Chapitre 38 – Mariages sur Terre et dans le Ciel

De Xavier Renard
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Noces d’un Renard et d’une Cigogne

Mariages. Démarriage... euh... démarrage en beauté, donc, de l’édition Euskadi de septembre-octobre 2017, à peine débarqué, avec celui de Christelle et Gilles à Hazparne : temps exécrable mais site splendide avec vusum (bouchée, sauf par intermittences) sur les Pyrénées, et de fantastiques lumières lors de quelques éclaircies nous ayant un peu permis (contre vents et mariés... euh... marées) de profiter de la terrasse. J’ai cependant fini ma dernière conversation sur celle-ci collé contre le mur, acculé par une pluie de plus en plus diluvienne. C’était avec Jean-Michel (c’est notre pote musicos du groupe Gazteok de notre jeunesse !!), le jeune beau-papa de Christelle, qui est aussi le fiston de Michèle, mon ancienne maîtresse de CM2. Également de la partie, et dont j’ai eu le bonheur d’entendre le récit de ses lointains souvenirs du petit Xavier... et de ses dessins ! Elle m’a par ailleurs dit combien elle regrettait de ne plus avoir été suffisamment mobile (elle a plus de quatre-vingt cinq ans), ces dernières années, pour rendre visite à sa grande amie Jeannette... Pour le mariage de Denis et Maia, en revanche, pas question de se pointer la bouche en cœur : il a fallu bosser !! Ielles avaient vu grand, avec quelque deux cents convives sur deux jours, montage de chapiteau dans un de leurs champs, face à la maison, et de toutes les installations requises, dont l’électricité, pour lesquelles les potes Hervé et Yves du futur marié se sont défoncés. C’est avec joie que j’ai moi aussi bien entendu contribué à la préparation de ce Granévé. D’autant que j’ai également joui, en ces nombreux après-midi que nous y avons consacrés, de la compagnie de mon cher Olibi, aimable et généreux volontaire dans cette entreprise lui aussi.

Ama, le soir du mariage, assez rapidement, a souhaité rentrer. Aita l’a ramenée chez elle à Baiona. Mais le lendemain, le dimanche, elle était en pleine forme. Et la toutnie grande rigolade de Janeta-ta-Xabi de leur vie a eu lieu autour d’un gigantesque feu de joie, dans le champ, à courir autour en chantant et en se tenant la main ! Nous avons bien ri aussi, un après-midi à Arans, sur la terrasse, quelques jours avant le mariage, alors que je lui avais confié le pliage de feuilles de papier Canson et le découpage de bandes pour la confection de coiffes, pour Denis et Maia (dans un recyclage malin de mon idée pour leur « pré-mariage » un soir à Arrantz), à base de cigogne et de renard. Oui, car le prédateur des bois et des basse-cours s’unissait à l’échassier, dont le nom nichait, en allemand, dans le patronyme de Maia. Outre mon couronnement des deux oiseaux, d’un oiseau du moins, et de Goupil junior, je crois les avoir assez correctement honorés, avec une pêche assez miraculeuse d’un bout à l’autre du Grawek. Je leur ai également lu ma fable du corbeau, devenu cigogne, et du renard, pendant qu’ils la mimaient. C’était rigolo. (Texte malheureusement introuvable.) Je n’ai pas non plus manqué de décorer, de mon couvre-chef ZigornAxeri[1], mes camarades de labeur – Hervé, Jean-Yves et Okis, donc, au premier... chef –, grâce auxquels le fanta-week-end et son programme d’enfer – jusqu’à des danses tahitiennes le dimanche dans le champ du chapiteau –, dans un cadre à se couper les deux bras, n’aurait pas été possible. Un week-end béni des dieux jusqu’à une météo estivale alors que jusqu’à la veille encore elle était abominable – y compris, donc, un certain 9 septembre... –, et qu’elle l’a de nouveau été, et pour longtemps, après !

Le 16 octobre, le lendemain du mariage, Ama, Joseta et moi regardions, à la télévision, une émission sur La Réunion, où Denis et Valérie ont donc vécu quatre ans après Tahition. Cet autre coin de paradion où je n’ai malheureusement pas pu aller leur rendre visition, car alors que je l’envisageais sérieusemion, ayant commencé à réfléchir à un itinéraire en avion, depuis mon île, via les États-Unions, la propriétaire de l’appartemion dont Mannion et mion étions locatarions a mis fion, en vue de sa rénovation, à notre baillon. Ce qui s’est donc terminé par l’achat d’un appartement... qui n’était alors pas (encore) du tout prévu au programme ! Autant dire que c’est... le budget pour Tahiti qui s’est envolé ! Mais retour dans la salle de télé, à Arrantzako Borda, avec Ama et Joseta : dans l’émission sur La Réunion, le guide de la reporter s’appelait... Denis. La Réunion : celle-là, par contre, je ne l’ai pas loupée. Re-soirée télé pépère avec mes deux mémères le surlendemain du mariage : l’inénarrable capitaine Marleau est au comptoir d’un bar, devant une bière, en train d’asticoter le barman, dans son style bien à elle... sous un néon en forme de cigogne.

Même après-mariages hazparnériens : Ama eta ni nous prélassions, en une belle journée d’un été indien basque à retardement, sur la terrasse de l’AB. Il faisait un temps sublime de septembre en effet, souvent le plus beau mois de l’année, et donc pas uniquement parce c’est celui de mon anniversaire. L’été-été, Euskal herrian, peut ne pas particulièrement briller, bien que toujours plus qu’en Breizh bisû. Le charme de ce mois est aussi que l’invasion touristique juilléto-aoûtienne a alors pris fin. J’invitais Ama, parfois, à se mettre un peu au soleil, comme le lézard que j’étais avant d’être renard s’y installait, bien entendu, quand, à la table de la terrasse, les beaux jours, nous prenions notre déjeuner. Tandis qu’Ama, cela coulait tout autant de source, s’asseyait à l’ombre, car elle n’avait jamais été le moindre bout de queue d’un lézard, ni avant d’être ni après avoir été jeune fille Exilard.

Son prénom, Jeannette, et celui de ses frères et sœurs, Pierre, Maïté (Maitexa), Christine et Jean-Claude, tous français, en disent long, à eux seuls, des effets de la répression de la langue et de la culture basques, et des langues et cultures régionales, de manière générale qui, en France et dans ses territoires occupés (n’ayons pas peur des mots), a longtemps sévi. Dans l’ancienne école devenue la demeure de Mémé Pako, comme dans toutes celles d’Euskal herri et de sa Navarre, ainsi qu’Ama a pu le conter, à l’instar de tous-toutes les Basques de sa génération, le premier enfant pris à parler le basque de la journée se voyait attribuer un bâton, qu’il devait passer à celui qui se faisait à son tour attraper et, à la fin de la journée, celui qui l’avait encore en sa possession était puni. Le nom Exilard est lui-même la version francisée de ce qu’il devait être à l’origine : Exilar, se prononçant « Échilar ». Il a donc fini par se terminer en a-r-d, comme « Renard », le nom d’Aita, dans une espèce de mélange de l’amour qui allait l’unir à sa Basquaise et de sa propre aversion (à l’époque) à l’égard de toute revendication en faveur de la cause basque ! Basque ! [C’est ma propre version – ah ! les différents sons (de cloche) ! –, que je corrige un peu, à la faveur de ces écrits…]


Pendant le Dernier Repas avec Ama : des « Noces du Renard » (Mariage du Soleil et de la Pluie)

Autre journée auprès de ma maman après le déjeuner : Ama, debout devant la table du salon, a sentencieusement ouvert son Sud-Ouest, le quotidien régional, à la page des mots croisés. Elle s’est assise, s’est saisie de son stylo, et a lu à voix basse : « Inflammation de l’intestin ». Elle était adepte du sudoku auquel elle se livrait, depuis quelques années, après son rituel de la lecture du journal en début d’après-midi. Mais je n’avais pas souvenir de l’avoir jamais vue à des mots croisés, et c’est donc la toute première fois que ça s’est produit qu’elle a prononcé ces mots. Debout face à elle de l’autre côté de la table, évidemment interpellé, si ce n’est soufflé, une fois de plus, j’ai fait le tour de celle-ci et me suis penché, par-dessus l’épaule d’Ama, pour constater par moi-même que figurait effectivement, dans une petite case de la grille, cette définition qu’elle avait lue, l’air de rien, sans m’adresser le moindre regard. Le mot à placer était « colite ». Ama avait lâché, bien des années auparavant, après que je lui eus un peu narré mon calvaire – à une époque où, (bien) moins abominable que ce qu’il est devenu, j’arrivais à ne pas trop en parler –, mais sans imaginer que cela pût lui inspirer ces mots (édition I) : « Tu dois être très malheureux ! »

J’étais choqué. J’aurais voulu pouvoir dire que je souffrais, en effet, mais sans que mon image (du plus beau, plus fort, plus... heureux), à fortiori auprès de ma mère, n’en soit le moins du monde altérée. J’avais au contraire trouvé très apaisante cette réflexion de sa part à une autre occasion, formulée avec la plus grande douceur (édition II) : « Tu es malade. Tu dois l’accepter. » Mais le plus violent de tout, parce qu’elle pouvait être très dure – un trait de caractère peut-être encore exacerbé par sa maladie, qui couvait certainement déjà –, il y a quelques années, fut une remarque à Manno qu’il m’avait rapportée. Lors d’une de ses visites à Baiona, et alors qu’éternel prisonnier de ma geôle ils avaient dû m’attendre pour un départ chez Sabine et Marc, à Ondres, où nous étions invités-tée à dîner, elle s’était énervée et avait ainsi pesté (édition III) : « Il n’est pas plus malade que moi !!! »[2] À l’extrême inverse des mots du genre le plus réconfortant concevable de l’édition II, ces derniers disaient la colère et un manque total de compréhension et d’empathie de la part de ma propre mère : c’était le pompon !

Passez pompon les carillons. Synchronicité sonore, dans un autre de ces ultimes instants de félicitée materno-filiale sur la terrasse de l’historique demeure, alors qu’Ama s’est demandée à voix haute, en cet automne bien entamé, de savoir quand la mairie daignerait nettoyer les feuilles mortes des trottoirs. À peine sa question formulée : un bruit de moteur. J’ai dit à Ama, estomaqué : « Mais... c’est les souffleuses !!! » Le bruit a progressivement augmenté en intensité, jusqu’au vacarme assourdissant des machines lorsque les employés municipaux sont passés devant la maison, avec sur leur dos leurs machines et dans la main le tuyau avec lequel ils étaient effectivement en train de faire voler les feuilles. La ramasseuse suivait. Tout une armada défilait, à nous en crever les tympans, mais... exauçant, sur le champ, le vœu d’Ama !

Un peu plus tard encore au cours de ce même automne, à la veille de mon relou, Ama eta ni déjeunions, dans le salon cette fois, le temps et les températures n’étant plus tout à fait les mêmes que le jour où nous nous trouvions, sur la terrasse, aux premières loges pour assister au ballet des engins de la fée-mairie. Dehors, les rayons de soleil se mélangeaient aux gouttes de pluie. Ama, en regardant à travers la porte-fenêtre du salon, a dit l’expression en euskara que ce temps lui inspirait immanquablement : « Axerien eskontza »[3], « les noces du renard ». Il m’est alors venu, à mon tour, cette réflexion : « Pour notre dernier repas avant mon départ en Guadeloupe, le bon Dieu nous offre ça, normal ! » Le bon Dieu, avec ses noces, et Ama, en y faisant allusion, m’ont amené à prononcer ces mots : « notre dernier repas ». Or je ne le savais pas, mais il s’agissait non seulement de notre dernier repas avant mon départ, mais du tout dernier que nous prenions ensemble, chez elle, chez nous, dans cette maison où Ama, Aita, Sabine, Denis et moi avions emménagé quarante-deux ans plus tôt.

  1. « SigornAchéri » : Cigognard
  2. Manno eta nik avions passé une fantanée à Bilbo (Bilbao), en Hegoalde, notamment agrémentée d’une visite du musée Guggenheim. À l’heure de rentrer, quand nous sommes passés devant un coiffeur, dans une galerie marchande du centre-ville, il a absolument tenu à ce que j’en profitasse pour me faire couper les cheveux. J’ai protesté, lui disant que ça risquait de nous mettre en retard pour le dîner chez Sabine !... Car quand il est si simple, pour la grande majorité des gens (leur bonheur fait le mien !!!), d’enchaîner d’une sortie à l’autre, pour moi... tout est un combat. Un guerrier, oui, ton Xabi, mon Manno (dixit lui-même), il n’y a pas d’autre mot.
  3. « Achérièn echkontsa »