Chapitre 29 – Xabi et Manno en Gwadloup

De Xavier Renard
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Les tourtereaux et leurs oiseaux

En tant que compagnon de monocoque-alu[1], et largement servi par la nature en sussés[2], je veux bien me battre pour elle et contribuer à la diminution des émissions de gaz à effet de serre, mais pas en ajoutant de l’eau dans le gaz de ma relation avec ledit engin. À l’instant où ces mots sont passés dans ma tête (en français dans le texte à l’origine), sur ma terrasse, un gligli a surgi. C’est notre oiseau. C’est le nom, en Haïti, m’a dit Manno, du faucon crécerelle. Il y a plein d’oiseaux entre nous. Manno m’a récemment dit au téléphone avoir observé une grande aigrette. Je lui avais dit à propos de cette autre espèce, la veille, que j’en apercevais un spécimen, duququ, dans des étangs marécageux en bordure de la route de la Riviera, entre Gozyé et sa commune limitrophe septentrionale de Sentann[3], à chaque fois que je passais par là, mais qu’à part ça je le trouvais bien rare. Les petites sont foison. De la grande, le caillou qu’est Saint-Martin en comparaison avec la Gwaloup en est farci. Deux semaines après avoir écrit ça, la première fois après la conne que Manno est retourné à Saint-Martin, pendant que sur ma terrasse je parlais au téléphone avec lui, un gligli est passé à deux mètres au-dessus de ma tête, offrant comme rarement, dans une fantavionne, sa magnifique silhouette et le sublime plumage crème et rayé de noir de son ventre et de ses ailes à ma vue.

Les pélicans ne sont pas non plus le moindre des plaisirs visuels offerts par le Papillon. J’habite la commune des « grands gosiers » : la baie de Gosyé est en effet de loin celle où ils sont présents en plus grand nombre. Et j’y ai assisté à tous les plus fabuleux spectacles d’oiseaux-roquettes, celui de ces énormes volatiles quand ils pêchent et exécutent plongeon après plongeon dans l’eau, s’élevant dans les airs à des dizaines de mètres de haut et opérant alors une volte-face, repliant leurs ailes de deux à trois mètres d’envergure le long de leur corps et se laissant retomber pour attraper, dans leur immense bec, les poissons. Entendu à la télé (mais pas qudjat, ala jacta, juquri, puparita, apata ou upululu jacta) : le vol du faucon en piqué peut atteindre 300 km/h !!! Bien que spectaculaire, chez le pélican également, celui-ci en est tout de même loin. L’escadron de pélicans le plus impressionnant que j’ai observé à ce jour a compté une cinquantaine de spécimens. « Coucou l’amoureux des oiseaux » : ainsi commençait un cul reçu le jour où je me suis attelé à ma nochiée sur ma première lecture du livre Ce que les oiseaux ont à nous dire, de Grégoire Loïs, que Josette m’avait offert. « Je connais l’oiseau », avait-elle dit à l’auteur du cul en question peu avant, chez elle, juste avant mon relou. Elle connaît, aussi, ma passion desdits. À la fin d’une session de lecture de son joli livre plein de moineaux, étourneaux et autres bébêtes qui font cuicui, alors que je m’apprêtais à l’interrompre, je me suis trouvé à le laisser, dans la dernière phrase, avec l’« alouette des champs » : les deux mots du nom de la rue de Joseta.

Quelques centaines de soleils guadeloupéens plus tard[4], pour mes cinquante-et-un ans, Josette m’a envoyé trois bouquins, aucun sur les oiseaux, mais tout droit venus de la librairie « Les Oiseaux Rares ». J’ai laissé le papier-cadeau bleu qui les avait enveloppés traîner, quelques temps, sur mon bureau. Puis je l’ai glissé sous le Livre d’Or d’Ama de mon PACS 40 que j’avais sorti de son casier de rangement, pour finir d’en recopier les bidous dans mon manu, et que j’avais posé sur la desserte, côté terrasse, du bout de la banatalite de mon bur-U[5]. J’ai transféré le papier bleu avec son étiquette « Les Oiseaux Rares » de sous le Livre d’Or d’Ama à mon pupitre en bois, à gauche de mon PC, dans la perspective d’évoquer, quand je retrouverais le passage, ci-dessus, avec Josette, les oiseaux de son bouquin et de sa rue, et son oiseau Xabi. Les oiseaux du papier-cadeau ont donc progressivement cheminé, pendant quinze jours, d’un bout de la banatalite de mon bur-U à mon pupitre, où ils se sont retrouvés deux heures avant que je ne parvinnse, de nouveau, audit paragraphe, où je ne me doutais absolument pas que ma rédaction me ramènerait à ce moment-là, car je ne me souvenais plus du tout de l’endroit de Modoupa où il se trouvait. Et j’ai donc inséré le présent paragraphe, danupag, entre Joseta et Janeta que voilà maintenant, alors que le papier de l’une et le cahier à la couverture de cuir de l’autre avaient couché quelques jours, jusqu’alors, l’un sur l’autre.

La mère oiselle Jeannette avait quant à elle ramené à son oisillon, d’un pèlerinage à Rome, un petit carré en céramique représentant Saint-François d’Assise les bras tendus vers des colombes prenant leur envol. Je l’avais collé sur le rebord de la banatalite de mon bur-U et retiré lorsque j’ai rangé l’appartement, avant de partir pour un séjour prolongé en Euskadi, en vue de le louer. Les piafs de Saint-François se sont envolés pour de bon, car je ne les ai malheureusement jamais plus retrouvés. Snif. Un relookage de mon salon, quel nutard, a donné lieu à quelques retouches du U. Et, surprise, quand j’ai appliqué le toutni bout d’une fine planche de contreplaqué découpée en X morceaux pour divers éléments de déco au petit rectangle qu’avaient orné, en leur temps, François et les volatiles ramenés par Ama, pour l’en recouvrir (d’une autre couleur) : il était, au centimètre près, en largeur et en longueur, de la même dimension. J’ai entendu un jour, dans un film par ailleurs sans aucun intérêt que j’ai regardé à mon PC sur mon PC :

« Saint-François aimait les oiseaux
parce qu’il disait que c’étaient les seuls
à pouvoir emmener nos prières jusqu’à Dieu. »

Un oiseau et une oiselle gligli et, je suppose, leurs oisillons, ont élu domicile dans un arbre du morne derrière ma cuisine, dans le magnifique flamboyant (pléonasme) rouge, certainement, que je pouvais admirer depuis celle-ci lorsqu’il fleurissait, de mai à septembre, jusqu’à ce que les satanés yuccas qui poussent devant ne soient plus taillés et finissent par complètement obstruer la vue. Une interminable branche latérale dont il avait auparavant été doté aurait peut-être encore pu dépasser, mais l’ouragan Maria, trois ans plus tôt, avait eu raison d’elle, en même temps qu’il avait terrassé un palmier tombé sur un banc du parc, qu’il avait fracassé. Le gligli, que j’ai longtemps assez peu eu le loisir d’observer, me gratifiait donc alors sans cesse de ses apparitions, dans ses va-et-vient entre son logis derrière chez moi et son quartier pour se nourrir et ramener, aux petits, de quoi becqueter. Depuis ma terrasse, je vois toujours passer un seul gligli. Mais un jour, un deuxième a surgi : entendant son piaillement, j’ai levé la tête, et l’ai aperçu au-dessus du toit de la résidence trois étages plus haut, pendant que l’autre fonçait, de retour de son vol, perpendiculairement à ma terrasse, dans sa direction. C’était Monsieur, j’imagine, et Madame qui, manifestement vénère qu’il ait, certainement, un peu trop traîné, venait à sa rencontre, pour lui cuicuiter deux mots. J’aurais bien cafté, si j’étais au courant d’agissements fautifs de la part du mari, mais allez suivre les faits et gestes d’un oiseau. Puis essayer de choper Madame pour lui raconter. Non, vraiment, même avec la meilleure volonté... La seule autre fois où je les ai vus et entendus, non pas roucouler mais crécereller ensemble, c’était, quels sutards, à la fin du compte-rendu de Joseta au téléphone sur ses souvenirs en Gwada avec Ama. Sur ma terrasse, au son du piaillement incessant de l’un, comme toujours quand il vole, j’ai levé la tête et l’ai vu passer. Celui de sa moitié a retenti à son tour : échaudée et décidée, certainement, à ne plus le laisser sortir seul, cette fois elle le suivait.


Encore des piafs ; un mégot ; Garnier le Didjé ; et Hugo : « C’est quoi ?! Un croco ?! »

Manno, Xabi et les oiseaux. Manno et Xabi, les drôles d’oiseaux voyageurs. Pour voler ensemble, dans tous les sens, le steward et le traducteur ne pouvaient pas mieux se trouver. Mais, sur d’autres plans, la combinaison haïtiano-basquaise a pu s’avérer moins idéale. Usine de Manno : « Dé malkrab pa pé viv adan mèm trou ! », « deux crabes mâles ne peuvent pas vivre dans le même trou ! » Et dans mon terrier ? Un trou est un trou. Il tenait ce dicton de sa mère : pas qu’un trou est un trou, mais çuila avé les crabes.[6] Sé dé krab la, les deux crabes, ont tout de même vécu quatorze belles années ensemble. Bien que mouvementées. Les deux principales incompatibilités : l’alcool et la cigarette. Pour mon beau, j’ai arrêté l’une et l’autre du jour au lendemain. Je n’ai pas bu une goutte d’alcool pendant trois ans et pas fumé une seule cigarette pendant dix ans. La clope : cette sale habitude est revenue, repartie, revenue, repartie, revenue, repartie, revenue… Béquilles, quand elles nous tiennent ! Mais je suis un petit joueur... euh... fumeur.

Manno, Tifim épi mwen nous sommes embarqués, un jour, pour une virée à Grandans[7], sur la Côte-sous-le-Vent, à Déhé[8], au nord-ouest de Bastè, une des plus belles plages de Gwadloup. Pendant le déjeuner, à une terrasse, au bord de la mangrove attenante à la plage, nous nous sommes mis à parler de protection de l’environnement. Sur ce sujet, avec Joseta, ququ apa, au resto également (à Saint-Félix, à « L’Oursin », que ses propriétaires avaient fini par se résigner à rebaptiser « La Baie des Pélicans », tellement ce nom s’imposait : spectacle gratuit en sus du menu), Manno s’était emporté contre ces fumeurs qui parlent écologie et jettent leurs mégots de cigarette par terre, paraissant m’y assimiler. Ça m’avait mis hors de moi. Avec Vanessa, il a remis ça, appuyant derechef sur le bouton vexation.

Mais une fois dissipés les quelques nuages qui, un instant, avaient commencé à s’amonceler, l’après-midi avait pu continuer de se dérouler gaiement, la discussion s’engageant cependant ensuite sur cet autre terrain glissant de l’ancien dictateur haïtien François Duvalier. Il arrive à son propos à Manno, dont l’humanisme n’a au demeurant rien à envier à celui de bien des bien-pensants-santes, de l’évoquer dans des termes qu’aucun-cune démocrate, s’ielle peut les « entendre », ne pourra toutefois jamais accepter. Et consistant, comme nombre de ses compatriotes écœurés par le chaos et le désordre qui se sont instaurés, dans son pays, après la chute du dictateur, à… le regretter. Vanessa s’est exclamée : « Je suis stupéfaite quand j’entends les Haïtiens me dire qu’ils regrettent le temps de Duvalier ! » Mais il est aisé, quand on est bien né-née, de s’en offusquer. En Haïti, comme dans d’autres anciennes dictatures, à la tyrannie a succédé l’anarchie. Les droits civils et politiques ont progressé, mais les droits économiques et sociaux ont sombré. La violation de ces droits, aussi, est une tyrannie. En Haïti, l’État devenu totalement déliquescent n’a plus assuré la sécurité des citoyens-yennes, sur le plan tant de leur situation économique et sanitaire que de leur intégrité physique, dans un contexte d’insécurité généralisée. Mais rien ne justifiera jamais la dictature, et les vilains tyrans, qu’ils emprisonnent, torturent et assassinent leurs opposants-zantes ou qu’ils mènent des politiques économiques violemment antisociales, trouveront toujours, en travers de leur route, de gentils droits-de-l’hommistes et autres défenseurs-seuses des libertés et des droits. Le lendemain de cette joyeuse virée, Olivier Guesde était invité, sur France Inter, pour son ouvrage sur les dictatures du XXème siècle, Le siècle des dictateurs !

Du restaurant, nous sommes passés à la plage, et dans l’eau je suis allé chercher la baballe que Manno m’avait lancée. En vrai : pas cette fois. Nous ne nous sommes pas livrés à nos deux jeux favoris : crawl-ball et balle-pompes. Le principe du premier est de lancer une balle de tennis dans l’eau et de crawler après pour la rattraper. De temps en temps, je laisse Manno gagner, sinon à force il ne voudrait plus jouer. Le balle-pompes est un autre lancer de balle, mais de l’un à l’autre, sur le sable. Le gage pour celui qui ne la rattrape pas : pomper. Dix, vingt, trente fois. Ça dépendait. Mais point de tout cela ce jour-là. Dans ce merveilleux endroit pour nager, dans une eau cristalline et lisse comme un miroir, après mon aller-retour habituel jusqu’à l’île de Monserrat, à cinquante-cinq kilomètres au large, quand je suis ressorti de l’eau, il y avait du rififi sur le sable. Deux gendarmes étaient affairés avec deux plagistes qui s’étaient pris le bec car, m’ont expliqué Tifim et Manno, l’un avait reproché à l’autre… d’avoir jeté son mégot dans l’eau !!!

Une eau qui ne bronchait pas, elle, comme le plus souvent. Mais j’ai découvert, à Grandans, ce dont j’ai ensuite appris que les surfeurs l’appelaient le backwash. Ce qu’ils ne sont pas allés chercher plus loin ni que le bord de l’eau ni que le sens du mot : « ressac » en français. Il s’en produit un fameux, parfois, en cas de houle, sous l’effet de la très forte déclivité de ce point du littoral. Cet autre jeu – mais solitaire, je ne ferai jamais aller Manno là-dedans ! – consiste à se laisser partir avec la vague parvenue au bord, lorsqu’elle se retire et dévale la pente, dans le sens inverse, puis percute celle qui déferle, le tout produisant un backwash elevator, un ressac-ascenseur. Grisant (Manno est déjà assez gris. C’est peut-être aussi pour ça qu’il s’abstient. Vilin.)

Tifim, Manno eta nik, après mes cent dix kilomètres de natation (j’avais encore envie de bouger), avons mis de la musique et dansouillé. D’autre fois des touristes sont un peu venus-nues s’amuser avec nous. Mais notre meilleure beach party c’était à la Datcha, avec Jean-Marc, Marie-Rose, son acolyte de nos nuits festives au Cheyenne et ailleurs, et d’autres amis-mies. C’était un 25 décembre. En ce lieu béni, et à Noël, la magie ne pouvait pas ne pas (de nouveau) opérer ! Dans la série beach, sun and fun, Manno, Tifim, des collègues de Manno et moi-même avons passé un après-midi sur l’îlet Caret, dans le Grand-Cul-de-Sac Marin bastèryen septentrional, au large de la commune de Sentwòz[9]. Nous avons rejoint les quelques centaines de mètres carré de sable blanc affleurant à la surface des eaux turquoises en hors-bord. Tifim, un peu appeurée, a demandé à son pilote de ralentir un peu. Moi je kiffais, heureusement il n’en a rien fait. J’ai par contre toujours refusé de m’adonner au plaisir, que j’imagine fort intense aussi, du scooter des mers, summum d’aberration en termes de dépense d’énergie inutile et de pollution par le bruit. Usine : si je pouvais je l’interdirais, en même temps que la grande course de scooter de la Karukera, organisée pendant la saison de migration des baleines, entre mars et avril, dans le couloir qu’elles empruntent entre Dominik et Gwadloup. Le ski, au moins, c’est silencieux. J’ai vécu un roti de sensations fortes en bateau lors d’une traversée pour Lésent, depuis la commune bastèryèn extrême-méridionale de Twarivyè[10], dans des montagnes russes sur des creux impressionnants à la limite du navigable ! Mais nos marins locaux ont dû en voir bien d’autres.

À l’îlet Caret, je me suis mis à discuter avec une dame, qui s’est immédiatement présentée comme la mère de Laurent Garnier le DJ comme systématiquement, apparemment, avec tous les gens qu’elle croisait. Une de ses amies m’a en effet déclaré en aparté, un peu plus tard, d’un air blasé : « Je suppose qu’elle vous a dit qu’elle était la mère de Laurent Garnier. » Je l’ai raconté à Manno et Vanessa, qui n’avaient aucune idée de qui Laurent Garnier était, éclatant de rire quand je le leur présentai comme le célèbre DJ. Je l’ai entendu, peu après, sur France Inter. C’est qu’ils m’en auraient fait douter, de l’existence de ce fils à la maman qui raconte partout qu’elle est sa maman ! Mais que Vanessa et Manno ne connaissent même pas. Si elle avait su ! Ça lui aurait gâché sa journée sur l’îlet avec ses amies qui n’en peuvent plus qu’elle raconte partout qu’elle est la maman de Laurent Garnier, que Vanessa et Manno ne connaissent même pas. Manno eta ni avons été récompensés de nos efforts de pagayeurs fous, dans ce même Grand-Cul-de-Sac Marin, lors d’une sortie en canoë, depuis Sentwòz, en direction de l’îlet Blanc, avec la fantavion d’un banc de grosses étoiles de mer orange qui voguaient avec nous, à quelques centimètres sous la surface de l’eau bleue. Mais quelle épreuve, comme lors d’une autre session après avoir ramé jusqu’aux îlets Pigeon de la réserve Cousteau, depuis la plage Malendi de la ville bastèryèn méridiono-occidentale de Bouyant[11].

Le vent, le clapot et les courants : dans un sens ça va mais dans l’autre… N’en pouvant plus, nous avons même demandé au conducteur d’un zodiac, au retour, de nous remorquer ! Depuis Sentwòz aussi, avec Philippe, cap sur la mangrove : je me suis mis à turbiner comme si j’avais eu trois fois mon volume et la peau verte, avec facture salée de mon dos, peu après, à la clé. Près du cap de la cinquantaine désormais franchi, c’était le dernier effort violent, très anti-ayurvéda de surcroît, de ma vie. Un baroud d’honneur sur les flots. Quoi qu’il m’en coûtât, cette envolée à la surface de l’eau, la traversée avec Manno jusqu’aux îlets Blanc et Pigeon, ainsi qu’une autre avec lui depuis Lapwent sur la Rivière Salée, à la jonction de Granntè et de Bastè, et une encore avec Sophie, Stéphane et leur petit Gaspard (devenu grand), depuis Pòloui[12] (un peu plus pépère celle-là, mais d’une telle beauté aussi !!!), sont mon Top-5 du canoë. Entre la Datcha et l’îlet Gozyé, avec BernOk et ti bou Maxou entre les deux, dans mon cap-sur-goa biplace bleu, et moi dans mon cap-sur-goa monoplace jaune, c’était froute aussi.

La Gwadloup est terre de créolité jusqu’au sable, dont le grain, comme la peau des humains, décline toute la gamme du noir de la roche volcanique au blanc de ses plateaux et de ses falaises de calcaire. Entre la plage de Malendi et son sable noir scintillant – quelle vision exquise, en particulier sur la plage du Carbet à Senpyè[13], la plus belle Gwada-Matinik réunies – et les îlets Pigeon, Hugo et Xabi ont vécu une des maxi-frousses de leur vie. Max-F-H : le barracuda. Avec masque et tuba mon neveu et moi évoluions, à la surface de l’eau, à la recherche des grandes tortues vertes. Pour une vision, celle-là aussi !... Un gros barracuda a pointé le bout de son long museau pointu et son impressionnante mâchoire. Hugo, affolé, a brusquement sorti la tête de l’eau. Il fallait voir ses yeux écarquillés, derrière sa visière ! Il s’est écrié : « C’est quoi, un requin ???!!! » « Non, un barracuda ! », ai-je rectifié. « C’est dangereux ???!!! », m’a-t-il demandé toujours aussi paniqué. « Ça peut ! », ne l’ai-je pas rassuré, pour tout de même ajouter qu’il fallait vraiment qu’on l’importunât ou qu’il se sentît menacé pour attaquer. Auquel cas il peut effectivement devenir très agressif ! Mais à éviter absolument, paraît-il : se baigner avec quoi que ce soit de brillant, susceptible de l’attirer et de lui donner envie... de mordre. Je n’en ai pour autant jamais enlevé la bague plaquée or que m’a offerte mon doudou après notre PACS !

À Titè[14], au large de Senfranswa[15], outre les magnifiques petits requins-citron – parfaitement inoffensifs ceux-là – qui y grouillent, et tous les autres poissons admirés pendant une autre séance masque-tuba, Manno et moi avons pu nous pavaner à la vue d’un barracuda dont notre accompagnateur nous avait averti, avant de nous laisser nous aventurer dans le lagon, qu’il traînait dans le coin, et qu’il mesurait... quatre mètres de long ![16] Nous n’avons pas pu l’observer de très près, en tout cas pas quand nous barbotions – j’ai envie de dire « heureusement »... –, mais d’en haut d’une falaise de l’îlet, sous la surface de l’eau en contrebas, l’apercevant les premiers et rameutant les quelques autres membres du groupe avec lequel nous effectuions la sortie, qui nous suivaient quelques mètres derrière.

À Bouyant, la Max-F-X : l’orage. J’étais en train de partir avec une tortue, comme Jacques Mayol avec ses dauphins, véritablement attiré vers le large car, fasciné, ne pouvant tout simplement plus la quitter des yeux... quand j’ai senti des gouttes. J’ai sorti la tête de l’eau comme Hugo, mais c’est ce qui se passait non pas en-dessous mais au-dessus, dans le ciel, qui m’a terrifié : il était noooiiiir !!! Comme le sable, tiens. C’est très joli, pour le sable, mais présentement, si loin de celui-ci… Le tonnerre a commencé à gronder. « Je ne veux pas mourir ici, maintenant !!! », ai-je pensé. J’ai vu tomber la foudre dans l’eau à cent mètres de moi, un jour, au Panama, pendant que je marchais, sur une promenade du front de mer. Alors avec un humain dedans en plus, rien de tel pour l’attirer. Autant dire que j’ai instantanément oublié ma tortue à laquelle, la seconde d’avant, j’étais encore aimanté, et je n’ai jamais nagé aussi vite de ma vie que pour parcourir la distance d’une centaine de mètres qui me séparait du rivage. (On appellera cela, à partir de 2024, « léon-marchander ». Alala-dépadadoudage ? Non : vision. Poutana, con !)


Soufriyè-la sé planèt Maws an mwen

Non plus dans ou sur l’eau mais à 1 467 mètres au-dessus de sa surface, le plus loin en direction du ciel que l’on puisse s’en éloigner, à des centaines si ce n’est des milliers de kilomètres à la ronde, au sommet de la Soufriyè, les quatre derniers acteurs-trices mis-mises en scène ici, ainsi que la maman, le papa et la sœur du héros de l’épisode du méchant barracuda sont celleux de mes Gagaditutus-tues qui m’y ont accompagné. Avec SaMarLéGo, le vent qui soufflait là-haut, le jour où nous y sommes montés, a bien failli nous faire nous élever davantage encore dans les airs. Soufriyè la sé planèt Maws an mwen. La Soufrière c’est ma planète Mars. J’ai effectué la randonnée jusqu’à son sommet, d’une durée de trois ou quatre heures aller-retour, une douzaine de fois. Dont deux avec Manno. Il était, pour l’une de ces deux éditions, en sandales. Et nous avons fait la course, en redescendant, en courant. Il n’y a pas terrain plus casse-gueule que le sentier à emprunter entre les rochers, assez raide, à la fin surtout. Et que je te l’ai faite moi aussi, en sandales, la rando, un jour où j’avais oublié mes tennis ! N’imitant cependant pas la prouesse de descendre en courant avec ça aux pieds. Il faut laisser aux champions ce qui leur appartient.

Il s’est produit, une seule fois depuis que je me suis installé en Gwadloup – il y a quatorze ans, dont les trois quarts à peu près que j’y ai passés –, un épisode d’une dizaine de jours d’un ciel totalement bleu et limpide, ce qui n’arrive que très rarement, et d’une visibilité exceptionnelle. La vue était incroyable, depuis ma terrasse, sur toute la chaîne de Bastè et sur le sommet de la Soufriyè – dans les nuages quatre-vingt-quinze pour cent du temps –, entièrement dégagés. On voit alors très distinctement, s’élever dans le ciel, les deux filets de fumée blanche des deux principaux orifices par lesquels, au sommet, les gaz du volcan s’échappent. J’ai pris ma voiture, en direction de Senklòd[17], au sud de l’île de Bastè – un peu avant le chef-lieu du même nom –, la commune perchée sur un flan du volcan. La beauté du paysage, sur la route, ainsi que pendant la balade, et celle de la vue depuis le sommet, tout autour et sur toutes les îles, du fait de cette visibilité, a tout dépassé ce jour-là. Des conditions exceptionnelles, pour l’ascension du volcan, alors qu’elles sont le plus... clair du temps : brume et/ou vent et/ou pluie, et j’y ai même eu les mains à moitié gelées une fois. Aussi excellentes et plusieurs jours d’affilée, et un temps pareil, tellement pourri d’habitude en Gwadloup (mongol), c’est la première et la dernière fois que j’ai vu ça.

Cudupac au sommet : les fumerolles. Que l’on n’est en principe même pas autorisé à aller voir ! Une barrière en interdit l’accès. La zone d’exclusion a même récemment été agrandie. Mais il suffit de passer outre les limites ainsi établies, un peu au-delà d’un premier gouffre d’une vingtaine de mètres de large et du double à peu près de profondeur, d’où monte, paisiblement et sans bruit, de la fumée. On a l’impression que le grondement que l’on perçoit en s’approchant de celui-ci est le sien. Mais point. C’est celui des fameuses fumerolles, plus loin, après les barrières. En deux ou trois endroits, surtout l’un d’entre eux, le gaz s’échappe par des trous de pas plus d’une vingtaine de centimètres de diamètre – les « bouches soufrées », jaunes fluo tirant sur le vert, qui peuvent changer de place en fonction de l’activité du cratère –, sous une pression à tout faire péter. On a effectivement l’im...pression qu’à tout moment c’est ce qui va arriver. Josette m’a dit un jour où je lui ai raconté, au téléphone, que je m’y aventurais : « Tu me fais peur. » Ce volcan de type péléen, explosif, parmi les plus dangereux à essaimer la croûte de notre bouillonnante planète, est bien évidemment surveillé, par une multitude de capteurs, comme le lait sur le feu. Sa dernière éruption, phréatique (avec panache volcanique exclusivement composée de vapeur d’eau), en 1976, a entraîné l’évacuation de soixante-dix mille personnes de toute la zone des communes de Senklòd et de Bastè. Elle a été décidée sur les conseils de Claude Allègre, alors directeur de l’Institut de physique du globe, mais contre l’avis d’Haroun Tazieff, le célèbre vulcanologue, qui l’avait jugée inutile. La crisounette du volcan n’a en effet entraîné que peu de dégâts. Toute la région, qui s’en est trouvée économiquement sinistrée, pour rien – à cause du décidément fort nuisible bonhomme devenu un climatosceptique notoire –, ne s’est jamais vraiment relevée depuis.

Alors, le danger couru par le Xabi quand, au sommet du volcan, il s’extasie ainsi ? Il est maximal. Mongol. L’interdiction d’accès est essentiellement motivée par la toxicité des gaz, qu’il convient bisû de ne pas respirer à plein nez. Quand on traverse le nuage, certes, on le sent passer, et il faut alors vite en sortir en se positionnant correctement par rapport au vent. Bon, il est vrai que le bruit, les gaz, dans cette atmosphère étrange, en particulier lorsque l’on n’y voit qu’à moitié, comme c’est le cas le plus souvent, ça n’est pas toujours très rassurant. Et il convient de faire attention où l’on met les pieds, de veiller à ne pas s’égarer et à ne pas tomber dans un gouffre ou un ravin, sur un terrain pour le moins scabreux[18]. Via la Porte d’Enfer, deux mini-pitons plantés l’un face à l’autre, un chemin mène vers la plus haute des épines rocheuses de cet univers extraterrestre, à laquelle, jadis, une corde était fixée. Mais dont j’ai constaté, lors de mon dernier passage, qu’elle en avait été retirée. Peut-être dans le souci de cesser d’ensoussasser… dia !... quand ça me prend… heureusement pas trop souvent… ça serait inquiétant, et ça ne faciliterait pas la lecture de mes textes, au demeurant si limpides, à l’image du Ciel de ce Jour de Grâce… le souci ?... ah, d’encourager les randonneurs-neuses à y grimper, ainsi que je m’y applique, quand ça me prend, heureusement pas trop souvent. (La phrase d’origine c’est : ainsi que je m’y applique, bien entendu, systématiquement.)

J’y ai vécu un des moments les plus magiques de ma vie, lors de cette ultime visite, que j’ai terminée, en toute fin d’après-midi, ainsi perché à mille quatre-cent mètres d’altitude, seul au monde, face au vide, entre terre et ciel du crépuscule qui se fondait dans la mer. J’avais la sensation de flotter dans les bleu, rouge, orange, jaune, blanc, gris et noir du ciel, des nuages et de la mer, qui se mélangeaient, tandis que scintillaient les lumières de la ville de Bastè et des bourgades alentour quand elles parvenaient à percer, avec autour de moi le décor irréel du sommet du volcan. À ce miracle en a succédé un autre : un téléphone portable suffisamment chargé qui a permis à sa lampe-torche de m’éclairer, jusqu’au bout, sur le chemin – bien que parfaitement balisé – de la forêt à traverser, pendant une vingtaine de minutes, entre le pied du cratère et les « Bains Jaunes »[19], le point de départ de la randonnée. J’y voyais encore un peu, dans la descente du cratère, mais dans la forêt c’était le noir le plus complet. J’ai raconté mon expédition à Manno, quel jutard, le jour... de ses 39 ans, lui offrant ce premier cadeau de la vue de ce spectacle, à défaut d’y avoir assisté en direct, sur les fabuleuses photos et vidéos de mon téléphone que j’en avais ramenées. Il était émerveillé. J’ai envoyé les meilleures, sur son portable, parmi lesquelles la vidéo d’une fumerolle dont j’ai ensuite constaté, de retour chez moi, que la durée était d’une minute… et 39 secondes. J’ai relevé ce petit détail rigolo, dans mon message ouate-zeu-pape à Manno qui l’accompagnait, pointant au passage qu’il était du premier jour du mois (de décembre) et moi du dernier jour du mois (de septembre), et que le 3 de mon 30 septembre se retrouvait dans la date, le 3 décembre, de la Saint François-Xavier. Saint François-Xavier : « Tiens, comme ça je te la ferme, ta Divine Marche. » Je file au 30.

  1. Mon homme conquis de haute lutte
  2. Soucis de santé
  3. Sainte-Anne
  4. « A on dòt soley », « À un autre soleil » = « À un autre jour », « À bientôt », « À la prochaine »...
  5. Branche latérale droite de mon bureau en U
  6. Sur ce, retour au trou justement et, direct, morabnodem baduf, sur la page de droite (113) du bouquin de C. Wrigth-Lewis ouvert sur mon pupitre : “Hmmf, ain’t no such thing as a coincidence”, « Les coïncidences, ça n’existe pas ». Page précédente : « Nous avons fini dans la 69ème division des Marine Corps. »
  7. Grande-Anse
  8. Deshaies
  9. Sainte-Rose
  10. Trois-Rivières
  11. Plage de Malendure à Bouillante
  12. Port-Louis
  13. Saint-Pierre
  14. Petite-Terre
  15. Saint-François
  16. J’ai cette valeur en tête, mais ça me paraît énorme. C’est peut-être plutôt deux ou trois... Marseillais les Guadeloupéens ? Un peu affabulateurs, oui.
  17. Saint-Claude
  18. Trou damapute : « Nous nous sommes ensuite dirigés vers le Gouffre Tarissan, sous surveillance, qui dégage de plus en plus de fumerolles. C’est là que notre explorateur, le docteur Tarissan, a perdu la vie. »
  19. J’y ai appris la mort du Noir en Chef : le champion de la Négritude, Aimé Césaire. Je barbotais dans l’eau tiède soufrée du bassin aménagé contre la roche qui s’est mis à bruisser des propos échangés par les Gwadloupéyen-yèn qui m’entouraient sur le départ de l’illustre penseur martiniquais. C’était le 17 avril 2008, après un presque-siècle d’une grandiose vie depuis sa naissance le 26 juin 1913.