en rapport avec les caricatures de Mahomet, n’en déplaise y compris à celleux qui ont souffert, dans leur chair, de la tuerie – dont on ne peut évidemment que louer la dignité et le courage –, ne peuvent pas se résumer en trois mots. Ou alors l’on se retrouve à user d’une des pièces maîtresses de la boîte à outils des propagandistes de tout poil : la simplification.
Denis Sieffert de Politis, après le monstrueux assassinat, le 16 octobre 2020, de Samuel Paty, le professeur d’histoire retrouvé décapité dans la rue, aux abords du collège de Conflans-Sainte-Honorine dans lequel il exerçait : « Les généralisations sont le fléau qui nous guette dans cette histoire effroyable. Les durs de l’islamophobie sont sortis comme les diables de leur boîte, avec un discours que l’on sentait péniblement ravalé depuis trop d’années. Les Val [ancien directeur de la rédaction de Charlie Hebdo], Valls [ex-Premier ministre de Hollande[9]], Konopnicki, Bruckner et consorts ont immédiatement recommandé de montrer, dans toutes les classes, la caricature de Mahomet nu, les couilles pendantes, le cul offert à la multitude, et couvert d’une étoile islamique. Vous avez dit liberté d’expression ? La laïcité de Jaurès et d’Aristide Briand en est-elle là ? »[10]. En commençant à lire l’article qui suit, dans le même numéro de Politis, je me suis dit que j’en retranscrirais le début, par rapport à ce qui est dit, en lien avec ce qui précède, de la planète Horrorus (les réseaux antisociaux). Puis je l’ai trouvé tellement capital, eu égard au phénomène de « simplification » que je pointe et à quoi Denis Sieffert « répond », dans son édito, avec ses « généralisations », ainsi qu’au climat de folie généralisée, y compris des responsables politiques – et il dit si bien la nécessité de totalement changer de paradigmes ! –, que j’ai décidé de le reproduire (quasi) in extenso :
- [...] Raphaël Liogier alerte sur les impensés de la lutte actuelle contre le terrorisme. Une analyse de plus en plus difficile à porter publiquement, qui expose son auteur, à son tour, à la violence des réseaux sociaux.
- Comment qualifiez-vous ce qui s’est passé le 16 octobre ?
- C’est difficilement qualifiable. C’est une folie furieuse à laquelle les humains peuvent s’adonner pour des raisons complexes de frustration, liées à l’ego, qui confinent à la psychiatrie[11]. Elle s’exprime, en plus, avec un désir d’exhibition caractéristique de notre société. Daech, en son temps, exhibait ses meurtres en Syrie même ou en Irak pour servir une stratégie politique destinée à faire impression en Occident et créer une angoisse générale. On ne retrouve plus cette stratégie. L’exhibition ne répond qu’au désir de vengeance et de revanche
- Comment lutter contre la haine qui circule sur Internet ?
- C’est une question compliquée et un des enjeux majeurs du XXIème siècle. Nous assistons à l’émergence de ce que j’appelle une « culture de l’anxiété »[12]. Elle infuse via Internet et entraîne une énorme violence. Aujourd’hui, on ne construit plus seulement son identité dans des territoires circonscrits, comme l’église, la nation, le quartier, la ville, etc. On ne la construit plus non plus de manière interterritoriale, comme le faisaient les diasporas : « Je suis né à un endroit et je porte ce territoire ailleurs. » Des identités déterritorialisées se forgent : on échange avec des gens nos désirs et nos fantasmes en temps réel, on fait grandir nos frustrations, sans aucune distance, ni géographique ni physique. Cela peut nourrir une forme de haine pour son voisin de palier, dont on se sent loin, et une proximité avec quelqu’un qui habite à l’autre bout du monde, parce qu’on partage une même passion ou un sentiment d’appartenance. Des communautés globales se créent – des communautés de haine globales en particulier. Des vents de réactions font résonner, à l’échelle planétaire, des événements de faible importance, et les haines se répandent comme des tubes musicaux.
- Au Canada, plusieurs attentats ont été commis par des « Incel », pour involuntary celibate, les « célibataires involontaires » [sept attaques, depuis 2014, ont causé une trentaine de morts, NDLR]. Ces gens estiment qu’il est anormal que les femmes n’acceptent d’avoir de relations sexuelles qu’avec les hommes qu’elles estiment les plus beaux, les plus forts ou les plus séduisants. Ils réclament donc un droit au viol. [Déesses et Dieux du monde, c’est à qui soumettra les humains aux épreuves les plus inventives, c’est ça ?] Ce mouvement suscite moins de peur que les attentats islamistes, parce que le phénomène est moins massif et qu’il ne contient pas toute la symbolique de la civilisation chrétienne qui serait menacée par l’islam, une angoisse qui prévaut, en Occident, depuis le Moyen Âge. Mais le profil des individus qui commettent ce type de violence est très proche de celui des djihadistes.
- La question qui nous percute aujourd’hui n’est pas celle de l’islam, mais celle de la violence gratuite. Comme la solidarité territorialisée se dissout, au niveau de l’État-nation, le champ est laissé libre pour une solidarité négative, de la haine et de la vengeance, qui aboutit à des actes de violence avec des modus operandi terriblement simples. Aucune préparation n’est nécessaire pour égorger quelqu’un à la sortie d’un établissement scolaire. Ce n’est pas l’œuvre d’une organisation internationale. C’est rassurant et intellectuellement facile de montrer du doigt Daesh, mais la réalité est qu’il y a une telle dissémination de la violence que n’importe quel individu peut se convertir à l’islam le lundi et commettre un attentat le mardi.
- TANT QUE NOUS N’AURONS PAS TRAVAILLÉ À CE NIVEAU-LÀ, AU LIEU DE CONDUIRE DES POLITIQUES QUI NE FONT QU’ACCENTUER L’ANGOISSE, NON SEULEMENT LE PROBLÈME NE SERA PAS RÉSOLU, MAIS IL NE SERA MÊME PAS ENDIGUÉ [ciqucatali]. Comment combattre la radicalisation religieuse ? Le meurtre commis le 16 octobre n’est pas l’expression d’une « radicalité », c’est un comportement extrême. Il ne s’agit pas de jouer sur les mots, dans une période aussi traumatique, mais la radicalité, qui signifie « être au centre », « à la racine », désigne les individus désireux de revenir aux fondements, les « fondamentalistes ». L’« extrême » renvoie à un autre phénomène, au fait de se situer « sur les bords », « à l’extrémité ». Autrement dit, le comportement des fondamentalistes n’est pas nécessairement extrême, nuance qui fait toute la différence. Nous avons remarqué, dans nos enquêtes, que les fondamentalistes, et en particulier les salafistes, étaient souvent, paradoxalement, complètement dépolitisés. Dans leur écrasante majorité, ils sont même contre le terrorisme, qu’ils jugent impur. À fortiori quand des armes à feu sont utilisées, car le prophète n’avait pas de kalachnikov ! Certains « nouveaux salafistes », comme l’imam Abou Houdeyfa de Brest, ont d’ailleurs été visés par Daesh, qui a appelé à les éliminer. Ils constituaient un vrai risque pour l’organisation, parce qu’ils opèrent sur le même terreau d’éventuels terroristes et prêchent la même forme de virilité, mais une virilité ascétique et non hyper-violente. Je ne les défends pas. Ils prêchent la désocialisation et posent d’énormes problèmes du point de vue de l’égalité homme-femme [oui, c’est bien ce que j’étais en train de me dire...], par exemple, ou des valeurs modernes. Mais ils ne posent pas de problème du point de vue de la sécurité publique.
- Ce n’est pas la religion qui tue, selon vous ?
- Non, c’est le désir de vengeance qui existe, à la base, et va rencontrer l’islam. Les individus vont parfois même chercher l’islam, qui va leur servir à justifier sa violence. L’importance d’Internet, dans ce phénomène, n’a pas suffisamment été soulignée. Ces individus peuvent être manipulés par des imams fondamentalistes, mais celui qui commet l’attentat, souvent, cherche surtout dans l’islam une image qui puisse le glorifier dans les quelques jours ou quelques mois qui précèdent l’attentat. Pour combattre ce phénomène, la stratégie à long terme serait d’exporter, le moins possible, l’idée que l’islam serait une « religion de guerre contre l’Occident ». En désignant l’islam comme une idéologie de la violence, on donne raison à ceux qui cultivent cette violence et on affaiblit ceux qui sont les réformateurs de l’intérieur en leur envoyant le signal qu’ils n’ont rien compris à ce qu’est l’islam. Transformer en scandale national le fait qu’une maman portant le foulard ait voulu accompagner une sortie scolaire constitue une stratégie de marketing politique irresponsable eu égard à ce que Max Weber appelait l’éthique de la responsabilité, et dont le seul but est de tirer les dividendes de l’angoisse collective.
- À plus court terme, il faut garder à l’esprit que ce n’est pas l’intensité de la pratique religieuse qui est déterminante dans le passage à l’acte terroriste. De ce point de vue, l’islam rigoriste n’est donc pas la bonne cible et le concept de radicalisation n’indique rien d’utile et de nature à permettre de cibler le problème et d’arrêter les gens à temps. C’est le désir de violence et de vengeance, dans nos sociétés de plus en plus dérégulées, qui est criminel. Daesh arrivait à capter ces gens déséquilibrés en jouant directement sur leurs déséquilibres liés à la virilité et en répondant à leur désir d’héroïsme et de vengeance. Tous ces profils se caractérisent par une seule constante : ces individus cherchent souvent à se mettre en contact avec une mosquée salafiste afin de se sentir des musulmans prêts à agir en cette qualité. C’est à ce moment-là qu’ils sont repérables, et ne sont plus disséminés dans la nature. Ils sont immédiatement repérés par les salafistes, qui les détestent et ne pensent qu’à les dénoncer. Ils sont donc les seuls informateurs valables, et qui devraient être utilisés. Mais ils ne le sont pas, par crainte de créer l’impression d’un compromis vis-à-vis de l’islam, et celle « qu’on se couche face à l’islam ». Et, attitude qui s’est avérée désastreuse, en les incriminant, nous avons créé les conditions pour que certains salafistes soient tentés par la violence.
- Faut-il publier les caricatures ?[13]
- Je suis pour leur publication, oui. [1] LA LIBERTÉ D’EXPRESSION DOIT ÊTRE SANS LIMITES [ciqucatali], hors atteinte à l’intégrité physique et morale avec des signes nazis, etc. Les caricatures ne sont pas du tout à bannir. Les théologiens rigoureux, et même certains fondamentalistes, considèrent d’ailleurs qu’elles ne désignent pas le prophète, puisqu’il ne peut être représenté. Mais dans notre société en ébullition, règne un climat de haine potentielle liée à la frustration, l’angoisse insupportable face au vide, à la mort, et à un désir de sécurité absolue impossible à combler. Toutes les paroles, tous les actes, sont susceptibles de provoquer des réactions violentes. Nous le voyons également autour de la Covid, le moindre débat devient rapidement violent. [2] NOUS SOMMES DONC OBLIGÉS DE FAIRE ATTENTION[14] [ciqucatali].
- L’islamisation reste-t-elle, selon vous, un mythe, comme vous l’écriviez en 2012 ?
- Je le pense, mais c’est un discours qu’on ne peut pas tenir aujourd’hui. LES TAUX DE CONVERSION DANS LES QUARTIERS POPULAIRES NE MONTRENT pourtant PAS D’AGGRAVATION DE CE PHÉNOMÈNE. ET SI ON ENTRE DANS LE DÉTAIL, ON OBSERVE UNE AUGMENTATION PLUS RAPIDE DES MOUVEMENTS NÉO-ÉVANGÉLIQUES CHRÉTIENS [ciqucatali] qui, du point de vue de leur logique sectaire, sont tout aussi radicaux, mais sont porteurs d’un prosélytisme plus actif. Un musulman a-t-il déjà frappé à votre porte pour essayer de vous vendre un exemplaire du coran ? On ne parle toutefois pas des évangélistes, car ils ne posent pas problème.[15]
Le Vendredi-13
Vendredi 13 novembre 2015 : je me trouvais avec Ama, à Arans, dans la petite pièce attenante au salon où se trouvait la télévision, que nous regardions. Je travaillais, suminu, à la table calée contre le mur, à l’entrée de la pièce, à gauche du poste de télévision. Ama était assise derrière moi, sur la banquette, contre le mur opposé. J’ai reçu un message ouate-zeu-pape de Manno, dont je savais qu’il était arrivé à Orly, et dans lequel il m’écrivait que Paris était « à feu et à sang » et qu’« il y [avait] des barrages partout ». Mon cerveau s’est mis en mode déni, oubliant « à feu et à sang » et, ayant lu le message de Manno à Ama, j’ai tenté d’évacuer la question en m’expliquant les barrages par japu quelles manifestations en cours à ce moment-là. Mais j’ai tout de même demandé à Ama, branchée sur le câble, de mettre une chaîne de la télévision nationale. « C’est l’horreur » – comme l’a déclaré François Hollande plus tard –, en train de se dérouler, que nous avons alors découverte. Manno se trouvait donc à Paris avec des collègues ce soir-là, alors qu’il met généralement à profit ses escales d’une ou deux journées à Orly pour se reposer d’un travail éprouvant, se rendant rarement en ville. Mais lui et ses collègues étaient sur le chemin du retour vers leur hôtel à Orly quand le feu a commencé à faire rage et le sang à couler.
Hormis Josette, bisû, jointe rapidement, je ne me suis pas mis à appeler, dans tous les sens, toutes mes connaissances à Paris. Et tout le monde allait bien. Mais Philippe s’est livré pour moi bien plus tard chez lui – il habite dans le XXème arrondissement, à un kilomètre environ du Bataclan –, lors d’un papapap, au récit incroyable de sa soirée en plein champ de bataille, et de celle de sa clé Naomie, qui se trouvait non loin elle aussi, dans un bar, avec des amis-mies. Philippe n’a pas lui-même été témoin de l’horreur, mais il l’a vue dans les yeux des gens qui fuyaient la scène des attentats. Il a assisté au déploiement des forces de l’ordre, comme sur une scène de guerre, qui mettaient en joue toute personne n’obtempérant pas sur le champ à leur ordre de circuler ou d’évacuer les lieux. Aux côtés d’une petite fille... terrorisée, dans le bar dans lequel il a été enfermé pendant des heures avec d’autres par les policiers, il s’est employé à la réconforter.
Rembobinage jusqu’à trois mots quelques lignes plus haut : « Japu quelles manifestations. » Tu parles, si je sais lesquelles !!! Ça me revient, danqu tipasse !!! Je vais pouvoir m’exciter un coup, à défaut de l’avoir fait, justement, sur le coup !!! Car je suis passé devant, donc, les manifestants-tantes qui battaient le pavé, dans une des pires galères de ma vie de course avec mes bagages entre transports en commun et train, à Paris, pour rentrer à Baiona, parce que tout était bloqué !!! Oui, j’ai traversé cette foule, devant la gare Montparnasse, sans me douter que j’étais entouré de tous-toutes les connards-nasses (et ça rime !!!)... de la Manif pour Tous !!!!!!! Si j’avais su !!! Je me les serais fait !!! J’en aurais pris un-une pour cogner sur l’autre !!! J’étais déjà vert de gris, de rage, exténué, et dans une forme encore... Je me demande donc quand-même un peu où j’en aurais trouvé la force... Mais si, oh que si, dans l’état où j’étais, justement, d’énervement, d’épuisement, c’est sûr, je leur AURAIS... Angelu : « Teu, teu, teu. »
— Ta g... Oups, pardon chouchou mais... ça n’est vraiment pas le moment, laisse-moi employer tous les ipacools que je veux, là...
— Oui, non, c’est moi, pardon, vas-y !! Fous-leur !!
— Angelu, tout de même...
— On s’en tape !!! Tu leurs AURAIS quoi ???
— Je leur AURAAAAAIIIIIS au moins balancé un truc du genre : « Bande de cons !!! Je suis pédé !!! Et marié !!! Alors allez vous faire f... !!!!!!!! Vous êtes les enfants de la haine !!! Et c’est ce que vous préparez pour demain, pour vos enfants : UN MONDE D’INTOLÉRANCE ET DE HAINE !!!!!!!!! Mais c’est précisément leur but, leur monde : la domination d’hommes virils sur des femmes soumises, des riches sur les pauvres, des Blancs-Blanches sur les autres...
C’était donc... quelques jours avant les attentats. Que j’ai vus venir... C’est ma plus « « « belle » » » prémonition (dont je n’ai toutefois eu conscience qu’à posteriori). Des triples guillemets ? A-t-on jamais « vu » ça ? Ben oui, on parle quand-même de... 130 personnes massacrées... Ce 13 maintenant... du nombre de victimes... du vendredi 13 !... Yama. Je ne me suis pas dit que des attentats allaient se produire. N’est pas la France... euh... France qui veut. Je n’ai pas ses dons de voyance au sens de ce qu’elle m’a expliqué sur cette faculté qu’elle a sentie en elle dès son plus jeune âge. Et qu’elle a donc pratiqués, en tant que tels, moyennant une grande maîtrise de la cartomantie. Une véritable passion, m’a-t-elle longuement exposé. J’ai donc vu la femme qui voit, ainsi que je le narrai quelques années-Modoupa en arrière. Mais j’en retiens qu’elle a davantage vu ce que je voyais déjà, comme plutôt lu en moi, via les cartes que je « commandais », plus qu’elle n’a vu ou lu l’avenir. Sa principale prédiction pour mon futur proche, conformément à une « question » et un espoir que j’avais en tête, ne s’est en effet pas avérée exacte. L’espoir en question se voyant... déçu. À Paris, j’ai essayé les cartes moi aussi ? Non, loin de moi tout cela, cet univers qui m’est totalement étranger et le sera à jamais, car ce n’est pas du tout la main que la Matrice a programmé pour mes yeux, mon cœur et mes pensées. Bien qu’Elle ait voulu que je visse et entendisse pas mal de choses moi aussi, à travers les murs des couloirs du temps et de l’espace.
Mais ça vient sans prévenir. Ce sont les synchronicités et tout le bastringue. Comme des bruits de couloir. Et les bruits surpuissants de « la veille » du V13-Paris, du 13-novembre parisien, ont comme frémi à mes oreilles, mais sans que je n’« identifie » quoi que ce soit précisément. Sans même que je me dise : « Ouh là, c’est quoi ce bruit ?... » J’étais assis à la terrasse d’un bar-restaurant, où je venais de becqueter, au bout de la rue Vicq d’Azir[16] de l’hôtel où je créchais alors. De l’autre côté du boulevard de la Villette, à quelques dizaines de mètres un peu plus loin à gauche de la place du Colonel Fabien où se trouve le siège du Parti communiste, à l’angle avec la rue Henri Turot, deux militaires de Vigipi-Sentinénelle-ché-pas-quoi étaient en faction devant un bâtiment public, une école je crois. Et, les regardant, voilà ce qu’en substance je me suis dit : « Pffff. (Comme Lolo quand je lui écris [pas] pour ses 50 ans.) À quoi ça peut bien servir ces militaires ? Si quelqu’un veut tirer dans le tas... » Dans le tas, ou dans la foule, sur des gens, n’importe où dans Paris... Voilà. On connaît, fort malheureusement, la suite...
- ↑ Égaré en route, dommage. J’ai redemandé le fameux mail à Aita, qui ne l’avait plus non plus. Il m’a donc fourni les coordonnées de son ami. Affaire à suivre.
- ↑ Le Point.fr, 18 octobre 2013 (https://www.lepoint.fr/monde/les-500-000-morts-de-la-guerre-en-irak-18-10-2013)
- ↑ Grands Saisissements
- ↑ Bonhomme à la caisse du magasin bio qui veut à tout prix trouver des correspondances.
- ↑ Wikipédia (https://fr.wikipedia.org/wiki/Caricatures_de_Mahomet_du_journal_Jyllands-Posten)
- ↑ Wikipédia (https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_de_Bosnie-Herz%C3%A9govine)
- ↑ Ibid.
- ↑ Je suis colère.
- ↑ « Ça lui a été FATAL, FATAL ! » De prendre Vals comme Premier ministre ? Entre autres. Et tous ses reniements. J’ai entendu ça à la télé il y a plusieurs années, sous Hollande, à son propos, pendant que j’étais en train d’essayer de remplir... ma carte de donneur d’organe, dont j’avais fait la demande sitet, après avoir saisi un premier stylo noir dont la mine était cassée puis un autre dont la mine était... cassée ? Non............ impossible à sortir.
- ↑ Politis n° 1624, octobre 2020, p. 5
- ↑ J’ai écrit dans "'Oh, mon Bouddha ! : « Les êtres humains, ces créatures avides de pouvoir car victimes d’un besoin impérieux de combler le gouffre incommensurable de leurs angoisses, de leur ignorance concernant cet étrange état qui est le leur, entre instinct animal et intelligence humaine ». La frustration ? Sœur jumelle (pour paraphraser Churchill !...) de la peur, mère de toutes les perversités. Comment n’avais-je encore moi-même employé ce terme dans mon bouquin ?
- ↑ À fond nourrie et entretenue par les responsables politiques et les médias propagandistes qui, dans le même temps, à longueur de discours et d’analyses, reprochent aux Français-çaises leur pessimisme. Cynisme à tous les étages.
- ↑ Là, la perception de Denis et Xabi, bien qu’évidemment pas « moins » attachés à la liberté d’expression que Raphaël, n’est manifestement pas tout à fait la même...
- ↑ Ah ! Car n’y a-t-il donc pas comme une légère contradiction entre [1] et [2] ? Peut-il être question, pour quoi que ce soit d’ailleurs dans la vie, de FAIRE TOTALEMENT ABSTRACTION de ce que des propos, une attitude, quelle qu’en soit la « légitimité », sont susceptibles de provoquer chez... l’Autre ? (Mais certainement le sociologue a-t-il en tête ici uniquement le besoin de « faire attention »... pour sa sécurité.)
- ↑ Besoin d’un témoin (de pas-Jéhovah) ?
- ↑ Je suis allé voir sitet qu’est-ce-qui-quoi : « Félix Vicq-d’Azyr, né le 23 avril 1748 à Valognes et mort le 20 juin 1794 (2 messidor an II) à Paris, sous les toits du palais du Louvre ou il résidait, est un médecin, anatomiste et naturaliste français. [...] On lui doit aussi d’importantes découvertes en neuroanatomie, notamment celle d’un faisceau reliant diverses structures cérébrales impliquées dans la mémoire et qui porte son nom » (wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/F%C3%A9lix_Vicq_d%27Azyr). Pas de synchro wahou, mais les méandres du cerveau tout de même...