4 – Dans un plateau

De Xavier Renard
Aller à la navigation Aller à la recherche

Sophie tu n’es pas sexy quand tu causes mais tu m’obsèdes. Sophie :

– C’est quoi sexy pour toi, c’est quoi qui t’excite ? La verve, la verge [biiip], le zizi [biiip], mes ninis [biiip] ?

– C’est bien, tu n’y vas pas par quatre chemins. J’aime ça.

– Ça et quoi ? Dis-moi.

– Les ninis c’est tes nibars [biiip] ?

– Bé oui.

– Tu te les es fait refaire ? Une photo de toi en maillot que j’ai vue, un jour, à la télé. Sinon je n’aurais pas cru...

– Bé si.

– Je ne te le fais pas dire, c’est moi qui dis, en vrai...

– On sait. Zizi ou ninis [biiip], alors, c’est quoi qui te plaît ?

– On parlera de tout ça en off après. Que je suis obsédé par toi, c’est juste pour la transition que je disais ça, me trouvant, déjà, dans le chapitre 3, à reparler de toi. Du moins de ton émission. Que je regarde souvent, mais, je dois l’avouer, au risque de te peiner, quand je n’ai vraiment pas mieux à faire. Et dans des circonstances, en réalité... Passons. Je l’aime bien quand-même, ton émission.

Sur ton plateau : l’objet ? Les objets. Proposés par les téléspectatrices et téléspectateurs, sélectionnés par la prod s’ils présentent l’intérêt requis, expertisés par tes commissaires-priseurs et sœurs... euh... zeures, puis défendus aux enchères devant tes acheteuses et acheteurs. Celui de mon livre : une obsession, là, vraiment. Pour la qualité de la forme. Non pas avec mes interlocuteurs-trices de la vie de tous les jours, sans y être insensible… Mais celle de ce que je lis et écoute dans les livres, les journaux, à la télé, à la radio… Je suis exaspéré par ce que je qualifie de paresse intellectuelle. Non qu’il faille du pompeux, des mots compliqués, se la péter. Le peu, voire l’absence d’effort pour la soigner, c’est ça, qui me sidère. Seul le fond importe ? Ce que les uns, les unes et les autres ont à dire est si capital et pertinent, qu’il faut en délivrer le plus possible, peu importe comment ? Non ! Parler moins vite ! Réfléchir ! Perdre deux secondes s’il faut, pour opiner moins, mais avec un peu plus de style ! C’est un point de vue qui est un point de vue intéressant. Ça fait bizarre, n’est-ce pas ? Quand jusque-là le style... et le point de vue, oh !... étaient si éblouissants. Eh bien gagnez-en, là, du temps, delibébatteurs et trices. Allégez. C’est un machin-truc-bidule qui est un machin-truc-bidule + l’adjectif : non mais véridique, ielles font tous-toutes ça ! Avec « y’a » parfois. Y a un point de vue qui est un point de vue intéressant... Tu trouves ça sexy, Sophie ? Ce ne sont que tue-l’amour du genre, tu vas voir, mon bouquin. Sophie :

– À la fin on se pend ?

– Au contraire, devenus de beaux parleurs, on emballe à tour de bras.

– Il faut plus que des mots pour ça.

– Bien sûr, bien sûr.

– Bon et moi, qu’ai-je encore loupé comme tournure, te détournant à jamais de mes nénés ?

– Ça n’était pas bon les ninis tout à l’heure ?

– T’as voulu jouer avec zizi, mais je crois bien que tu t’es planté, en effet.

Elle est d’une telle éloquence... Sophie m’interrompt :

– Je n’aurai plus droit qu’à moquerie de ta part, si je comprends bien. Que cela ne t’en fasse pas oublier que c’est toi qui dis, le zizi et toutes ces âneries. Ne t’es-tu pas vu, pour ton précédent livre, un chouya reprocher une certaine vulgarité ? Tu ne te... corriges jamais ?

– J’ai enlevé du gras, t’as pas vu ?

– Mon cul, oui. T’as bipé autour.

C’était un stratagème pour faire croire à Sophie que c’était d’elle que je parlais, en commençant sans les guillemets qui s’imposent, pour la citation concernée :

Elle est d’une telle éloquence, ce qui n’est pas le cas de tous-toutes les écrivains-vaines et intellectuels-uelles (sans parler des journalistes), dans leurs ouvrages, et encore moins oralement, tant s’en faut et loin de là.

« Elle » : pas toi Sophie !... « Merci, j’ai compris. » Mais Marie. Darrieussec. J’hésite : je me cite (c’est mon écrit), je ne me cite pas... Allez, oui, pour taquiner Sophie. Et pour l’expression en double. Effet voulu : entre les deux, en principe on choisit. Toujours est-il que « loin s’en faut », comme on l’entend pourtant tant, ça ne se dit pas !

Une synchronicité t’a sauvé. Pas toi, Sophie (je double aussi). Même si ta langue a fourché, entre tourner et toucher, tu conserves ta classe et tes nénés, fussent-ils naturels ou siliconés. Sauvé par le gong c’est toi, Chapitre (Sophie : « Il parle à ses pages maintenant ! ») : le registre dispensation de leçon, moralisation (Sophie : « La vulgarité ? »), je songeais à laisser tomber. Puis La Voix (de l’Au-Delà) a semblé dire son désir qu’il restât. En m’interpellant. Via Popol, Politis mon hebdo. Article page 27 du numéro 1711, à propos de Pour vous combattre de Joseph Andras sur Camille Desmoulins :

Joseph Andras, à l’écriture d’une élégance raffinée (oserait-on dire aristocratique ?) [...] [fait] allusion au style : « Ce criard d’Hébert, persuadé qu’il faut écrire avec ses pieds pour que le peuple daigne vous faire sien. »

« Écrire avec ses pieds » : trop fort Joseph, ton écho à ma pensée ! Et parler : avec... ? Fais-moi signe quand t’as trouvé ! Élitisme de la langue, nécessité de se mettre au niveau de tout un chacun... Elles ont bon dos. Ces autres questions que ta tirade pourrait avoir l’air de soulever : j’y reviendrai.

Puis, Sophie, mate ça : deux touchers pour toi ! Jusqu’aux grands hommes de la Révolution, pour prendre ta défense ? Qu’elle touche ! Si elle n’a pas envie de tourner... autour du pot ?... du plateau ? (On s’occupe de lui tout de suite.) C’est fou ça aussi, quelques lignes après, tous deux dans à peine la moitié d’une demi-colonne :

Ce qui touche sans doute au plus près Joseph Andras, c’est son intransigeant parti pris en faveur de la liberté de la presse, de la liberté d’opinion. [...] L’auteur prend ainsi la parole : « Demeure, dans l’univers, un ou deux mystères que les sciences peinent à dénouer [un peu plus c’est carrément mes synchronicités qu’il évoquait ?!] : cette nuit, je dois l’avouer, compte à mes yeux comme l’un d’eux [lâchage par Robespierre de l’un de ses « condisciples »] [...] Comment j’aimerais m’en approcher, m’y glisser, creuser ce noir entier et m’en repaître, toucher ce que nos ennemis ont fini par faire de nous. »

Quel soutien de poids ! Et merci, les gars, de m’empêcher de laisser choir le plateau. De me permettre de récupérer ses pas moins de 1 kilo 400 d’argent au vol. On l’aurait senti, sur nos pieds. « Sur, sur, sur », tout le monde est toujours « sur ». « Nous sommes là sur un produit de grande qualité ». « Nous sommes sur un sauté de porc aux olives... un très moderne et design parquet contrecollé... » Et si de temps en temps on était plutôt « en présence de… » ? Si on disait plutôt « je vous présente... », « il s’agit là de... », ou tout simplement « voilà un... », entre autres possibilités ? Hein, éminentes personnalités, de la presse écrite, radiophonique, télévisée, qu’est-ce que vous en pensez ? « Non ! Des perroquets. C’est ça qu’on est. »

Grand plateau en argent de style Louis XVI à l’évaluation duquel se livre l’experte de Sophie. « Nous sommes sur un plateau Louis XVI » : elle n’a pas osé. L’image de sa personne (servie) sur un plateau d’argent n’a rien dû lui dire qui valût. C’était l’occasion où jamais de... oh !... réfléchir !... deux secondes... à une manière de le tourner plus originalement. Difficile, c’est vrai, pour un perroquet. C’est autre chose, pourtant, le cerveau d’un humain, que celui d’un oiseau, fût-il parleur. Qu’est-ce qui peut bien brider le premier ?

Avoir pieds et poings liés. Par une grosse ficelle. Celle de la Matrice Divine. Qui régit tout. Nos actes, nos dires... « Aditita » (« Advient ce qui doit avenir »), comme on dit en modoupaïen. Nous ne décidons de rien, en exécutants, que nous sommes, du Plan. Aucun libre arbitre ? Non, d’une certaine façon. Idée totalement inacceptable pour la plupart. Rassurons-les : c’est aussi vrai que pas vrai. Comme tout. Pas de Vérité. Rien ni personne pour dicter quoi que ce soit à qui que ce soit. Idéalisme et contradiction. Je ne recule devant rien. Et l’on se dit : cherchez l’erreur. À moins, inversement, de préconiser, dans certains cas... de ne pas trop chercher. Parmi mes mantras : plus j’en sais, moins j’en sais, et c’est très bien comme ça. Je me fous d’avoir tort ou raison. Tout n’est qu’illusion. Etc.

Je n’ai fini par entrevoir cet artifice de la Matrice qu’assez récemment, par me l’expliquer (oui, c’est autorisé !) ainsi : blablateuses et teurs de la politique et des médias commettent toujours les mêmes erreurs. Elles pourraient un tant soit peu varier, de l’une ou l’un à l’autre. Mais non. Ielles sont comme autant de clones du mal-parlé. La Matrice n’a que grossièrement développé ce programme. C’est patent. Esclave de la loi, la pas-libre (?) penseuse d’« Affaire conclue » était condamnée, pire qu’à rester sur un médiocre « nous sommes sur... », à tomber encore plus bas, affirmant : « Nous sommes dans un plateau... » Ouah ! D’abord tu nous expliques, comment tu fais ça ? Heureusement que le ridicule ne tue pas. Dans une autre « Affaire » : « Nous sommes sur une statuette en terre cuite, en très bon état. » On imagine la chute : en pas trop grand nombre espérons-le, sinon elle risque de ne pas... (1)

(1) En quatre mots. Pas sûr-sûre ? Réponse sur un autre « sur ».