Chapitre 10 – Premiers pas dans l’au-delà... des frontières euskado-frantziennes
Flic ou voyou ? (« Premiers pas… » : comme un problème d’ordre, non, là ?)
Un quart de siècle plus tôt. Impasses de Meharitze[1] et d’ailleurs et autres points de non-retour : déesses et dieux – leur volonté soit faite –, après avoir un peu hésité, ont bien voulu nous laisser redescendre, mon ami Pantxoa eta ni[2], du bout de falaise en bord de route qu’il nous avait soudainement pris d’escalader, au retour d’une folle virée à Donosti[3]. Les ailes que les substances de la soirée nous avaient données pour grimper, quand nous avons voulu faire demi-tour, s’étaient envolées. Pas de portable à cette époque, et nous avons littéralement dû appeler les passants-santes en contrebas au secours. Les pompiers, prévenus, sont venus à la rescousse. Ils sont montés jusqu’à nous, sans le moindre problème. Avec eux nous sommes redescendus… sans aucune difficulté non plus. Comment n’avons-nous pas été capables, ni l’un ni l’autre, de voir au-delà d’une espèce de seuil, dans le sens de la descente, au point où nous étions postés, et où il nous semblait qu’au moindre faux pas nous aurions chuté dans le vide ? Il est d’étranges forces des fois… Qui me transformeraient presque en flic d’ailleurs. À moins que je ne le fusse dans une voi... euh... vature[4]. J’ai été agressé, verbalement, à Saint-Martin, quand j’y ai vécu entre 2004 et 2005, alors que je me trouvais au volant de mon vieux mini 4x4 Vitara, dans une rue de Marigot, le chef-lieu de la moitié française de l’île. J’étais coincé dans un petit bouchon quand un jeune Saint-Martinois un peu racailleux s’est approché de la vitre ouverte de ma portière et s’est mis à me hurler dessus : « Je te connais, toi ! T’es le flic qui m’a emmerdé l’autre jour ! » Je lui ai signifié, dans une moue, mon incompréhension, puis la voie s’est libérée et j’ai pu accélérer et planter là le cinglé.
À Marigalant[5], le barman du Touloulou, un complexe de bungalows où j’ai passé quelques jours pendant un séjour, sur l’île, avec Denis et Maia venu-nue (ielles sont très nature) me rendre visite en Gwada, m’a demandé si je n’étais pas de la DGSE. Je l’avais surpris en ayant l’air bien renseigné sur des personnes du coin avec qui j’avais un peu sympathisé. Il plaisantait, naturellement. Mais il doit en traîner, des yeux et des... oreilles, en raison d’un contexte économique et social particulièrement critique et tendu et d’un niveau de criminalité élevé dans ce qui est aussi, comme le reste de la Caraïbe, une plaque tournante de tous les trafics possibles et imaginables. Les Blancs-Blanches, en Guadeloupe, en Guyane, à la Réunion et en Nouvelle-Calédonie, sont parfois surnommés-mées « Zorey ». L’espionnage des populations locales en d’autres temps constitue l’une des raisons avancées, et selon moi la plus probable, pour expliquer cette appellation. Je ne serais pas étonné que d’autres versions complètement insensées comme les oreilles de l’homme pâle qui rougissent au soleil n’aient d’autre but que de contribuer à effacer un passé honteux. De quoi l’inconscient collectif, comme individuel, n’est-il capable ? Mais c’est certainement moi qui paranoïe.
« Ne vous y trompez pas, notre homme est agent du Mossad et se trouve, en réalité, en Cisjordanie » : toujours plus fort. Ainsi ma Foune[6] s’est-elle mise à fantasmer sur une photo de moi. Du moins Philippe a-t-il ainsi levé le voile sur ma véritable identité, au vu d’un cliché de ma trogne que j’avais ouate-zeu-papé, depuis l’Inde où je me trouvais, en janvier 2020, à mon groupe de chanceux-ceuses destinataires des photos et messages de mon voyage. Mais n’avais-je pas la gueule de l’emploi ? Avec mon air ténébreux et… une étoile de David qui pendait en arrière-plan ! Nous créchions, avec Vanessa et notre groupe, au cours de notre périple dans le Rajasthan, dans un palais de la ville de Deoghar, l’un des sublimes hôtels que nos organisateurs et accompagnateurs indiens, Imran et Imanchu[7], avaient réservé tout le long du circuit. C’était un soir où ça n’allait pas fort du tout. Je m’étais régalé, pendant tout le séjour, des délicieux mets proposés aux buffets des hôtels, mais des brûlures à l’estomac, ce soir-là, m’en ont empêché. À table, ma camarade corse Marie-Madeleine m’a proposé de prendre une photo de ma face et de l’envoyer à une amie, Marie-Dominique, dans son île, qui coupait le feu. Puis, sur invitation d’Imran, cithariste[8] de renom, quelques personnes du groupe et moi-même nous sommes rendus-dues dans sa chambre, après le dîner, pour l’écouter. Dans un rot, discret, pendant la performance et la transe (communicative) du musicien, j’ai senti que ça allait un peu mieux, tout d’un coup, ce qui m’a étonné. Mon état m’avait inquiété, ce soir-là, pour la suite du séjour. Mais j’ai pu me remettre, dès le lendemain matin, à manger normalement, et j’ai finalement pu continuer d’effectuer toutes les sorties, jusqu’au bout, avec le reste du groupe.
Ça m’a coupé le sifflet… euh… le feu
Ça n’était tout de même pas toujours évident, et dans la ville de Jodhpur, à proximité de laquelle nous avons séjourné la première semaine, avant d’enchaîner sur nos autres destinations, un besoin pressant m’avait fait manquer le départ dans les calèches qui nous avaient menés-nées du bus à la partie ancienne de la splendide Ville Bleue, et qui devaient nous y reconduire. J’avais pourtant été le premier à y attendre les autres membres du groupe, après m’être retrouvé seul, au bout d’un moment, dans les vieilles rues commerçantes, et qui avaient fini, au compte-goutte, par se rameuter. J’avais toutefois finalement dû me rendre à des toilettes infâmes dans un dédale de petites rues à proximité, après avoir prévenu mes acolytes, le départ ne semblant toujours pas imminent. Revenu au point de rencontre, dix minutes plus tard, ielles avaient tous-toutes disparu. Je n’avais à ce moment-là pas de connexion sur mon téléphone, et ne pouvais joindre personne. J’ai passé un moment assez abominable, car vraiment pas dans mon assiette, à me demander si et quand le groupe se rendrait compte de mon absence pour envoyer quelqu’un me chercher.
Il restait bien une calèche, avec un type à bord, dont je m’étais approché, mais celui-ci m’avait regardé sans la moindre réaction. Je n’ai même pas essayé de lui expliquer quoi que ce soit, car je voyais bien à sa tête qu’il ne piperait pas un mot d’anglais. Il n’était donc apparemment pas là pour moi, et je n’avais vraiment pas la force de tenter des explications dont je pressentais qu’elles ne mèneraient nulle part, du fait de la barrière de la langue et d’un fossé culturel, avec certains-taines habitants-tantes des autres galaxies, parfois difficilement surmontable. C’était bien lui, pourtant, que l’on avait chargé de m’attendre. Alors que j’étais resté planté, à quelques mètres devant lui, ce n’est qu’au bout d’un bon quart d’heure qu’il est venu moi, avec sa monture, me tendant un téléphone : c’était Imanchu, qui m’a avisé de ce que je devais regagner le bus avec lui. Accueilli par des applaudissements, en montant dans celui-ci, je n’ai pas vraiment eu le cœur à m’enthousiasmer en retour. Et j’en ai profité pour un peu pleurnicher auprès de la star du groupe, notre beau danseur indien Sunny, avec qui j’avais voyagé dans le même attelage à l’aller, et qui m’avait ensuite lâchement abandonné (comme je le lui ai dit en plaisantant – à moitié), dans les rues de Jodhpur. Il m’a pris dans ses bras, et m’a caléché... galoché ? C’est ç’lààààà... En Inde, surtout.
Marie-Madeleine, à Deoghar, dans la chambre d’Imran, m’a demandé comment ça allait. J’avais complètement oublié ma photo parvenue, à des milliers de kilomètres, à Marie-Dominique. Nous avons calculé, avec MM, que l’heure à laquelle MD avait dû « prier » pour moi, après l’avoir reçue, correspondait à celle à laquelle j’avais senti ma brûlure disparaître. C’était vraiment ma toutpie[9] expérience du genre. Et pour une fois qu’une « intervention » produisait un tant soit peu d’effet sur moi ! MD m’a téléphoné, en février, alors que je me trouvais chez Aita, à Ondres dans les Landes, à une dizaine de kilomètres au nord de Baiona, pour me remercier du sac que j’avais acheté pour elle, dans le Rajasthan, devant un temple hindou, et que j’avais chargé M2 de lui remettre en guise de témoignage de ma reconnaissance. « Je vais voir ce que je peux faire de plus pour toi », m’a dit ma guérisseuse. Mais si une « brûlure superficielle » a pu être éliminée, à des milliers de kilomètres de distance (excusez du peu), pour ce mal si profondément enraciné et qui me ronge depuis si longtemps, une intervention véritablement divine s’impose, désormais. Comme en 1962 à Cuba. Chacun ses références, on est agent secret où on ne l’est pas (vilin[10]). Parmi mes projets, à ma renaissance : rendre visite à Mama et à Mado et découvrir, enfin, l’Île de Beauté ! Dont je sais qu’elle porte particulièrement bien son nom. Et où Mama en connaît, du monde, apparemment, jusqu’à son citoyen en chef le président de l’Assemblée corse nationaliste Jean-Guy Talamoni.
Marie-Dom, sans le savoir, a battu un record. Eu égard à la susdite performance, certes, peut-être, mais également celui, bien qu’autrement moins impressionnant... des âges que l’on m’a attribués au fil... de ceux-ci. Elle a ainsi interrogé Marie-Mad, dans un texto, après que cette dernière lui a envoyé ma photo : « Quel âge a-t-il ? Cinquante… soixante ans ? » Loin de me vexer, ça m’aurait même presque flatté ! J’ai tellement été exaspéré, toute ma vie, qu’on me prît pour un gamin, à me donner dix ou quinze ans de moins ! Je devais tout de même être sacrément mal en point, quand Mama m’a tiré le portrait ! Même s’il est vrai que plus les années passent, et plus mon âge est souvent à peu près correctement évalué ! Avec Mado, le rythme s’est tout de même diablement accéléré ! Après un entretien avec un conseiller bancaire à Tarnos[11], près de chez Aita, au mois de juillet suivant, la première voiture rencontrée sur la route devant moi était immatriculée 222 QE. Ces chiffres m’intriguant, je me suis demandé quelle synchro j’allais encore bien pouvoir me mettre sous la dent. Et j’en ai trouvé une mini dans le petit rectangle sur le côté gauche de la plaque contenant le numéro du département : un 59. Mon conseiller, en passant en revue les données de mon pedigree, pour ma date de naissance, avait lapsussé un 59 au lieu du 69. Boum, dix ans dans ma face encore.
Un jour des Baionako Bestak[12], devant le petit portail d’Arrantz, alors que je remontais du centre-ville, je me suis arrêté converser quelques instants avec trois copains de mon neveu Hugo qui s’affairaient autour de la voiture de l’un d’eux, garée devant la maison. C1 – le copain 1 –, qui se tenait à ma droite, m’a attribué un âge, par rapport à je ne sais quel objet de notre discussion, de l’ordre de quarante ans ou un peu moins. C2, qui se trouvait de l’autre côté de la voiture, à l’angle de celle-ci opposé à celui au niveau duquel j’étais moi-même positionné, en a instantanément fait le tour, fondant sur l’évaluateur, comme pour lui... régler son compte, et auquel il a déclaré : « Xabi, il a quarante-trois ans ! » C’était effectivement mon âge. « Comment tu s… », ai-je commencé à lui demander, mais parti dans un monologue à l’adresse de C2, il n’y a pas prêté attention. J’ai toujours pensé qu’il avait sorti, comme ça, mon âge de son chapeau, et ça m’avait vraiment frappé. Je ne voyais aucune raison à ce qu’Hugo lui eût dit. Or, il m’est au contraire apparu comme une évidence, qudjat[13], qu’il avait effectivement dû, en réalité, le lui demander.
Un jour des mêmes bestak, à mi-chemin entre le centre-ville et Arrantz, avec un C3 sur lequel je suis tombé, nous nous sommes assis dans l’herbe de la cour d’un bâtiment, en bord de route, pour discuter, et avons notamment abordé, là encore, la question de l’âge. Je lui ai dit le mien, et il m’a déclaré apprécier qu’une personne « de mon âge » – le double du sien –, prît le temps de discuter, ainsi, avec un « jeune comme lui », et le prît au sérieux. Fichtre. C’est à cet instant, je crois, que j’ai vraiment réalisé ma différence d’âge avec… « un jeune comme lui » ! Usine[14] : mes amis ont de dix-sept à cent-sept ans, et c’est une personne que j’ai en face quand j’échange avec quelqu’un-qu’une, ni un âge – même si on ne peut en faire totalement abstraction –, ni je ne sais quel statut. En ce qui concerne C1, C3 ne pouvait-il pas ensuite tout simplement lui avoir dit mon âge ? Mais certainement ma discussion avec lui avait-elle eu lieu après celle du portail, sans quoi j’aurais fait le lien… Quoi qu’il en soit, pourquoi cette sensation de phénomène paranormal avec cette déclaration de C1 sur le nombre de mes heures de vol, dont je ne vois pas pourquoi j’irais en chercher un là où il est évident qu’il n’en existe pas – j’en ai suffisamment en stock – et, maintenant, le sentiment qu’il n’en était rien ? Je m’apprêtais ainsi à renoncer à servir, ici, cette énième salade, quand j’ai vu que mon fichier affichait : page 40 sur 343. 40 et 43 : les deux âges dont il était question dans la phrase que j’étais sur le point de supprimer ! Angelu[15] : « Non, Xabi, tu n’as pas rêvé. Les anges du ciel, ton ange en chef et le petit Jésus, certes, quand ça les démange, se grattent le trou du cul, avé, avé, avé le petit doigt, etc., comme dans la chanson dont tu t’es longtemps égosillé, aux Baionako Bestak, avec tes lagunak, quand tu étais jeune hihi toi aussi. Mais nous ne t’en voulons absolument pas de nous avoir ainsi moqués, car nous ne manquons pas d’humour nous non plus. Alors surtout, mon Xabi, ne laisse jamais le doute en toi s’immiscer et personne te l’inoculer. »
Le tour de Booster continue : à Saint-Martin maintenant. Non pas quand j’y ai vécu avec Manno, de 2004 à 2006, mais l’une des moult fois où nous y sommes retournés par la suite. Lors d’un sirotage de cocktail avec Tifim[16]. Manno e mwen[17] n’avons pas adopté d’enfant, c’est un adulte qui nous a adoptés : Vanessa, qui nous a déclarés ses « papas ». Elle a exactement la couleur qu’aurait donné le mélange, s’il eut été possible, entre le marron foncé de Manno et mon blanc[18]. Elle est en fait ce qu’on appelle ici une... « Chabine »... Vanessa et Manno se sont connu-nue à Air Caraïbes, pendant un stage que Vanessa y a effectué. J’ai quant à moi fait sa connaissance, avec Manno, au Cheyenne, notre temple, une discothèque à mi-chemin entre ma résidence et la plage du bourg de Gozyé, dont nous avons été abonnés, pendant plusieurs années, et où Vanessa travaillait comme barmaid. Vanessa a fini par quitter la Gwadloup, comme beaucoup, poussée tant par l’envie de découvrir le monde que par la nécessité d’échapper à un univers insulaire aux perspectives limitées, pour ne rien dire d’esprits parfois un peu étriqués... Inspirée par le profil de ses papas, elle l’avait souhaité plus ardemment encore ! Elle m’a déclaré un jour : « T’as eu dix vies, toi ! » Elle est allée s’établir au Canada, avec son compagnon Laurent, un Haïtien, ne reculant devant rien pour copier son pap’ Xab’, et se battant comme une diablesse pour obtenir son permis de résidence là-bas. Outre le point commun de la nationalité de mon doudou et de celui de Tifim, ce dernier l’a découverte sur les réseaux sociaux, depuis le Canada, après un shooting à Saint-Martin et la mise en ligne de ses photos. Et Laurent... est parent d’une tante de Manno ! Solita, de son prénom, habitait Colombiers, à Saint-Martin, le quartier où Manno a grandi, et où il m’a emmené la voir un jour. Elle est décédée quelques années plus tard.
C’est notre rituel, à chaque fois que Manno e mwen allons à Saint-Martin : le tour en voiture de Colombiers, où conduit une voie rectiligne, sur quelques centaines de mètres, le long des près où vaquent les vaches, en contrebas des mornes recouverts des hautes et fines herbes blondes qui scintillent au soleil. Les habitations s’alignent, au bout, sur deux cents mètres de plus, jusqu’à un cul-de-sac. Manno, Chriscilla sa maman et... le fameux Franco, son frère cadet, ont vécu, dans ce quartier, dans une assez rudimentaire case, où ils se trouvaient quand Hugo a soufflé. Hugo ? Dont nous venons de laisser les potos ? Lui, outre qu’il était encore loin de commencer à pousser dans le ventre de sa maman, aurait eu beau souffler sur la maison de Chriscilla, Manno et Franco – bien qu’ils s’y trouvassent à trois, comme les petits cochons –, il est fort probable que personne ne s’en serait rendu compte et qu’il n’en aurait pas été question ici plus que dans quelque autre récit que ce fût, eut-il été du genre PED, historico-philosophique ou je ne sais quoi. Le Hugo resté dans les mémoires, dans la région, c’est le dernier ouragan à avoir frappé, en 1989, la Gwadloup et les îles alentour de plein fouet. Un spécimen d’un autre gabarit que mon neveu c’est certain, malgré ses vingt-cinq ans tout frais et ses un mètre quatre-vingt de muscles de rugbyman. La case des trois petits cochons de Colombiers ? Elle a très bien tenu, d’après le mien !
« Le dernier ouragan à avoir frappé, en 1989, la Gwadloup de plein fouet. » Je suis allé repêcher, danupag, avé la fioncrace, cette phrase écrite plus loin, et j’ai alors réalisé : 1989, quelle date ! Celle de mes vingt ans, et, florilège de ses apparitions dans Modoupa : « Dew Drop Inn, le restaurant où j’avais travaillé six mois entre 1989 et 1990 (à New York) » ; « Le restaurant italien Amici Miei qui m’a embauché, au début de mon premier séjour à New York, à la fin de l’année 1989 » ; « J’ai débarqué le 17 novembre 1989 à New York » ; « 1989 : chute du Mur de Berlin » ; « Anarchie et folie meurtrière ont anéanti l’Afghanistan, après le retrait des Soviétiques, en 1989 » ; « Les années 1989, 1990 et 1991 ont ouvert grand la voie vers les catastrophes qui ont suivi, dont la Guerre du Golfe de 1990 a inauguré la série. » Eh ben c’est gai, pour terminer celle-là !
À Saint-Martin, vingt-cinq ans exactement, justement, après mon premier débarquement à New York, et juste avant un nouveau voyage là-bas avec Manno, en 2014, Tifim épi mwen étions donc assis, à Phillipsburg, le chef-lieu de la partie néerlandaise de l’île, à la terrasse d’un restaurant du front de mer, qui n’en avait plus que pour trois ans, sous ses atours d’alors, comme tant d’autres sites de l’île ravagés... par le méga-ouragan Irma de 2017. Manno et moi nous étions pacsés, en 2009, et mon mari, pendant ce temps, ce que je ne savais pas, était à la recherche d’une bague pour moi dans la rue principale, une enfilade de bijouteries. Il a mis cinq ans pour l’acheter ? Oui, il est très lent. Très drôle. Ça devait être la deuxième. Mais à vrai dire japu[19] trop. Je lui demanderai. Toujours est-il qu’elle allait m’apparaître, quel jutard[20], au fond d’un verre de champagne, dans notre avion pour New York ! Un Saint-Martinois au look rasta s’est approché de la terrasse en surplomb d’un étage en bordure de laquelle Vanessa et moi bullions. Ni une ni deux, l’homme, de derrière la rambarde, en contrebas, nous a déclaré en se tournant tour à tour vers moi et Tifim : « Toi tu as quarante-cinq ans, toi tu vas faire trente-six ans[21] ». C’était exactement ça, et Vanessa « allait faire » trente-six ans, effectivement, trois semaines plus tard. Le devin a débité quelques mots de plus et a tourné les talons.
L’Allemagne, où ça avait commencé très fort, mais à la fin : dehors !
Voyages, voyages... J’ai découvert, petit à petit, le monde de l’au-delà... des frontières euskadiennes et françaises. Enfant, en famille avec mes parents, ma sœur et mon frère, j’ai à peine un peu franchi celles de la France une seule fois. À l’occasion d’une rapide excursion dans l’île anglaise de Jersey, depuis la Normandie où nous avions campé deux semaines, en août... sous la pluie ! Dans un champ devant chez la maman de Marcel, qui habitait en face de chez nous, à Baiona, avec sa femme Annie et ses deux enfants Florence et Pierre. Mon tour du monde a toutefois véritablement débuté de l’autre côté du Rhin. J’avais choisi l’allemand comme première langue, en classe de Sixième, car il prenait à si peu de gamins du terroir l’envie saugrenue d’opter pour cette langue que j’étais certain de me retrouver avec mes deux meilleurs amis, mon ami-fréro Marco et Pierrot, le Pierre introduit ci-dessus. Tout ça pour me fâcher avec eux six mois après, pour de longues années... le jour de notre profession de foi ! Sur le terrain de foot du collège Saint-Bernard, à Baiona. Ils se sont énervés parce que je les avais embêtés, et que j’étais tout le temps en train de les embêter, ceci, cela.
Les Bayonno-Angloy en folie à Ansbach – cité bavaroise avec laquelle Angelu, non pas mon gai loulou (mon angelou) mais la voisine de Baiona, est jumelée –, vers 1986, avec Nadine, Karine, Stéphane, entre autres, et... surtout... ma clé Laure, fut le séjour en Allemagne le plus fou. Ce qui l’est aussi, c’est que j’ai rajouté la belle danqu tipasse[22] : elle n’était pas repassée par mes pensées jusque-là, alors qu’elle est une de mes toutpies belles histoires d’amour. Et tout me revient d’un coup... Mais petit calcul au passage : à l’âge que j’avais à l’époque j’étais encore puceau. Nous n’avons donc pas crac-craqué... Comment est-ce possible ?... Qu’est-ce que j’ai tardé. Si je la retrouve... Bref. Je logeais, à Ansbach, chez mon correspondant, Johann, ses parents et ses trois sœurs. Sa mère était grecque et son père turc ! Pas banal, et je trouve délicieux d’avoir eu ça dans ma vie aussi, ce couple symbole de paix face à l’hydre de la haine et de la guerre, quand on sait l’inimitié historique entre Grèce et Turquie. (Ouh là, là, la transition... Car j’ai ajouté cette dernière phrase danupag[23], redécouvrant alors la suivante...) Il y a eu les racistes revendiqués, dans ma vie, Johann a été mon machiste : « Les hommes et les femmes ça sera toujours ça » m’a-t-il un jour déclaré, positionnant l’index d’une main légèrement au-dessus de celui de l’autre pour illustrer la supériorité des premiers sur les deuxièmes, dans ma chabadaka[24], à Baiona, lors de son séjour chez moi l’année suivante. Mais qu’est-ce qu’il était beau et sexy ! Il me faisait des massages, en plus ! Mais alors plus machos, donc, et hétéro que lui... Quoi que, comme si ça voulait dire quoi que ce soit... Avec Johann et mon groupe d’Angelu et des environs, j’aurais dû voir Berlin. Mais Johann s’est trompé dans l’heure du bus, et nous l’avons loupé. J’étais dépité. Alors, pour me consoler, il m’a emmené voir... des putes à Nuremberg. Faute de Mur de la honte, j’ai observé celui d’un alignement d’immeubles de la vieille ville sur le rebord des fenêtres desquelles les péripatéticiennes exhibaient leurs gros nichons.
Le troisième été, après Xabi à Ansbach et Johann à Baiona, la famille turco-gréco-allemande m’a invité en Grèce. Je me suis ainsi embarqué pour un fantayage[25] avec Johann, ses parents et ses trois sœurs, uuuultra sympas et drôles, dont la plus âgée, qui imitait le Français parlant français, alors qu’elle n’en connaissait pas un traître mot. Elle adoptait le ton monocorde, atonal, propre à cette langue, dans une espèce de bougonnement : c’était à mourir de rire. J’ai été la star de fiançailles, dans un village, en Grèce, au sein de la famille de la maman de Johann, dont les convives se sont régalés à m’apprendre leurs danses. Mais j’ai bu tellement de bière que j’ai pissé dans mon matelas du camping-car des parents de Johann dans lequel nous dormions. Je me souviens n’avoir d’abord rien osé en dire, car le père de Johann, une barrique moustachue adorable mais quand-même pas très commode, qui n’avait pas apprécié que je picolasse autant, m’avait déjà passé un savon. Ai-je vraiment dormi, les nuits suivantes, dans les mêmes draps ? Peut-être pas, quand-même. J’avais dû finir par m’en confier à l’adorable maman... Quand j’y pense, quel trésor elle aussi...
À Athènes, c’est du liquide des yeux, dont j’ai dû user, pour qu’on emmenât au Parthénon. Nous nous déplacions, d’une localité à l’autre, rendant visite à tous-toutes les pochimis-mies de la famille de Johann. J’étais conscient de l’immense privilège de vivre ainsi au plus près des Grecs-Grecques, mais parfois les repas s’éternisaient, et je ne voyais jamais arriver l’heure à laquelle nous allions enfin sortir. C’est ce qui s’est produit, le jour où la visite de l’Acropole et du Parthénon était prévue. Évidemment, j’attendais ça comme un damné. Alors j’ai fini par craquer, et enfin nous y sommes allés-lées, mais non cette fois encore sans m’être attiré quelques réprimandes du papa pour avoir pleuré ! Tant pis, il était hors de question que je loupasse ça ! Mais ce jusqu’à quoi nous ne sommes jamais parvenus-nues (ni habillés-yées), à force de trainailler, c’est la Turquie ! Qui m’avait été promise aussi ! Quelle déception encore ! Pire que Berlin ! En termes de loupés justement, en quatre ans d’OkBern à Berlin – la moitié B est magyaro-germanique –, je n’ai jamais trouvé l’occasion de leur y rendre visite. De la part de son nomade préféré, Okis en fut fort désappointé. J’avoue que je me demande, moi-même, comment je me suis débrouillé. Angelu : « Allons, mon Xabi, depuis quand c’est toi qui décides ? » Va-t’en expliquer ça à mon ami, le plus matérialiste qui soit, absolument insensible à la magie de la vie ! Gag. Non mais sérieusement, même s’il est mon homme des synchronicités... un joli paradoxe d’ailleurs, parce que c’en est plutôt un de la trempe d’un Stef et d’un Kiki. Mais très à l’écoute, intrigué et amusé par mes histoires, et j’adoooooore parler de ça, comme de tout d’ailleurs, avec lui (entre autre chteuneus-neues[26]). Alors qu’avec Stef et Kiki... Viouviouviou !!![27]
Mon premier correspondant allemand était une correspondante : Silke[28]. Mon toutpi voyage à l’étranger, en Allemagne donc, en 1985 ou 6, c’était chez elle, près de Detmold, dans le nord de l’Allemagne. J’en garde un souvenir impérissable également et, surtout, celui de ma rencontre avec Nathalie ! D’Euskadi elle aussi. Nous avons un peu flirté. Toujours sans coucher. Car c’est bien ça, la toutpif [29] c’était à dix-neuf ans. Avec Monica, une Mexicaine que j’ai connue, à Baiona, au lycée je crois, là je n’attendais vraiment que ça. On a dormi ensemble. À Saint-Gaudens, près de Toulouse, chez Christophe le coq[30] d’un autre amour d’adolescence (à sens unique), Isabelle[31]. Mais pas touche. Car pour la grosse catho bourgeoise mexicaine[32], davantage c’était exclu... avant le mariage ! Cette fin de non-recevoir dans un lit chez Krikri : un roti[33] d’exaspération et de frustration. Retour à Detmold avec Nathalie. Sa correspondante avait une salle de jeu-discothèque chez elle en sous-sol. On s’est bien éclaté-tée. Mais c’est à Baiona, pendant les fêtes, qu’on s’est... bécoté-tée. Puis nous sommes devenus ami-mie pour la vie.
Échangisme... euh... échange oblige, à Xabi chez Silke a succédé, l’été suivant, Silke chez Xabi. Et avec elle ? Même pas un petit touche-pipi ? Bon, ça suffit. Mon troisième séjour en Allemagne a eu lieu, l’été 1987 (mais tous ces séjours en Teutonie se bousculent un peu, alors les dates exactes... au diable le temps... qui n’existe pas...), avec le groupe de danseurs-seuses basques de Bardotze, et le quatrième à Cologne, en 1991, où j’ai passé un trimestre, dans le cadre du programme Erasmus de l’Union européenne, quand j’étais étudiant à Toulouse. Enfin, cinquième et dernier séjour dans ce pays avant très, très longtemps : j’ai encadré, en 1992 donc je présume à peu près, avec deux autres accompagnatrices de mon âge, un groupe d’adolescents-centes d’un séjour linguistique. Le périple a débuté en Allemagne, dans une ville à proximité de Cologne où j’étais basé, avec mes deux collègues, chez la responsable allemande du programme. Tout se passait à merveille entre les trois jeunes adultes encadrant-drantes que nous étions, les gamins-mines, notre chauffeur et notre famille d’accueil. Jusqu’à une sortie en discothèque un samedi soir avec le fils et la fille de la famille en question et les deux Françaises. Je ne suis pas rentré avec elleux. D’autres gens avec lesquels on avait passé la soirée m’ont ramené, au petit matin. De retour à la maison, je suis allé me coucher, sans un bruit.
Vers onze heures du matin, la maîtresse de maison a débarqué dans ma chambre en vociférant qu’il était inadmissible que je ne sois pas rentré avec son fils, que mon comportement était intolérable, et que je n’étais pas à l’hôtel ! Mais si je n’étais peut-être pas irréprochable, malgré l’amabilité et la serviabilité dont je m’étais efforcé de faire preuve, pendant tout le séjour – car, non, je ne suis pas un malotru –, je pense que Madame en avait surtout profité pour défouler ses nerfs éprouvés par un mari complètement siphonné qui ne parlait pas quand il s’exprimait mais gueulait. Elle m’a mis dehors, sur le champ, avec armes et bagages. Je suis allé retrouver, en pleurs, l’adorable chauffeur du bus qui stationnait non loin de là, et qui m’a réconforté. Deux autres de ces médiocres et heureusement pas trop nombreuses personnes auxquelles j’ai eu à faire dans ma vie : les deux accompagnatrices, qui n’ont pas moufté, et n’ont pas eu le moindre mot de soutien pour moi. Parce que je ne les avais pas ne serait-ce qu’un tantinet draguouillées ? Peut-être aussi. Les femmes... C’est présomptueux, et macho, mais certainement pas totalement faux.
La responsable, en me chassant de chez elle, m’a interdit de toute sortie avec le groupe d’ados, pendant le reste du séjour en Allemagne qui, fort heureusement, se terminait trois jours plus tard. J’ai ainsi été privé de visite du Parlement de Bonn. Après deux semaines dans ce pays, désormais à mes yeux maudit, et tellement loin du genre d’univers que je chéris, le voyage se terminait par une semaine en Autriche. Et, autre chance dans mon malheur, ma punition s’est transformée en une occasion inespérée de retrouvailles avec mes Freunden und Freundinnen[34] de mon précédent séjour à Cologne, où je me suis rendu en attendant de réintégrer le groupe à notre départ pour l’Autriche. La preuve d’un karma pas trop dégueu. La Teutonne, quant à elle, n’a pas trop dû arranger le sien. Je l’ai avisée, en prenant congé d’elle avant de monter dans le bus, que j’avais été, pour ce job, recommandé par... mon beauf ! Marc, qui était alors employé de la société de bus Larronde, m’avait eu le tuyau. J’ai donc prié mon ex-éphémère cheffe (des Teuconnes) de ne pas aller jusqu’à se plaindre auprès des responsables, en France, de l’organisation du séjour. Que ça ne « lui attire pas d’ennuis », lui ai-je dit. « Je ne veux attirer d’ennuis à personne », m’a-t-elle répondu. Connasse.
NY1 & NY2 : un rêve éveillé. NY3 : une bague dans mon champagne, dans l’avion, dont je ne savais pas qu’il N’Y... euh... M’Y ramenait…
Quel nutard[35], dans une tout autre dimension, mes deux séjours à New York furent une expérience si fabuleuse que j’ai l’impression de l’avoir rêvée. Enfant, j’étais un dessinateur acharné de gratte-ciels, de la Tour Eiffel, de maisons... J’adOOOre les « maisons neuves ». Pas étonnant, donc, puisque j’en suis une (concon !... l’étymologie de mon prénom). J’ai particulièrement été gâté, dans le Kerala, dont les habitants-tantes partent en très grand nombre travailler dans les pays du Golfe, se livrant à une compétition permanente à qui construira la plus belle demeure avec l’argent gagné là-bas. À New York, le kif est d’abord visuel. Dans le haut du tableau de la « Skyline »[36] de la mégapole, j’ai tout particulièrement chéri le Chrysler Building, le gratte-ciel-cathédrale du Woolworth, l’Empire Stata[37] Building, et les majestueuses Tours jumelles du World Trade Center… qui vivaient leur dernière décennie. Je les ai donc quittées, en 1991, année de mon deuxième séjour, dix ans pile avant leur pulvérisation. Cudupac[38], j’avais systématiquement emmené tous-toutes mes pochimis-mies[39] venus-nues d’outre-Atlantique me rendre visite admirer, depuis leur sommet, l’incroyable panorama. Ces deux dernières et leurs 110 étages culminaient à 411 mètres. Elles ont détenu le record du gratte-ciel le plus haut du monde pendant une vingtaine d’années, avant de finir à (ground) zéro. Elles auraient peut-être fait se marrer la Burj Dubaï, avec ses 800 mètres, si elles n’étaient en train de manger les pissenlits par la racine, après avoir tutoyé les étoiles elles aussi, bien que depuis deux fois moins haut. Mais elles auraient pu leur rabattre le caquet en se vantant de ce qu’elles, au moins, n’avaient pas été construites par des esclaves. Aucune forêt de gratte-ciels au monde n’arrive, en densité et en féérie, à la cheville de celle de New York. Autres incontournables, pour contempler Manhattan : les ferries jusqu’à la Statue de la Liberté, jusqu’à Staten Island et, zeu must of zeu must, tout autour de l’île.
Mais allais-je oublier l’éblouissant Chrysler Building, son toit et sa flèche d’argent culminant à plus de trois cent mètres, le chouchou des New-Yorkais-kaises ? Et le splendide Rockefeller Center, de style Art déco comme le premier ? Bien que moins majestueux, mais impressionnant avec son complexe d’une multitude de buildings, et comptant parmi ces éléments du paysage architectural de la ville sans lesquels New York ne serait pas New York. Tant d’autres encore... La « Trump Tower » de verre et d’acier, très emblématique aussi, avec ses façades noires entièrement vitrées et sa « structure de vingt-huit faces en accordéon », m’a toujours intrigué... Du moins ce nom, « Trump », d’un milliardaire dont on « sentait », à en entendre parler, de temps en temps, que la ville bruissait... Mais les énergies du désastre de l’accession par son propriétaire un quart de siècle plus tard à la présidence du pays flottaient-elles déjà aussi ? Et il avait poussé tant d’autres gratte-ciels, vingt-cinq ans après, quand je suis retourné à New York avec Manno !
Je ne savais pas, quand j’ai pris l’avion avec lui, qu’il m’y amenait. Il a tout manigancé pour que je ne me doutasse pas, lorsque nous avons embarqué, à l’aéroport de Juliana, à quelques encablures du front de mer de Philipsburg, de la destination. Et, dans l’avion... il m’a offert ma bague ! Il a un peu été déçu, quand je l’ai découverte dans la coupe de champagne que l’hôtesse de l’air, qu’il avait mise dans le coup, m’a servie, par une réaction qu’il attendait plus enthousiaste. Mais c’était juste un de ces moments, comme si souvent malheureusement, où je ne me sentais physiquement pas bien du tout, incommodé que j’étais, et inondé, jusque dans ma tête, des toxines de mon microbiote tchernobidien. Cela n’a toutefois rien enlevé à la beauté du stratagème et de cette surprise brillamment concoctée, qui reste un si merveilleux souvenir. À en pleurer d’émotion, quand je me le remémore.
Les terres étasuniennes en vue, depuis l’avion, j’ai cru que nous approchions des Everglades, en Louisiane… Car nous étions aussi déjà allés à Miami. J’étais loin du compte ! Puis j’ai enfin réalisé, avec ravissement... à la vusum[40], depuis le ciel, de la fameuse Skyline !... que Manno m’emmenait dans la mégapole, où nous nous étions promis que nous retournerions un jour ensemble. Il la connaissait déjà lui aussi. Sur le toit de l’hôtel Pennsylvania où nous logions, un soir, nous avons (doublement) joui du spectacle des gratte-ciels illuminés qui nous entouraient, parmi lesquels l’Empire State Building, élément le plus grandiose du décor à couper le souffle dont nous nous sommes extasiés, depuis cet emplacement de choix. Le point de vue depuis son 102ème étage est un autre must absolu ! Et un coucher de soleil sur Manhattan admiré de là-haut un roti de fantacle[41]. Nous avions atteint le sommet du Pennsylvania, à un tiers, dans ces eaux-là, de la hauteur du Géant, via un escalier de service, au dernier étage, qui se terminait par des marches métalliques assez raides et étroites, entre de gros tuyaux, ce qui a un peu fait hésiter mon Manno, téméraire mais pas trop. Le plaisir fut même triple pour moi, mon ex-champion de France des barmans junior (titre qu’il a décroché, à Lyon, au cours de son BTS d’hôtellerie effectué en Gwadloup) ayant prévu, comme dans tant d’autres de nos escapades, de quoi me concocter un délicieux cocktail ! Lui s’est contenté d’un Coca. Jamais d’alcool pour Monsieur. Une différence entre nous qui n’a pas tout à fait été pour rien dans quelques hoquets de notre relation. Tiii-là-là, tsoin-tsoin.
J’ai vécu, à l’occasion de ce grand retour à New York, une expérience complètement dingue. Je n’ai jamais pu retrouver le Dew Drop Inn, le restaurant où j’ai travaillé six mois entre 1989 et 1990 et trois mois en 1991, qui n’existait évidemment plus. Mais surtout, impossible de déterminer avec certitude où, exactement, dans Greenwhich Village, il se trouvait à l’époque ! De la quatorzième rue entre la cinquième et la sixième avenue du foyer Z’y Va l’Algérie où j’ai logé au tout début de mon premier séjour, fin 1989, à la treizième rue entre la sixième et la septième avenue où était situé l’appartement de Mary-Jo, une collègue du Dew Drop Inn, que j’ai ensuite partagé avec elle, jusqu’au fameux restaurant quelques centaines de mètres plus loin : c’est tout ce périmètre que je connaissais comme ma poche qui avait basculé dans je ne sais quelle dimension ! Il m’a semblé repérer l’emplacement de Z’y Va l’Algérie et, à peu près, celui de la maison de ville de Mary-Jo, mais concernant le restaurant, je n’ai quasiment rien reconnu. C’était pour celui-ci, il est vrai, plus difficile, car je n’avais gardé qu’un souvenir visuel, et ne me souvenais pas du nom des deux rues à l’angle desquelles il se trouvait. Greenwich Village et quelques autres secteurs de Manhattan sont un dédale de rues, comme les villes européennes, à la différence du quadrillage au moyen de rues et d’avenues rectilignes numérotées du reste de l’île. Vingt-cinq ans plus tard, la ville, certes, était méconnaissable. Mais je ne m’attendais vraiment pas… à cette espèce de trou noir. Je suis entré dans un restaurant, afin de tenter d’y d’obtenir quelques renseignements, mais sans y croire une seconde. Il m’aurait fallu des vieux de la veille : comme si ç’eut été du domaine du possible, dans la restauration, à New York !
Il faudra que j’y retourne seul, un jour, et que je prenne tout le temps nécessaire pour mener mon enquête, car Manno a un peu commencé à s’impatienter, au bout d’un moment, et nous avons alors tracé jusqu’à la pointe sud de l’île, à mes yeux la partie la plus magique. Celle des plus hauts gratte-ciels : les Twins, le Woolworth, et tous ceux du Financial District et de Wall Street, le toutpi quartier de la ville, délimité par la rue du siège de la Bourse de New York, la « rue du Mur ». L’étonnante Trinity Church y est désormais coincée entre ses géants voisins. Magie encore, magie toujours, le pont de Brooklyn, et la vue sur la Skyline qui se déploie, en arrière-plan, quand on s’y avance... Mais nous avons trouvé le moyen d’un peu gâcher, à cause de l’une de nos pitoyables disputes, ce moment de notre descente à pied des grandes avenues, via China Town, jusqu’à ce mirifique quartier, et de notre arrivée dans ce fantaco[42] où nous sommes tout d’abord passés devant les colosses architecturaux néo-classiques de la Cour suprême des États-Unis. Alors qu’il aurait dû être un record, si ce n’est absolu, de nos plus fabuleux moments tous les deux, car ce secteur de la pointe de Manhattan, avec son pont de Brooklyn, constituent à mes yeux le décor urbain le plus sensationnel et envoûtant imaginable. C’est mon plus grand bonheur avec Manno : nous extasier ensemble sur les lieux que nous découvrons et tout commenter gaiement.
Et que dire... de Ground Zero[43] ? Nous avons redécouvert, fascinés, toute la zone détruite, trois ans plus tôt, par les kamikazes d’Al Qaïda, où les Twins, mes Twins chéries, l’élément phare[44] du décor que rien ne remplacera jamais, en avaient donc été effacées, et où la Liberty Tower et le Mémorial du 11-septembre étaient en cours de construction. Mais ma mie[45] s’y est mise. Comme la bague du château dans « Les Visiteurs » quand celle portée par Godefroy de Montmirail s’approche trop près et que les deux « exemplaires » de celle-ci se mettent à grésiller et à flamber pour finalement fuser, se percuter et exploser dans le ciel, quand j’ai ainsi rejoint l’épicentre du scénario d’introduction de Mon Dieu, Mon Bouddha et Patata, j’ai été pris d’un besoin comme jamais à l’extérieur... Que j’ai dû assouvir dans les toilettes d’un restaurant, larguant ce qui a provoqué cette réaction d’un homme, quand il a voulu pénétrer, après moi, sur ce nouveau théâtre de l’apocalypse : ressorti aussi sec, il s’est écrié “what happened???!!!”, « qu’est-ce qui s’est passé ???!!! » Je n’avais tout de même pas badigeonné les murs, mais c’était plutôt, disons... le parfum que j’avais laissé... Autant dire que je n’ai pas demandé mon reste et que j’ai filé vers la sortie, pendant que j’entendais Manno répondre deux mots à ce pauvre garçon... auprès duquel il n’aurait plus manqué que je m’excusasse ! Mon Dieu ! Mon Bouddha !
Depuis la Pomme, nous avons loué une voiture et pris la route pour Montréal. Nous sommes passés par un des Zombilands de la périphérie de New York, où les pauvres sont plus que jamais concentrés, depuis que la ville en a été nettoyée par son ancien maire républicain, Rudolph Giualini (un proche de l’abominable futur président susnommé). Véritables bantoustans de l’apartheid étasunien : la vision en était si effrayante que j’ai immédiatement verrouillé, lorsque nous nous sommes arrêtés à un feu, les portières du véhicule. Nous sommes parvenus, après environ cinq heures de route, à destination. À Montréal, nous avons vu Lourdes. Après ma frayeur de Ground Zero, la Vierge Marie, en effet, a eu pitié de moi, et a fait apparaître une petite Lourdes et sa mini-grotte, dans Montréal, le temps de me ressourcer. En vrai : Lourdes est la belle-sœur de Manno. Elle a vécu, en Haïti, avec Niko son mari, le frère aîné et adoré de Manno malheureusement décédé. Il était très émouvant de la rencontrer, sachant ce qu’elle et Niko représentent pour lui. La joie et le bonheur de ce passage par chez elle ont par ailleurs été ceux d’y faire la connaissance de ses deux garçons, Nick et Loulou[46].
Nous avons emmené Loulou se promener avec nous jusqu’à un parc sur les hauteurs de Montréal, où nous avons régalé nos mirettes de la vue sur la ville et de la vision des ratons-laveurs qui y pullulent. Lourdes n’habite pas dans une petite Lourdes mais dans un petit Haïti. Mais alors où diable sommes-nous ici ? À Montréal ? À Lourdes ? En Haïti ? On ne sait plus, on est perdu. Encore une fastopelle[47]. J’adore. Mais le quartier haïtien de Montréal ne s’appelle pas « Petit Haïti », “Little Haiti”, comme à Miami. Il ne s’appelle pas. Parce qu’il n’est pas aussi grand que celui de Miami, où il ne s’appelle cependant pas non plus « Grand Haïti », “Big Haiti”, mais bien “Little Haiti”. Inoubliable moment, quoi qu’il en soit, que notre rapide plongée dans un des univers de la diaspora du pays de mon chéri où nous avons déjeuné d’un délicieux met de poulet et diri ak djon djon, un riz noir comme ses préparateurs-teures mais, surtout, comme le champignon utilisé pour sa cuisson. Après Montréal, nous avons poursuivi en direction de la ville de Québec, où nous avons déambulé, dans le centre historique, autour de ses fortifications et de son immense citadelle, sur les hauteurs du Cap Diamant surplombant le gigantesque fleuve Saint-Laurent. Un peu à l’extérieur de la ville, sur une promenade en bordure de pentes herbeuses et arborées avec vusum là aussi sur le fleuve, c’est une compagnie de marmottes qui nous ont offert le show animalier du moment, puis nous sommes allés admirer, à une petite heure de route, les chutes de Montmorency.
- {Gapachou 10 : [C] Chabadaka = Chambre du bas de l’Arrantzako Borda ; Chamou = Chapitre de Modoupa ; Chteuneus-neues = Chers-chères et tendres ; Coq = Compagnon de l’époque ; Cudupac = Clou du spectacle [D] Danqu tipasse = Dans un quasi ultime repassage ; Danupag = Dans un repassage [F] Fantacle = Fantastique spectacle ; Fantaco = fantastique décor ; Fantayage = Fantastique voyage ; Fiser : Féminiser [G] Gapachou = diminutif de Gamou-pa-fraichou (Glossaire modoupaïen-français de/du chamou) [J] Japu = Je ne sais plus [M] Mie = Maladie ; Modou = Mot de modoupaïen ; Modoupa = Mon Dieu, Mon Bouddha et Patata ; Mongol ! = Mais non, je rigole ! [N] Nobapa = Note de bas de page ; Nudanlac = Numéro de la nobapa quand je l’ai créée [Q] Qudjat = Quand j’ai écrit ça ; Quel jutard = Quelques jours plus tard [P] Piner = Péripapéticienner ; Pochimis-mies = Proches et amis-mies [Q] Quel nutard = Quelques années plus tard [R] Roti = Record de toute ma vie [T] Toutpie = Toute première ; Toutpif = Toute première fois [U] Usine = Une de mes antiennes [V] Vature = Vie antérieure ; Vilin = Voir plus loin ; Viouviouviou = Vioute-vioute-vioute (triplement vilaine boutade) ; Vusum = Vue sublime}
- ↑ « Méharitsé » : Biarritz
- ↑ « Pantchoa éta ni » : François et moi, dans un moment très spécial passé tous les deux, mais en tout bien tout honneur.
- ↑ « Donochtia » (« chti » pour les intimes, et la rime) : Saint-Sébastien
- ↑ Vie antérieure
- ↑ Marie-Galante
- ↑ Philippe dit « Fifoune », mais si j’ai envie je fais fi du fi, le fise* et me l’approprie (*féminise).
- ↑ « Imannchou »
- ↑ Imran Khan. Pour le découvrir : youtube.com/watch?v=TwFLoGnO04Q
- ↑ Toute première
- ↑ Voir plus loin
- ↑ De tels bonds dans l’espace, il n’y a que dans Modoupa : ce n’est pas le Hully Gully mais le Grand-Huit ! Non, plus fort encore : le Booster ! J’ai goûté à ça aux fêtes de Bayonne : des sensations à se désintégrer. Et quelle vue sur Baiona, ses ibaiak*, les montagnes et la mer au loin, à quarante mètres de haut, depuis la nacelle au bout de son immense bras ! Quand elle s’arrêtait, surtout, pour pouvoir tout bien contempler. J’ai pu honorer ce rendez-vous à la banque en vue de l’achat d’un appartement à Baiona « grâce » à Yoyo, qui a annulé le déjeuner prévu chez elle le même jour (je m’apprêtais à reporter la banque). Tout comme sa non-réponse au téléphone un jour où je l’ai appelé depuis la Gwadloup m’a permis de m’engager à temps pour l’appartement en question. Non pas qu’il soit dans l’habitude de ma Yoye de poser des lapins à son Renard, car elle connaît, de toute façon, ma préférence pour les poules et les poulets. (*« Ibaïak » : fleuves)
- ↑ Fêtes de Bayonne
- ↑ Quand j’ai écrit ça.
- ↑ Une de mes antiennes
- ↑ « Anguélou »
- ↑ Ma fille : « tifi’m » en créole haïtien ; « tifi an mwen » en créole guadeloupéen
- ↑ « É mwin » : et moi, en créole haïtien. « Épi mwen » (« épi mwin ») ou « évé mwen » (« évé mwin ») en créole guadeloupéen.
- ↑ Hors bronzage évidemment !
- ↑ Je ne sais plus.
- ↑ Quelques jours plus tard
- ↑ À Tifim dans son Canada j’ai demandé par SMS de me... rappeler son âge. Vaine indélicatesse, elle ne m’a pas répondu. Je ne suis donc non seulement pas davantage capable, à la différence de l’augure, de deviner l’âge de ma propre fille, fût-elle adoptive, que de qui que ce soit d’autre (quoique si, des fois, car ça n’est certes pas si compliqué...), mais également tout simplement de m’en souvenir. J’en précise donc un ici un peu au pif, toujours est-il que le voyant avait donné le bon, et avec un peu de chance celui-là est exact, sinon c’est dans ces eaux-là.
- ↑ Dans un quasi ultime repassage
- ↑ Dans un repassage
- ↑ Chambre du bas de l’Arrantzako Borda
- ↑ Fantastique voyage
- ↑ Chers-chères et tendres
- ↑ Vioute*-vioute-vioute !!! Ils SONT, d’autres chteuneus. Je relis ça, danu tipasse, et c’est drôle parce qu’Okis m’avait fait le mettre dans le même sac que Stef et Kiki, alors que je ne l’y avais à l’origine en réalité pas vraiment mis, pour l’en retirer de nouveau, du moins à moitié, et ici je l’y mets, sans vraiment l’y mettre... Et quel... « sac »... de toute façon ???!!! (*Vilaine boutade)
- ↑ « Zilke »
- ↑ Toute première fois
- ↑ Compagnon de l'époque
- ↑ Assistance demandée à ma copine des années quatre-vingt pour « retrouver » Chris-coq : « Redis-moi, je te prie, le prénom de ton copain de quand je venais à Toulouse qui habitait Saint-Gaudens. » Isa : « Sorry, mais je ne vois pas du tout de qui tu veux parler. Ça doit être l’âge, la mémoire me fait défaut... Si tu as une anecdote pour me rappeler des souvenirs je suis preneuse. » Moi : « Après ton message... j’ai trouvé le prénom en question !!! Mais je ne te le dirai pas ! Nananèèère ! Et j’“hallucine” un peu, si je puis dire, que tu me dises... que tu ne te souviens pas de ce garçon !!! Car ce n’était pas une de tes milliards de passades de la chaude lapine que tu es...... Viouviouviou !!! C'est du “modoupaïen” : ça veut dire “vilaine boutade” X 3. On dit aussi : “mongol” (mais non, je rigole). En tout cas non, ça n’était vraiment pas une passade, mais une longue histoire d’amour ! Quand j’étais moi-même amoureux de toi ! Ta mémoire a aussi zappé ça ??? Des anecdotes tu vas en avoir......... bientôt........... Et là, mystère aussi, car......... qui vivra verra ! (C’est en rapport avec ladite langue.) [...] J'ai hâte que l’occasion de nos retrouvailles ainsi qu’avec notre vieil, vieil, vieil ami devenu ton chéri se présente. » Isa : « Quand je te lis j’ai la sensation de retourner 35 ans en arrière avec tes délires oraux et rédactionnels… J’ai d’ailleurs gardé quelques petits papiers dans mes coffres… et sous la torture ça peut valoir de l’or. [Euh... c’est soit je la torture, soit je paye, non ?] Si tu confonds Saint-Gaudens et Frouzins, je situe ma vie amoureuse… Sinon j’aurai peut-être bientôt besoin qu’un gentil monsieur en blouse blanche s’occupe de moi... Je serai sur Baiona en fin d’année. Je sais que Marc est aussi par là. Donc à l’occasion, si tu gravites dans le coin, on peut se faire un “remake”, ou un “revival”, au choix… En attendant, crache ta pastille Valda sur mon ex… »
- ↑ Jolie comme tout mais une catho assez menue en réalité, y compris les nénés : à Nuremberg elle aurait été mal barrée. Mais piner* ça n’était donc n’importe comment pas sa tasse de thé. (*Péripapéticienner)
- ↑ Record de toute ma vie
- ↑ « Froynndeun ount froynndineun » : amis et amies
- ↑ Quelques années plus tard
- ↑ Sky Line (« Skaï Laïne ») : ça veut dire « ligne en skaï ». Only in New York (« onnli inn niou york » : exclusivité new-yorkaise). C’est très beau. Mongol. Ce terme, dont l’acception peut-être « ligne d’horizon », n’est pas vraiment traduisible ici : il désigne la « silhouette » de Manhattan formée par les gratte-ciels qui se découpent dans le ciel.
- ↑ Star d’entre les Stars
- ↑ Clou du spectacle
- ↑ Proches et amis-mies
- ↑ Vue sublime
- ↑ Fantastique spectacle
- ↑ Fantastique décor
- ↑ « Graound Ziro » : zone « zéro », point de départ des « hostilités »...
- ↑ J’aperçois un énorme nuage en forme de champignon nucléaire à l’horizon, quand je lève les yeux, sur ces mots...
- ↑ Maladie
- ↑ Un 69 et un 39 ici, dans mon brouillon : le numéro renvoyant à mon fichier « Notes », ainsi que le nudanlac*. Mon 69 et ce chira-top chira : l’atmosphère s’adoucit en effet tout d’un coup avec Lourdes, Nick et Loulou. (*Numéro de la nobapa** quand je l’ai créée.) [**Note de bas de page]
- ↑ Faille spatio-temporelle